Ne pas bousculer les enfants, les rassurer?

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo © Laurent Berger

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Lecture 7 min.

Les enfants sont devenus des parents rois qui s’immiscent, qui deviennent intrusifs, qui viennent à l’école pour se plaindre, qui arrivent aux réunions prévues pour demander des comptes à l’enseignant le sommant de tout justifier. « Vous soulignez en rouge, mais vous ne donnez pas la réponse. » Ainsi, la consigne donnée à l’élève devient parfois plus longue que le travail effectué par l’élève! Certains parents propagent aussi des rumeurs sur Facebook sans réellement s’informer. Les parents clients veulent aussi que leurs enfants ne soient pas trop bousculés, ils vivent leurs émotions à leur place, ils présentent une telle surdose de compassion pour leur progéniture qu’ils en viennent à refuser que leurs enfants grandissent, qu’ils affrontent le monde et ses difficultés, qu’ils apprennent à surmonter les obstacles. Comme si tout devait être facile, lisse, évident. Plus aucune contrainte n’est alors acceptée, il n’est plus question de se dépasser, l’enfance devient éternelle, le bonheur doit être euphorique. « Veuillez excuser mon fils qui n’a pas pu lire son livre pendant les vacances car nous étions en croisière en Egypte sur le Nil ;) ! » « Vous parlez du “Horla”, mais qu’est-ce que c’est que ce livre ? Je n’en ai jamais entendu parler, comment puis-je aider ma fille si vous nous sortez des trucs comme ça que personne ne connaît ? »

Il vaut mieux que deux professeurs soient présents, en classe, en réunion des parents afin d’avoir un témoin. « Vous n’aimez pas ma fille! » Aussi, puisqu’il ne faudrait pas trop les bousculer, les bouleverser, les défaire de leurs habitudes, évitons de leur donner à lire des romans trop sulfureux, des poèmes trop subversifs. Les préfets reçoivent une série de courriels où de manière spontanée, les parents expriment rapidement leurs doléances. Un enseignant serait trop brusque dans ses remarques, un autre donnerait à lire des romans trop longs. Il est vrai qu’il existe des professeurs qui manquent de bienveillance. Mais quand les enfants deviennent des rois, il n’est pas étonnant qu’ils soient remis à leur place de manière un peu assertive! Faut-il supprimer les allocations familiales sous prétexte que certains en abusent? Faut-il envoyer systématiquement des médecins contrôles, qui appartiennent au secteur privé sous prétexte qu’il existe quelques carotteurs? De même, faut-il en tant que parents exiger des caméras de surveillance en classe afin de vérifier si leurs enfants ne sont pas traumatisés sous prétexte que tous les enseignants manqueraient de pédagogie ou seraient de véritables tyrans? « Monsieur, nous savons que vous vous payez des vacances en emmenant nos enfants en voyage scolaire! » 

En ce qui concerne la culture, nous assistons à la diminution de la représentation de son importance dans les élites qui s’adonnent à la société du spectacle et divertissement. La culture a-t-elle dés lors des chances de survivre dans un monde marchand qui met en évidence tout ce qui brille pour être consommé? En France, une école supérieure célèbre a supprimé la culture générale de son examen d’entrée afin de lutter contre toutes les formes de discrimination. Or la culture générale est justement ce qui permet de reconnaître les points communs entre les hommes. De rejeter dans toutes les cultures ce qui est moins bon pour en garder le meilleur partout où elles ont voyagé. Garder ce qui est bon dans le christianisme, dans le judaïsme, dans l’athéisme, le soufisme etc.  Mais les croyances  des parents doivent être entendues et la neutralité est ainsi recommandée à l’enseignant qui se doit d’être le plus consensuel possible et de suivre les préceptes du relativisme culturel excessif.

Ainsi, une langue qui se déstructure, c’est une pensée qui s’amollit. « Vous utilisez des mots trop compliqués pour nos enfants! Des enfants qui ont en réalité 18 ans!  La régression du niveau de langue traduit un manque de diversité, une uniformisation, une automatisation qui révèlent la dérive néolibérale. L’autocensure est demandée aux enseignants qui ne doivent plus troubler, déranger les adolescents perpétuellement en crise, aux besoins spécifiques. La langue des médias se divise entre joie et peur. D’un côté, nous entendons la langue de la joie obligatoire, de la fête constante, du bruit permanent. De l’autre, nous entendons la langue de la peur qui invite à consommer, à se protéger, à éviter l’autre. Ce qui provoque un aplatissement de la langue, un nivellement de l’étendue de son vocabulaire. Soyons cool, soyons zen, faisons du team building! Cette langue propagée de l’évidence, du premier degré s’oppose à la haute langue qui témoigne d’une énergie vitale, c’est la langue de la littérature, je me suis toujours battu pour qu’elle soit encore enseignée afin que le cours de français ne deviennent pas simplement un cours de communication. Un roman où les phrases seraient trop longues avec un vocabulaire qui serait trop riche devrait être évité afin de ne pas entendre des parents vous reprocher de ne pas plutôt montrer des films. Prenez soin de nos enfants, rassurez-les! Soyez indulgents! Pas trop exigents! Est-ce que l’organe de la littérature qui est la poésie serait vouée à la marginalisation? 

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Alors afin de confiner leurs enfants dans un monde tranquille, les parents n’hésitent plus à franchir les portes de l’école, pour une mauvaise note, pour une remarque interprétée au premier degré. Aujourd’hui, l’enfant traumatisé téléphone directement à son père pour lui communiquer son ressenti, ses émotions. Une trop grande présence de la psychologie écarte le recours à la raison. 

La perspective universelle des droits de l’homme est remise en cause par la nouvelle perspective commerciale des droits humains. Ce phénomène se perçoit aussi à l’école dans la dévalorisation constante du métier d’enseignant et dans le mépris affiché envers la force émancipatrice de la pédagogie. Le droit à la différence, récupéré par le marché, accompagne le profilage des individus divisés en catégories spéciales. Ainsi, l’école rencontre de nouveaux maîtres qui ciblent les apprentissages selon les besoins économiques du moment. L’économisme est une religion qui représente un frein à l’émancipation de tous. Il est deux visages qui se regardent : celui de l’économisme matérialiste et celui des religions en tant que refuges sectaires et doctrinaires. Le consommateur est ainsi celui qui doit être réconforté, protégé, replié sur lui. « Monsieur, ma fille n’a que 18 ans! C’est une jeune fille sensible, ne la troublez pas trop! » A l’encontre de ce ramollissement de la pensée, je réponds que l’éducation demeure l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde. (Nelson Mandela) Or éduquer, n'est-ce pas aussi déranger, sortir l'autre de ses habitudes? L'enfance et l'adolescence se prolongent, les rites de passage à l'âge adulte disparaissent. Les épreuves initiatiques deviennent trop traumatisantes, place au divertissement! La langue de Céline, de Beckett, de Camus, de Rabelais, Montaigne, est-elle en voie de disparition?

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