Se tenir à distance du slogan

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo©LaurentBerger

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Apprendre à se parler autrement, à nommer les choses, apprendre à parler sans slogans, sans commentaires rapides, sans explications toute faites, sans le tout prêt à porter, sans le tout prêt à répondre du tac au tac. Apprendre à se parler sans like, sans répliques faciles, sans discours entendus, répétés. L'homme se distingue de l'animal parce qu'il peut penser autrement, voir les choses autrement, il peut changer son regard. 
Apprendre à écouter l’autre sans vouloir donner d’abord son avis tout fait, tout fermé, tout préparé. Un pari difficile, apprendre à  argumenter avec nuance, à renoncer à ses idées fabriquées, apprendre à ne pas être attachés à ses idées envers et contre tout. Ne pas mettre ses idées au-dessus de tout. Si l’école pouvait rappeler que la pensée ne doit jamais se soumettre à un dogme, à une vision préconçue du monde, car le monde est toujours plus complexe qu’on ne le pense, plus difficile à comprendre.

Apprendre à refuser toute vision déformée par l’essentialisme. Combattre une pensée figée dans le déterminisme. Tel serait le défi de l’enseignant qui défendrait la libre pensée. Apprendre que l'on nait pas homme mais qu'on le devient, comprendre que le chemin est plus important que l'arrivée. 

Apprendre à observer la diversité, la pluralité, la singularité des phénomènes qui nous entourent. Se méfier de l’universalisme mais comprendre l’universel. Se méfier de l’égalitarisme mais défendre l’égalité. Apprendre à se tenir à distance des clichés, des stéréotypes. Eviter les confusions entre groupes ethniques, langues, religions, culture. Se tenir à distance des explications directes et simplistes.

Apprendre à se tenir à distance de tout ce qui classe, hiérarchise, différencie les êtres humains, de tout ce qui les catégorisent. Prendre conscience que malheureusement ni la culture, la connaissance, l’éducation ne peuvent empêcher la soumission et la barbarie, mais toujours espérer que l’esprit critique soit une arme pour apprendre à désobéir lorsqu’il le faut, toujours espérer que les hommes écoutent d’abord leur conscience au lieu de suivre les propagandes silencieuses, au lieu d’être absorbés par une société totalitaire qui ne dit pas son nom.
Apprendre à sauvegarder l’indépendance de l’esprit. Ce sont les voeux que je formule. C’est la première révolution que je souhaite. Il n’existe pas de transformation sociale sans transformation personnelle. Le changement doit être dans un premier temps individuel. 

Si l’école obéit à la loi du marché, si toutes les activités doivent être rentables, ce progrès individuel ne pourra jamais avoir lieu.

La question n’est pas de savoir si la culture peut nous sauver, mais de percevoir quelles sont les cultures médiatiques, publicitaires, partisanes qui détruisent la pensée. La pensée qui se fige, qui ne se met plus en mouvement, qui s’est arrêtée en chemin, qui n’écoute plus, qui est repliée sur elle-même. Je voudrais une autre pensée pour mes élèves, comme je veux une autre école qui éduque autrement. 

Si nous demandons aux élèves seulement de produire, reproduire, de simplifier, de diagnostiquer, alors pourquoi déplorer leur manque d’imagination. Si notre but est de les intégrer à une société qui est malade pourquoi alors vouloir les inciter à changer cette société où tout le monde court après l’argent, où tout le monde veut avoir plus quitte à s’épuiser, à se rendre malade, à finir crevé retraité à soixante-sept ans! 

A voir, à lire, tous ces gens remplis de certitudes, de convictions, d’analyses rapides, de jugements définitifs, à lire tous ces fake news, à voir tous ces gens assis dans le confort de leur expertise et de leur pseudo théories, je me dis que les élèves devront recevoir les outils nécessaires pour être vigilants.  Gardons tel Diogène un oeil ironique contre les mondanités, contre le mépris des donneurs de leçons. 

J'apprends avec eux à tenir notre pensée indépendante. Le travail n’est pas fini, le tablier n’est pas encore rangé dans l’armoire, le compas doit s’ouvrir, l’ équerre doit résister à la tentation de l’explication facile. Le compas doit s’ouvrir sur la complexité de nos existences.  Retrouver alors une certaine lenteur, repenser au doute permanent, mourir pour des idées mais de mort lente, refuser d’obéir à tout ce qui ne viendrait pas de notre propre conscience. Sortir du bavardage, du café du commerce, du tapage, de la surenchère des commentaires sur Facebook, méditer, transfigurer nos passions, transfigurer nos ténèbres, au lieu de protester, de contester, de crier, se mettre au travail comme tous ces résistants discrets, invisibles, tous ces bénévoles, avant que la solidarité ne soit détruite par la fuite en avant imposée par le néo libéralisme. Alors en secret, je demande à mes élèves de rendre hommage à tous les insoumis, aux pacifistes, aux objecteurs de conscience, aux déserteurs, aux anarchistes.

Je les invite à se parler autrement.

 

 

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