Trump, de plus en plus dangereux

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 25 janvier

Le 24 janvier de chaque année - jour où il y a 45 ans la Cour suprême des États-Unis autorisa l’avortement -, les opposés à cette pratique, en grande majorité des évangélistes, défilent à Washington afin de clamer leur désapprobation. Hier ils ont eu la bonne surprise de voir Trump sur grand écran s’adresser à eux et leur dire sa solidarité. Jamais un président des États-Unis d’Amérique n’avait accompli pareil geste adoptant une position de sympathie active envers des citoyens qui contestent une loi du pays qu’il dirige. Plus on va s’approcher de la campagne présidentielle, et plus cet homme va être dangereux.

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Hier on signalait que 40 millions de Chinois avaient été placés en quarantaine. Le chiffre est passé aujourd’hui à 56 millions. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités prennent le coronavirus au sérieux. Le président Xi Jinping en personne est apparu sur les écrans pour annoncer que la situation était « grave ». Si l’on sait que le pouvoir chinois contrôle la diffusion de certaines informations (Internet est filtré…), on ne voit pas bien pourquoi il dramatiserait l’épidémie naissante. Du reste un hôpital réservé uniquement aux victimes de ce virus est en train de sortir de terre. Il sera opérationnel en dix jours ! Une leçon d’efficacité qui pourrait malgré tout être insuffisante.

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Une soirée de vernissage au Musée de la Photographie de Charleroi est toujours promesse de voyage enrichissant, de découvertes judicieuses, d’éveils inventifs. Après une brève errance dans les petites salles de cet ancien carmel, on gagne à 19 heures le centre de l’établissement. C’est l’heure où Xavier Canonne, le directeur ingénieux autant qu’érudit, va présenter l’ensemble de la réjouissance. Car il y a toujours quatre expositions au programme. Canonne est présentateur-animateur, orateur et maître de cérémonie dans une simultanéité que son éloquence rend trop brève. Le public en redemanderait s’il n’avait pas été mis en appétit de visite. Aujourd’hui, c’est « Les images révélées », la grande exposition consacrée à Magritte qu’il montra déjà, en tant que commissaire, sur plusieurs continents, qui est proposée sur terre de Belgique en exclusivité. On y décèle tous les aspects ludiques de l’artiste, liés au culte de la magie ordinaire, à la recherche du mystère, aussi bien dans les scènes de vie familiale (elle se traduit par « Les extraterrestres »…) que celles des complicités amicales (où Louis Scutenaire et Paul Nougé sont fréquemment associés). Ce sont surtout les collections de la famille Brachot et celles du président de la Fondation Magritte, Charly Hescovici, qui rehaussent ce remarquable ensemble. Dans la brochure contenant les cartons d’invitation, Canonne a réservé deux pages en bords perdus à la photo du tableau « La Clairvoyance ». C’est – si l’on ose dire – bien vu. Non content d’accueillir encore trois autres artistes à repérer (Laurence Bibot, Mathieu Van Assche, Diana Matar), il propose dans un coin de l’étage appelé à escient Boîte noire des films de l’agence Noor. On y retrouve le bon vieux Trump sous la caméra par Nina Berman. Le film s’intitule « Triumph of the shill » et d’emblée, en lisant le titre, on décèle avec angoisse le mot Trump dans le mot Triumph. Mauvais présage.

Dimanche 26 janvier

C’était en 1834. Á Genève, Eveline Hanska et Honoré de Balzac deviennent enfin amants. Il a 34 ans et n’a déjà plus que 16 ans à vivre. Attendue depuis longtemps vu la distance qui les séparait, cette journée sera qualifiée par l’écrivain d’ « inoubliable ». Il ne l’oubliera en effet jamais. Chaque 26 janvier s’inscrira pour lui dans un rite de commémoration intime.

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On se souvient du portrait bref et sec de Malraux par de Gaulle : « Brumeux avec quelques éclaircies. » Hier soir, Emmanuel Todd présentait son dernier livre (« Les luttes de classes en France au XXIe siècle », éd. du Seuil) dans l’émission de Ruquier « On n’est pas couché » sur France 2. Il n’y eut pas d’éclaircie.

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Á la manière des Miscellanées de Mr. Schott

Les cinq principaux exportateurs de déchets plastiques en Malaisie :

(en milliers de tonnes)

Japon 925

E-U. 811

Allemagne 701

Belgique 415

France 404

La Malaisie est la poubelle des pays riches. Elle semble se rebiffer, ne plus accepter ce rôle cette année.

Où vont passer ces montagnes de détritus convoqués autrefois par Roland Barthes (« Mythologies », éd. du Seuil, 1957) ?

Allô ! Greta ?

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On ne peut pas considérer que Jayro Bustamante a réalisé un film d’horreur avec « La Llorona » (en espagnol : La Pleureuse), même s’il le revendique. Peut-être pourrai-on lui concéder « horreur sociale », s’il s’accroche au mot. La Lorona est un personnage des croyances incluses dans le folklore de l’Amérique latine. Le cinéaste l’introduit habilement dans son histoire au point que le réel, déjà horrible, est encore accentué par l’angoisse fantasmagorique dont elle est parée. Un vieux dictateur, génocidaire des indiens Mayas dans les années ’80, est séquestré dans sa maison avec sa femme, sa fille et sa petite-fille. Dehors, jour et nuit, le peuple manifeste, hurle des slogans, tambourine, lance des accusations, arbore des photos de disparus, etc. En un huis-clos pesant, on suit la vie dans cette maison tandis que les bruits épuisants de la rue ne cessent d’être perçus. Par le biais d’une domestique, l’étrange s’incruste dans la narration et l’on se perd entre le vrai du faux, du virtuel à l’ordinaire quotidien. Une œuvre forte, où la poésie du malheur domine jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Lundi 27 janvier

Il est des jours où les rédactions doivent connaître bien difficultés à choisir les informations qui constitueront les titres principaux, ceux qui sensibiliseront le citoyen matinal à la simple approche d’un présentoir de journaux, à la moindre écoute de la radio. Les priorités ne sont pas semblables d’un pays à l’autre lorsque l’embarras du choix survient. Ce matin, la commémoration du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz domine, bien évidemment. L’évolution du coronavirus, malgré les mesures draconiennes prises par le autorités chinoises, reste prégnante. La mort de deux grands champions, un footballeur et un basketteur, n’est pas non plus à ignorer. En Italie, les titreurs ne connaissent pas de dilemme. Cette nuit, les résultats des élections régionales en Emilie-Romagne revêtent un intérêt suffisamment significatif pour effacer les autres annonces. La gauche a nettement battu l’extrême droite de Salvini, qui en faisait un test de stabilité gouvernementale. Non seulement ces élections régionales développaient donc une importance nationale, mais elles influençaient aussi l’évolution de l’Union européenne et il est dommage que les médias des 27 autres pays de l’UE ne s’y soient pas autant attachés (L’Italie est la huitième puissance économique mondiale, la troisième de la zone euro…). Deux enseignements majeurs se dégagent de ces résultats : 1. Il est possible d’arrêter la progression de l’extrême droite. 2. La gauche peut toujours mobiliser, lorsque l’enjeu est fondamental (la participation au scrutin a presque doublé par rapport à la dernière consultation, en 2014)

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Le célèbre avocat pénaliste Éric Dupond-Moretti voudrait revoir la manière dont les salles d’audience sont conçues. Il utilise en métaphore le langage sportif pour mieux se faire comprendre : « La justice est le seul sport où le maillot de l’arbitre est le même que celui d’un des joueurs, l’avocat général. Ils entrent par la même porte, ils portent la même robe et ils sont au même niveau. Cela fait beaucoup ! Il est légitime que l’accusé qui se fait broyer dans une machine pareille considère que tout cela n’est pas bien sérieux ». (Entretien avec Francis Van de Woestijne, La Libre Belgique, 18 janvier 2020). Dans une époque où l’image est action, moteur de la société, si les audiences étaient télévisées, ces nuances de fond reflétant une inégalité criarde dans le déroulement d’un procès sauteraient au regard.

Mardi 28 janvier

C’est une des caractéristiques originales de l’Union européenne d’adopter la langue d’un pays membre. Á ce jour, elle compte 24 langues officielles. L’anglais en est une. Elle devrait disparaître après-demain puisque le Royaume-Uni qui en était le sponsor ne fera plus partie de l’Union. Nombreux sont les décideurs - les gens qui compilent, actent, dirigent et commandent au sein de cette vaste machine – à déjà prendre les devants et annoncer que l’anglais demeurera la langue véhiculaire de préférence dans les rapports humains et les rapports écrits. Ne soyons pas naïfs : il est fort probable que les choses prendront ce tour-là. Et pourtant, elles seront en contradiction avec les règles de l’Union. Pourquoi l’allemand et le français ne sont-elles pas les deux langues les plus usitées ? Pourquoi le français, seule langue universelle avec l’anglais, ne s’impose-t-il pas ? Il y a là un beau et bon combat à mener de la part de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). De Gaulle n’en aurait même pas eu besoin. Car pour que la bataille puisse être engagée, il serait souhaitable que les hautes personnalités réputées francophones en viennent à le déclencher en donnant l’exemple, à commencer par le président Macron, qui pourrait ainsi inviter son ami Charles Michel, président du Conseil, à cesser de s’exprimer en anglais dans ses prestations officielles, et surtout réprimander Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale qui, quand elle était à Bercy, tenait des réunions en anglais avec ses collaborateurs, et qui ne put qu’entériner davantage son habitude lorsqu’elle en vint diriger le Fonds monétaire international ((FMI). Un combat n’est jamais perdu d’avance. De Gaulle, encore…

Mercredi 29 janvier

Il faut sauver le soldat Netanyahou. C’est la complainte fixe de Donald Trump. Alors, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, cet impétueux stupide a donc pondu un plan de paix tout à fait imbuvable. Il a convoqué le Premier ministre israélien à Washington, et il lui a remis. On sait déjà que ce plan ne sera pas accepté par les Palestiniens et qu’il est en contradiction avec les résolutions de l’ONU. Trump aussi le sait, bien entendu. Mais lui aussi est en campagne, et il a besoin des voix radicales qui soutiennent l’État hébreu depuis le pays qu’il dirige. Chaque fois que cet homme accouche d’une bourde, chaque fois qu’il pose un geste émanant de son délire mégalomaniaque, chaque fois qu’il commet une bêtise, on se dit que c’est inutile de le mentionner, que la chose, le temps de la transcrire, est devenue anecdotique… Et puis on l’annote quand même, dans un soupir, car c’est l’homme le plus puissant du monde… On ne peut omettre cette évidence à la fois désopilante et déstabilisante.

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Titre du Figaro : « Après 1000 jours à l’Élysée, le socle de Macron est passé de gauche à droite ». Oui. Et il y a beaucoup de ses électeurs qui disent qu’on ne les reprendra plus…

Jeudi 30 janvier

Le dernier vote consacrant le Brexit, la dernière séance du Parlement européen en présence des députés britanniques… La séance historique d’hier soir laissera des images pathétiques ; les parlementaires formant la chaîne d’union, certains en larmes, chantant « Ce n’est qu’un au revoir », « Nous nous reverrons… ». C’est la première fois qu’un pays membre de l’Union européenne la quitte. C’est tellement vrai que l’hypothèse n’était même pas prévue dans les textes, pourtant si nombreux (trop ?) et denses qui règlent le fonctionnement de l’UE. Il convient à présent de déterminer en textes légaux les nouvelles relations qui doivent s’établir entre le Royaume-Uni et l’Europe. Onze mois sont prévus. Sera-ce suffisant ? De l’autre côté du Channel, la feuille de route de Boris Johnson est claire : assumer les conséquences du Brexit. C’est maintenant que l’on va très vite constater si les citoyens d’Elisabeth sont gouvernés par un nouveau Churchill. Le politologue Tim Bale, spécialiste du parti conservateur, s’adressait à lui via L’Obs en octobre : « Tu peux essayer de ressembler à Churchill, de parler comme lui, de marcher comme lui, mais cela ne fait pas de toi Churchill. Il a sauvé le pays dans ses heures les plus sombres. Il ne l’a pas plongé dans ses heures les plus sombres. » Sévère adresse, mise en garde inclémente. Wait and see… Encore… Mais pas trop longtemps…

Vendredi 31 janvier

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Autrefois, c’était l’arithmétique millénariste qui donnait des frissons. L’approche de l’an mil permit à l’Église catholique de resserrer son pouvoir sur les braves gens terrorisés à l’idée de vivre la fin de ce monde sans savoir comment ils seront dans l’autre. La fin du deuxième millénaire fut moins sacralisée. Ce fut surtout le grand couturier Paco Rabane qui tint le haut du pavé. Après avoir annoncé la fin du monde, il se ravisa et précisa que celle-ci était prévue dans cinq milliards d’années, lorsque le soleil s’éteindra. Reconnaissant qu’il s’était trompé dans ses calculs, il déclara qu’en fait, seul Paris disparaîtrait, laissant supposer que, de toutes façons, le monde sans Paris ne serait plus le monde. Belle déclaration d’amour masquée à la Ville Lumière. Il en fit même un livre (« Le feu du ciel », éd. Michel Lafon). La supercherie relevait de la poésie. Paris serait noyé dans l’obscurité en plein jour le 11 août 1999 par une éclipse totale du soleil, la dernière du millénaire. En abordant le troisième millénaire, un néologisme allait signifier que la question de l’effondrement devenait plus sérieuse. Sans être une science, la collapsologie est une étude transdisciplinaire basée bien entendu sur l’écologie, mais où se mêlent démographie, anthropologie et, inévitablement, politique. Il s’agit d’examiner le processus qui conduit à la période où les besoins de base (eau, alimentation, …) ne sont plus assurés. Car la Terre n’est pas infinie, elle est limitée, donc un jour viendra où elle ne pourra plus héberger davantage de terriens. Le numéro de février de Philosophie Magazine développe un dossier remarquable sur ce thème auquel il aurait cependant été bien d’ajouter des illustrations et des évocations de plusieurs expositions présentées depuis longtemps à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (boulevard Raspail) qui explore ce thème, en démontrant ainsi aux philosophes que si les artistes les précèdent souvent, ils se rejoignent vite, ensemble, en une fructueuse complémentarité. Du reste, la couverture de ce numéro serait bien là pour plaire Edward Hopper. Le frisson est assuré par la lecture de ces pages-là. Toutefois, la prise de conscience persuade qu’il n’est pas encore l’heure de se flinguer. D’autant qu’à la fin de la revue, on retrouve François Morel réfléchissant, comme Hannah Arendt, à la notion de Culture (sujet qui n’est jamais éculé) et que Martin Legros propose un questionnaire différent de celui de Marcel Proust. Olivier Assayas s’y soumet. – Quel est pour vous le lieu qui se rapproche le plus de la cité idéale ? - Le vert paradis des amours enfantines.

Important : noter à l’agenda qu’il faut lire Baudelaire avant la fin du monde.

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