Ernesto Novo, 10 portraits, respect!

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Mardi 14 mai, il fait beau sur Paris (enfin !). J’attends depuis plusieurs jours la bonne lumière pour aller photographier les 10 portraits d’Ernesto Novo au 64 de la rue du Moulin des Près dans le 13e arrondissement. Et, la lumière fut !

J’arrive par la rue de Tolbiac et, au carrefour de la rue du Moulin des Près, je vois peints sur 5 étages, les portraits d’Ernesto Novo. Ils sont peints sur un mur pignon d’un HLM géré par Paris Habitat. Je commence à photographier du trottoir d’un face pour limiter les distorsions quand j’entends appeler dans mon dos « m’sieur ! m’sieur ! m’sieur ! ». N’étant pas le seul piéton sur le trottoir, je pense que l’interpellation est destinée à un autre quidam. Je continue à mitrailler la façade et les « m’sieur ! » reprennent, à peine plus forts. Je me retourne et je vois assis avec un pote sur un banc, derrière moi, un homme âgé qui me montre du doigt le mur en me disant : « C’est moi, m’sieur, qu’est sur le mur ». En effet, je reconnais son visage, sa casquette. C’est bien le portrait de cet homme qu’a représenté Ernesto Novo. Nous engageons la conversation et Paulo, c’est son nom, m’explique par le menu, le photographe qui l’a pris en photo, le peintre qui se les gelait sur la nacelle avec M. Milos Drincic qui conduisait l’engin la semaine dernière, son appartement dans le HLM en face. Je l’interroge pour savoir ce que ça lui fait d’avoir son portrait sur le mur de l’immeuble. Sa réponse est lapidaire : « J’suis content ! ». Je lui demande son autorisation pour le prendre en photo. Il accepte en me disant : « Tu pourras les montrer à ton pote, le Vietnamien ! ». Un de ses compagnons d’infortune, assis à côté de lui sur le banc, sort de sa poche une flasque d’alcool. Je comprends alors que notre entretien est terminé. Je fais quelques pas pour compléter mon « reportage » et j’entends derrière moi de nouveaux « m’sieur ! », destinés à d’autres, à des passants qui vont attendre le bus. Je comprends alors que cette courte séquence illustre l’activité principale de notre homme. Toute la journée, sur le banc, il montre son portrait aux badauds, là haut, peint sur le mur . Pressés (les badauds sont toujours pressés !), un peu sur la réserve d’être interpellés ainsi, ils reconnaissent son visage et sa casquette. Ils continuent leur vie de badauds. Et, lui, tous les jours, toute la sainte journée, est assis sur le banc pour montrer son portrait.

Une rencontre, quelques paroles échangées avec un homme auquel personne ne parle. Un sourire, un peu de fierté et de dignité retrouvées.

Le projet des 10 portraits a été porté par l’association « Enlarge your Paris » qui, comme l’annonce son « nom-programme », veut élargir élargir notre vision de Paris et de la banlieue par la culture. Le bailleur social a donné sa bénédiction. Les habitants du HLM ont adhéré au projet et 10 d’entre eux ont accepté de voir leur visage peint sur la façade de leur immeuble. Ce projet sur le fond ressemble au projet mené en juin 2017 à Créteil, dans le quartier du Mont-Mesly. Ernesto y avait peint 9 superbes portraits des habitants de la cité.

Dans un premier temps, des photographies ont été réalisées. Ernesto Novo, après avoir choisi les clichés, pendant 8 jours a peint 10 portraits, dans le froid, sous la pluie, sur un vilain mur d’un immeuble voué à une prochaine démolition.

Le peintre a peint 10 portraits en suivant les règles qu’il s’est imposées. Ils sont de mêmes dimensions, disposés symétriquement et alternent les visages des habitants du HLM, des jeunes, des encore-jeunes, des hommes, des femmes, des Blancs, des Noirs. Les portraits ne sont pas un « échantillon » de la population de l’immeuble. Ernesto n’est ni statisticien, ni sociologue et son ambition est, simplement, dirais-je, de valoriser l’image des « petites gens ».

10 portraits, 8 jours, grosso modo, un sacré taf! On saisit la volonté de l’artiste de consacrer à son travail le temps qu’il faut. Sur un crépi rugueux formé de gravillons, Novo, non seulement a saisi la ressemblance, mais a traduit avec beaucoup d’élégance les rires, les sourires esquissés, le sérieux des « modèles » devant l’objectif, leur timidité aussi.

Des portraits sensibles qui traduisent la profonde humanité du photographe et du peintre. Pour mettre en valeur les portraits, sombres sur un fond clair, Novo, comme il le fait souvent, les a cernés de couleurs vives. Ces éléments décoratifs, ces courbes de couleur qui détourent les visages, recherchent un contraste fort, entre elles et entre le visage et elles. L’artiste comme nous le voyons sur le beau portrait d’une jeune femme portant des lunettes de soleil, a tout fait pour s’approcher autant que possible (autant que le support le lui permettait !) de l’exactitude de la représentation. Sans pouvoir les identifier, nous voyons, dans les verres des lunettes, des reflets. Un détail, me direz-vous ? Oui, un détail révélateur qui témoigne du respect qu’Ernesto a porté à ses « modèles ». Il leur « doit » la ressemblance et le souci du détail. Respect du détail, respect de la ressemblance, ces mots ne doivent rien au hasard car il s’agit bien ici de respect.

Reproduire les traits des visages des habitants sur leurs habitations est une idée qui a déjà germée dans l’esprit des artistes. JR, le photographe, l’a fait à plusieurs reprises en France et ailleurs. Il n’en est pas pour autant le dépositaire du « concept ». Ernesto Novo comme dans les portraits des hommages qu’il a rendus aux Résistantes panthéonisées et à Hismo, un jeune garçon lâchement poignardé dans le dos, par la qualité de son travail de portraitiste, montre le respect qu’il porte aux personnes dont il peint le visage.

Les habitants du HLM qui ont vu Ernesto Novo, sur sa nacelle, se battre avec le mur, dans le vent et le froid de ce printemps qui n’arrive pas, ont compris le sens du projet : témoigner du respect pour leur personne. Eux qui plus souvent qu’à leur tour, sont stigmatisés, humiliés, ségrégés, objets de la xénophobie et du racisme ambiant, du machisme. Eux qui se sentent « en trop » dans notre société parce qu’assistés, aidés, infériorisés.

Exposer bien en vue à un carrefour des visages, c’est dire aux passants « Regardez-nous, nous habitons dans cet immeuble. Nous existons. Nous sommes dignes d’être peints par un artiste. Nous sommes comme vous, de tous les âges, de toutes les couleurs. Nous sommes aussi la France. »

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Ce n’est pas une revanche des « gens de peu ». Simplement un marqueur de leur dignité.

 

Le portrait de Paulo.
Le "vrai" Paulo.
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