Le Brexit, ce sale coup à la démocratie

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Ce dessin de © Jean-Claude Salemi a été publié sur notre site au lendemain même du référendum ayant voté le Brexit. Nous étions en 2016. À la date prévue du Brexit, on en est toujours exactement là.

 
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Le feuilleton du Brexit, comme tout ce qui est ridicule, prête par définition au rire et à la moquerie, mais il ne faudrait pas perdre de vue que derrière tout cela, le plus grand perdant n'est ni le Royaume-Uni ni l'Union européenne, mais l'esprit démocratique. Le spectacle d'un état démocratique se déchirant jusqu'à un absurde bien plus tragique que le surréalisme à la belge, malgré son folklore et ses soubresauts, ses contradictions et ses personnages pittoresques, pose des questions cuisantes sur le bien-fondé de la démocratie.

On connaît le mot de Churchill: c'est le pire de tous les régimes, à l'exception de tous les autres. Est-ce le temps qui a passé, les menaces de guerre qui semblent désormais impossibles en Europe (et pourtant les dernières ont vingt ans...), une lassitude générale devant le constat d'un certain blocage, toujours est-il que la tentation de supprimer la seconde partie de la phrase est de plus en plus grande et qu'elle s'appuie, ô paradoxe, sur la proclamation d'une volonté démocratique. On le voit avec les gilets jaunes, par exemple, mais aussi avec les succès populistes et le souverainisme ambiant. Tous ces mouvements rêvent d'exercer le pouvoir en faisant miroiter que tout irait mieux si...

Si quoi? Si le référendum d'initiative citoyenne était instauré (en fait, certaines variétés en existent déjà mais sont peu pratiquées)? Le Brexit donne une belle illustration de ce qui peut se passer quand «le peuple» a parlé. L'addition des oppositions n'a jamais fait une majorité. En fait, «le peuple» n'existe pas en tant que tel (la nation, peut-être un peu plus). Comme en tout dans la nature humaine, «le peuple» est une addition d'aspirations individuelles et d'un sens plus ou moins large et plus ou moins fluctuant du collectif. Une des raisons de ne pas désespérer de l'Europe, soit dit en passant, est que des ensembles plus vastes et plus peuplés ont vu le jour. Si l'histoire nous apprend que ce ne fut pas toujours simple, ils existent encore, comme les États-Unis, pour ne citer qu'un exemple.

D'ailleurs le recours au peuple est une vieille tradition totalitaire dont le précurseur fut Napoléon Bonaparte. Il a abouti aux variantes du fascisme et du communisme. En version douce, cela existe aussi.

Entendons-nous bien. On peut parfaitement adhérer à l'idée selon laquelle se limiter à une élection tous les cinq ans débouche sur une confiscation du pouvoir par une classe, une élite, une oligarchie, vous mettrez ce que vous voudrez, et que consulter la base, comme cela se fait dans les contre-pouvoirs, au reste, a des vertus prouvées. Mais même un référendum local, dès qu'il dépasse une question subalterne, peut se terminer par un déni. Le département de la Loire atlantique s'est prononcé pour l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Il ne sera pourtant pas construit.

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C'est dans cette perspective qu'il faut analyser les votes contradictoires de la chambre des communes. Le pouvoir législatif allait reprendre la main et écarter l'exécutif. Et le même carrousel s'est mis en place: lundi, les Communes... revoteront sur ce qu'elles ont refusé après l'avoir proposé par des députés tant de la majorité (branlante et composite) que de l'opposition.

Aujourd'hui, le Brexit aurait dû avoir lieu. Ce qu'il en adviendra, apparemment, plus personne n'en sait rien, sauf que l'Union européenne perdant patience a clairement fait comprendre que c'est le 12 avril et sans accord, sauf improbable revirement britannique quant à une longue renégociation entraînant... de nouvelles élections locales et européennes. Mais ce qui apparaît déjà clairement, c'est qu'en prenant la main et en ne faisant pas mieux, le pouvoir législatif d'une vieille démocratie a démontré tristement que la représentation parlementaire n'est pas la panacée. Ouvrant ainsi la porte aux tentations totalitaires. C'est ce manque d'efficacité qui, disait Mussolini, mettait les trains en retard. Il voulait les faire partir à l'heure. On l'a cru. Comme aujourd'hui «le peuple» croit aux fake news que les médias essaient inlassablement de démonter, se rendant ainsi coupables de complicité active avec le système aux yeux de ce peuple autoproclamé qui réclame la démocratie en risquant de la tuer.

 
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