24 février 2072

Pour remettre les idées à l’endroit...

Par | Penseur libre |
le
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Le 24 février 2072

Une information de notre correspondant permanent à Kiev.

10 h.

Je me trouve actuellement à Kiev où j’assiste à une réunion internationale importante qui se tient au Palais de toutes les Russies. À l’invitation de l’Empereur de la Grande Russie (un des petits-fils de Vladimir Poutine), de nombreux représentants des pays du monde sont venus assister à une déclaration-surprise de ce dernier,

Les rumeurs vont bon train quant à l’objet de cette réunion. Les bruits les plus fantaisistes circulent. S’agit-il d’une annonce de retrait de la Russie de la Finlande, de la Moldavie et de tant d’autres annexés entre 2030 et 2035, au mépris des conventions internationales ? Peu y croient. Est-il question de rétablir les fournitures de gaz à la plupart des pays d’Europe  ? C’est peu probable. L’impatience s’est installée parmi les nombreux journalistes présents qui doivent se contenter pour l’instant de visiter et admirer le Grand Palais, construit à grands frais symboliquement sur les ruines de Kiev entre 2018 et 2024.

Une attachée de presse astucieuse a fait courir le bruit qu’il s’agirait d’une question liée à l’Ukraine. En effet, nous fêtons aujourd’hui exactement le cinquantième anniversaire de l’invasion de ce pays par la Russie.

14 h.

Le sommet s’ouvre à cet instant. L’Empereur, relativement ému, a prévu un discours de trois heures, longueur assez habituelle lors de ce genre de rencontres. Je vais tenter de le résumer à votre intention.

Après une introduction générale (une heure et demie quand même), il aborde enfin le vrai sujet. La Grande Russie a décidé de présenter ses excuses, ses regrets au peuple ukrainien pour ce qui s’est passé entre 2022 et 2028. L’opération spéciale s’est soldée par une victoire de la Russie, mais les dirigeants de la Russie actuelle se rendent bien compte, en consultant les derniers travaux des historiens (même russes) que le nombre de tués et de handicapés était vraiment trop important au vu des enjeux en présence. « Pourquoi ont-ils attendu 50 ans avant de s’excuser ?  » interroge un journaliste du Monde. La réponse est claire  : le nez dans le canon, le guidon plutôt, dans le feu de l’action, ils n'ont pas été conscients tout de suite de la gravité de cette agression. Ce n’est que lorsque les inimitiés se sont apaisées, lorsque des livres très bien documentés sont parus à propos de cette période difficile qu’ils ont compris ce qu’ils avaient fait. Même Cyril, le patriarche orthodoxe de toutes les Russies, avait soutenu cette invasion. Ils avaient donc la conscience tranquille, cette guerre était juste et voulue par Dieu. Lorsque le patriarche mourut, son petit-fils fut appelé à le remplacer1. Il prit sa charge à cœur et la première chose qu’il fit fut de relire la Bible pour se rafraichir les idées. À sa grande surprise, il tomba, dans le livre de l'Exode, sur la liste des dix commandements et l'un d'eux le troubla profondément. Il était ordonné « Tu ne tueras point ». Son grand-père, homme de foi et très lettré, l’avait-il oublié  ? Quoi qu’il en soit, il jura de remettre un peu d’ordre dans toute cette affaire. Il fut l’un des premiers artisans de l’organisation de la cérémonie d'aujourd'hui.

La séance se termina par un rituel qui émut cette fois toute l’assemblée. L’empereur remit un cadeau au délégué des Ukrainiens de Russie qui avaient eu le courage de retourner dans leur cher pays (ils avaient dû passer trois mois de rééducation dans un camp pour pouvoir le faire et n’avaient retrouvé aucune trace de leurs biens). Ce cadeau suscita la curiosité des plus hardis des journalistes précédents et bientôt son contenu fut divulgué. C'était un fragment du tibia gauche du président Volodymyr Zelensky assassiné en 2027. Un policier véreux chargé de faire disparaitre le corps avait conservé ce fragment et le produisait comme un trophée dans les cafés et les foires. L'État le lui avait racheté.

En aparté, l’Empereur précisa au délégué qu’une petite salle avait été préparée dans le Palais de toutes les Russies et que la relique y serait exposée comme il se doit.

Des applaudissements nourris clôturèrent cette journée qui restera bien sûr dans toutes les mémoires.

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Henry Landroit

1 Chez les Orthodoxes, les prêtres peuvent se marier, pas les évêques mais Cyril avait été prêtre avant d'accéder à la fonction suprême.

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