Ma mère, cette inconnue

Pour remettre les idées à l’endroit...

Par | Penseur libre |
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De ma mère, je n’ai que quelques souvenirs épars. D’abord, celui de ma naissance. Mais ce souvenir-là, on me l’a raconté.

Le 19 janvier 1941, j’ai surpris ma mère par une entrée au monde impromptue. J’aimais déjà faire des blagues. Cette matinée-là, elle ne se sentait pas bien. Un mal au ventre tenace qui engagea mon père à appeler le médecin de famille. Le Docteur Delvaux lui annonça que ce n’était pas lui qu’il aurait dû appeler, mais bien la sage-femme, car son épouse allait accoucher incessamment. Étonné, mon père, pourtant déjà géniteur d’une petite fille de six ans, se mit en devoir d’aller chercher la sage-femme qui par bonheur habitait dans le quartier. À son appel, elle apparut furtivement à la fenêtre, mais remballa mon père, prétextant qu’elle avait encore vu Alice se promener hier le long de la Meuse toute proche. Il faut dire que mon père avait la réputation de faire souvent des blagues à ses voisins. La semaine dernière encore, il avait effarouché sans pitié une de ses voisines (célibataire) en lui apportant un grand bocal entouré d’un essuie et en prétendant, je crois, qu’il lui apportait gentiment des poires en conserve. Dans le bocal (fermé quand même) se languissait un énorme rat qu’il avait capturé dans sa propre chambre.

Cependant, à force d’insister, il parvint à la convaincre de venir jeter un coup d’œil. Dans la maison familiale, à 11 h 30, j’étais en train d’atterrir dans une boite à chaussures, mais tout se passa bien. Rien n’était prêt cependant. Des voisins et voisines apportèrent le minimum pour que je puisse démarrer ma vie dans de bonnes conditions (des langes, bien sûr, et aussi un berceau). C’est ainsi que j’ai provoqué involontairement la solidarité dans mon quartier rien qu’en naissant. Bon, je n’étais pas un cadeau pour ma mère. Elle se remettait douloureusement d’une longue escapade en France lors de l’évacuation familiale en mai 1940.

Elle ne s’était aperçue de rien, ayant continué à être réglée comme du papier à musique... Il s’agit probablement d’un « déni de grossesse », chose encore assez courante chez les jeunes mamans. Mais elle avait plus de 40 ans !

Mon deuxième souvenir (ou le premier dont je me rappelle) fut une rare visite que je lui rendis dans sa chambre probablement en 1944. Elle était malade depuis longtemps, étendue là dans un grand lit. On m’avait recommandé de me tenir calme et de ne pas faire trop de bruit. L’atmosphère était presque solennelle et je n’y comprenais pas grand-chose.

Je ne me souviens pas d’une marque d’affection de sa part. Les circonstances l’en ont probablement empêchée.

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Mon troisième (et dernier) souvenir date de son enterrement, au mois de mai 1947. Je crois que je n’ai pas assisté à la mise en terre, mais lorsqu’on sortit le cercueil de la maison, j’étais présent, bien habillé et coiffé. Instinctivement, je m’approchai d’elle, mais une de mes tantes m’attrapa et me couvrit les yeux de son foulard.

Je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas regarder. Aujourd’hui encore, cela reste un mystère (ou un regret ?) pour moi…

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