Affaire Assange : clap de fin ?

Les indignés

Par | Journaliste |
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Une manifestation pour la libération de Julian Assange, place de la Monnaie, le 22 avril 2022. Photo © Jean Frédéric Hanssens

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Rappelons que l’éditeur, journaliste et fondateur de Wikileaks, Julian Assange, est poursuivi et détenu par la Justice étatsunienne pour avoir publié en 2010 avec l’aide de Chelsea Manning des câbles diplomatiques secrets qui prouvaient les crimes de guerre commis par l’armée US en Irak et en Afghanistan. Ces poursuites basées sur une loi contre l’espionnage datant de 1917 ont été entamées par l’administration Trump qui demande l’extradition d’Assange. Il risque jusqu’à 175 ans de prison !

Les 20 et 21 février prochains aura lieu l’audience d’appel de Julian Assange détenu à la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres depuis le 11 avril 2019, jour de son arrestation dans l’ambassade d’Equateur où il s’était réfugié depuis six ans et dix mois. Le 1er mai, il fut condamné à cinquante semaines de prison pour avoir brisé son bracelet électronique avant de se réfugier à l’ambassade équatorienne. Le 23 mai 2019, le grand jury US inculpe le journaliste de dix-huit chefs d’accusation basés sur la loi contre l’espionnage.

Et c’est le début d’une invraisemblable saga !

Le 24 février 2020 débuta à Londres le premier procès relatif à l’extradition d’Assange. La juge Vanessa Baraister se basa sur les seuls arguments avancés par la partie étatsunienne. Ce procès dura plusieurs mois, car il fut interrompu à la suite de la pandémie. C’est le 4 janvier 2021 que le jugement est prononcé : le tribunal se rallie à tous les arguments avancés par Washington, mais interdit l’extradition pour raisons de santé ! Le surlendemain, la mise en liberté d’Assange est refusée sous prétexte que les Etats-Unis ont annoncé qu’ils interjetteraient appel ! C’était au début de la présidence de Joseph Biden.

Le 26 juin 2021, l’ex-activiste islandais Sigurdur Ingi Thordarson, un des principaux témoins à charge contre Assange, se rétracte. Le 11 août, Julian Assange est auditionné dans le cadre de la procédure d’appel lancée par les Etats-Unis contre le jugement de Baraister. Les 27 et 28 octobre, la Haute Cour de Justice ouvre le procès en appel, les étatsuniens contestant les problèmes psychologiques et de santé de l’éditeur-journaliste. Le 10 décembre, la Haute Cour de Justice donne raison à l’appel américain. Les avocats d’Assange n’ont pas dit leur dernier mot : le 24 janvier 2022, la Haute Cour de Justice les autorise à saisir la Cour suprême britannique. Le 14 mars, cette Cour rejette le recours des avocats estimant que les « garanties » étatsuniennes ne soulèvent pas « un point d’importance publique générale » !

Le 23 mars, Stella Morris, avocate de Julian Assange et mère de leurs deux garçons pénètre dans la prison de Belmarsh accompagné du père de Assange, de ses deux fils et de quelques membres de sa famille pour procéder à leur mariage. Si les deux nouveaux époux ont eu droit à une demi-heure à deux, ce n’était pas dans l’intimité. Nouvelle humiliation !

L’audience de la dernière chance

Le 20 avril, la Justice britannique autorise formellement l’extradition de Julian Assange. C’est à la ministre de l’Intérieur Priti Patel d’y procéder. Le 17 juin, elle approuve l’extradition. Assange subit une nouvelle humiliation. Il est fouillé, mis à nu et enfermé ainsi pendant plusieurs jours dans sa cellule. Le 26 août, les défenseurs du fondateur de Wikileaks déposent un recours devant la Haute Cour britannique contre les Etats-Unis et Priti Patel en dénonciation d’une procédure abusive et politique.

C’est cette procédure qui fera l’objet des audiences des 20 et 21 février 2024 devant la Haute Cour de Justice. Un collège de deux juges entendra la dernière tentative des avocats d’Assange de faire appel de l’extradition. Ils demandent l’autorisation de faire appel de la décision de la ministre et de la décision du juge de district de la Westminster Magistrates Court en janvier 2021 lorsque son extradition a été bloquée pour des raisons médicales qui a été annulée suite à l’appel des étatsuniens.

Plusieurs questions se posent

Au passage, remarquons que malgré la demande des défenseurs de Julian Assange, il n’y a eu aucun appel sur le fond du dossier, à savoir les accusations d’espionnage formulées par les Américains qui furent retenues dans le premier jugement de Vanessa Baraister.

Assange pourra-t-il assister à cette audience ?

Il l’a demandé afin de pouvoir communiquer avec son équipe de défenseurs, mais la Haute Cour peut interdire sa présence !

La décision aura-t-elle un effet immédiat ?

On ne sait pas avec certitude si les juges rendront une décision immédiate à l’issue des deux jours d’audience ou s’ils réserveront leur jugement.

Que se passera-t-il si Assange obtient gain de cause ?

Une date sera fixée pour une audience d’appel complète.

Que se passera-t-il si Assange perd l’affaire ?

Si le droit d’appel lui est refusé, il n’y a pas d’autres possibilités d’appel au niveau national.

Assange peut-il saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ?

Oui. Le Royaume-Uni fait partie de la CEDH et la Cour a le pouvoir d’ordonner la suspension de l’extradition d’Assange. Elle peut le faire en émettant une instruction au titre de l’article 39. Les avocats d’Assange peuvent demander une telle décision si tous les recours devant les tribunaux britanniques ont été épuisés. Les instructions au titre de l’article 39 ne sont données que dans des "circonstances exceptionnelles".

Le gouvernement britannique peut-il contourner une instruction au titre de l’article 39 ?

Certaines utilisations de l’article 39 ont été controversées dans la politique britannique et le gouvernement britannique pourrait tenter de faciliter l’extradition immédiate d’Assange avant qu’une instruction au titre de l’article 39 ne soit émise ou subvertir l’instruction au titre de l’article 39 après coup. Toutefois, cela serait très controversé dans une affaire qui concerne la liberté de la presse et qui a des ramifications mondiales. Il s’agirait également d’une violation du droit international.

Qu’arrivera-t-il à Assange s’il est extradé ?

Il sera incarcéré dans une prison américaine de haute sécurité en attendant son procès. À l’origine, le juge de district avait refusé son extradition au motif que les conditions d’isolement rigoureuses auxquelles il serait soumis dans le système pénitentiaire américain mettraient sa vie en danger. Cette décision n’a été annulée en appel qu’après que les États-Unis eurent offert des garanties conditionnelles, qu’Amnesty International a qualifiées de « profondément erronées », car « le fait que les États-Unis se soient réservé le droit de changer d’avis à tout moment signifie que ces garanties ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites ».

Droit ou Soumission

Ainsi, le sort de Julian Assange sera définitivement fixé après l’audience de la semaine prochaine. La Justice britannique va choisir entre le Droit et la Soumission. Cela aura des conséquences vitales pour le journaliste – éditeur, fondateur de Wikileaks, mais aussi pour la liberté de la presse et de la communication dans le monde entier.

Si les juges choisissent le Droit, ils assurent la souveraineté de la Grande Bretagne qui, en d’autres temps, a montré au monde sa capacité de résistance. S’ils choisissent la Soumission, notre société libre est menacée dans ses fondements.

Wait and see.

Pierre Verhas

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