Alain Van Der Eecken et "Des lendemains qui hantent"
Nous sommes à la charnière de l'an 2000. L'Erika a fait naufrage au large de Penmarch, le mazout englue les oiseaux et les côtes de la Bretagne. Venue de Terre-Neuve, une tempête va balayer le pays. Sur fond de vent et de pluie, Martial Trévoux, greffier au tribunal de grande instance de Souvré, s'acharne à comprendre les raisons de la mort de Lulu, son gamin, foudroyé par les tirs fous de deux adolescents. Martial attendait son fils à la sortie de l'école. Des rafales crépitèrent. L'univers de l'homme de justice s'effondra avec l'enfant. Pour ne pas sombrer, Martial va se battre contre les faux-semblants pour tenter de percevoir un peu de clarté.
Alain van Der Eecken publie "'Des lendemains qui hantent" au Rouergue noir. Comme en 2016, avec "De si vieux ennemis", il sonde les fonds de notre époque par le biais d'une enquête complexe. Après avoir été journaliste en France et en Belgique (il vit à Bruxelles), Van Der Eecken utilise sa fine connaissance du monde judiciaire pour disséquer le processus d'une instruction et crever le plafond des apparences. Des personnages familiers, forcément étranges, balisent un parcours aux fulgurances contemporaines, cousines du film "Roubaix, la lumière", polar nordiste. Page 140, l'auteur cerne en ces termes cliniques l'approche du commandant de police Achenbauer: "Le flic s'intéressait à ce que d'autres appelaient des incohérences. Il savait que la vérité était tissée de ces désordres dont on ne percevait la logique que lorsque le tableau apparaissait enfin".
En arrière-plan le drame de l'Erika et la tempête décrivent la fin d'un monde et font chanceler des certitudes. Un peu comme en ce printemps, le covid-19 a fait exploser notre quotidien. Dingue, pas vrai? L'auteur ne lâche jamais le fil rouge d'une recherche au tempo cadencé comme la loco de "La Bête humaine" et cisèle ses décors, ambiances et dialogues. Il intrigue avec les parfums pourris de l'antique cuisine romaine - connaissez-vous les recettes d'Apicius?- , et l'eau-forte des portraits qui déferlent. Il y a Micoulon, le juge d'instruction. Et cet avocat qui a tout vécu, usé jusqu'à la trame. Debout quand même. Puis ces femmes, dans la quarantaine, fortes, malgré tout. Belles. Et les flics, les autorités, les bars, les cafés, les bagnoles, les néons, les aubes et les nuits sans sommeil, avec la "Kro" devenue tiède. Achenbauer utilise sa Peugeot 504 personnelle et ne se sépare pas d'une mallette usée jusqu'à ses ultimes coutures. Un peu comme lui...
Van Der Eecken installe le lecteur au bout du comptoir pour écouter ses personnages foutraques dans des décors blues échappant on ne sait comment au cafard. Il agite les ingrédients d'un cocktail d'humour et de capacité d'observation qui fait le ton inimitable, au débusqué d'une phrase, genre: "Il était à peine une heure du matin. Martial traversait des bourgs clignotant d'illuminations pisseuses. Des paquets d'humains sortaient des églises, endimanchés de foi oécuménique. Le courant majoritaire dinde et marrons fraternisait avec la chapelle homards et chapon, le blouson de skaï côtoyait le loden dans une débauche d'amour du prochain pour les siècles des siècles, disons une nuit, ou presque".
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