Au Bois du Cazier, le message humanitaire de Michele Cicora

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Au Bois du Cazier, le groupe de travail chargé d'identifier les morts inconnus de Marcinelle annonce les résultats des analyses ADN des dépouilles exhumées. Michele Cicora (à droite) ne retrouvera pas son père. Mais les familles Di Quilio et Pellegrims, grâce à l'action menée par Michele, pourront se recueillir devant une tombe. Photo Marcel Leroy)

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Eglise des Haies, sur les hauteurs de Marcinelle, en surplomb du site du Bois du Cazier. Poignante cérémonie funéraire, au nom des victimes du Bois du Cazier dont la tombe porte depuis 1956 la mention "inconnu". Jusqu'au moment, voici quelques années désormais, où Michele Cicora, professeur à Londres, originaire de San Giuliano di Puglia dans le Molise, entama sa longue entreprise pour que la dépouille de son père Francesco soit enfin identifiée. Debout devant les dalles portant la mention "inconnu", Michele avait le coeur lourd. Pour sa mère, pour ses frères et soeurs, il allait tout tenter afin de ramener son père dans son village du sud de l'Italie, pour reposer en paix. Echappant à la solitude qu'il éprouvait quand il travaillait si dur, si loin de chez lui, en août 1956, quand l'incendie fit rage, fauchant 262 vies. 

Michele, comme depuis son appel lors d'une cérémonie du 8 août, est plongé dans ses pensées. Cet homme aura soulevé des montagnes en parvenant à convaincre de nombreuses personnes - les gens du Bois du Cazier et diverses autorités, scientifiques, chercheurs, un juriste et un entrepreneur de pompes funèbres et les familles concernées-  à se lancer dans une enquête réquérant de multiples autorisations officielles et contributions diverses dont l'analyse ADN des dépouilles exhumées. Il aura fallu de longs mois, cdes années même, pour cette enquête complexe s'enracinant dans un passé triste. 

Michele aura tout suivi, effectuant à maintes reprises le voyage à Marcinelle, porté par l'espoir. Il aura vu le soin et le respect témoignés pour les corps exhumés. Il aura mesuré l'intensité de la lutte menée au nom de l'importance de la mémoire. Parce que les mineurs en descendant dans le fond risquaient leur vie pour du charbon. Deux identifications formelles auront abouti. Celles d'Oscar Pellegrims et De Dante Di Quilio. Et quatre exclusions formelles. Où reposent Francesco Cicora, Edmondo Cirone, Francesco Martinelli et Eduardo Romasco? Aucune trace de leur ADN n'a été repérée sous les dalles dees "inconnus". Peut-être reposent-ils sous une pierre portant un autre nom, quelque part. La vérité est que dans les jours terribles qui suivirent le drame de Marcinelle, identifier les corps fut un terrible processus  sur fond d'urgence, d'émotion, de tristesse et dans l'urgence de remonter des vivants, ce qui ne fut pas possible, au-delà des premières heures.

Sachant qu'il ne reviendra pas à San Giuliano avec son père, Michele a dit à Marcinelle que la consolation était de voir que des familles avaient trouvé une sorte de paix avec les identifications effectuées. Il a rappelé le long parcours, les amitiés rencontrées, l'engagement désintéressé des personnes associées à la cause, et a conclu avec ces mots...

"Pour tirer les leçons de cette tragédie il faudrait relire l'histoire des 80 dernières années et l'évaluer dans son déroulement, et non en fonction des idéologies politiques de chacun. On doit être fiers d'avoir fait tant de progrès, mais nous n'avons rien appris de l'histoire si nous continuons à ignorer l'aspect humain, à exploiter des peuples entiers pour le profit de quelques-uns qui amassent de grandes richesses, ou à suivre des idéologies politiques extrêmes. C'est la seule façon d'éviter que ne se répète le drame qui se joue quotidiennement dans les eaux de la Méditerranée. La plupart d'entre-eux, au risque de perdre la vie en migrant, sont victimes de l'égoïsme et de la soif de pouvoir de gouvernants sans scrupules, qui conduisent ensuite à l'exploitation et à l'humiliation".   

Ainsi parlait Michele Cicora, à Marcinelle, au nom de son père Francesco. Ainsi nous parlait Michele, qui incarne avec dignité et stoïcisme le refus que son père soit mort seul, loin de chez lui. Mais refusera toujours de voir son père tomber dans l'oubli. Chacune, chacun, en cette église des Haies, l'autre jour, pensait à ces travailleurs tombés au nom d'une sorte de guerre économique. A Charleroi, toute une ville se sent  solidaire, comme Michele Cicora, de ces travailleurs à la funeste destinée. Il était question d'honneur et de respect, au Bois du Cazier. Tant d'efforts pour une idée, c'est aussi un réconfort, en ces temps si durs pour les citoyens les plus faibles, au plan matériel. Innombrables et si peu visibles. Mais pas ici.   Honneur d'une cité. 

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Au cimetière de Marcinelle, la pelouse d'honneur, avec son monument, sera remodelée maintenant que les corps exhumés ont retrouvé leur sépulture. Pour certains, avec des noms sur les dalles. Pour d'autres seule restera la mention "inconnu". (Photo Marcel Leroy)

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