ANTOINE WAUTERS

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 6 min.

Antoine Wauters

Mahmoud ou la montée des eaux

Editions Verdier (140 pages, 15,20 euros)

J'attendais avec impatience le 19 août, date à laquelle les libraires allaient recevoir la plupart des nouveautés de septembre. Dès le matin, je me suis rendue à la librairie "Lo Païs" à Draguignan et j'ai commencé à butiner de rayons en rayons...jusqu'à ce que j'ouvre un livre à la couverture jaune (de la talentueuse maison d'édition Verdier) et que je commence à lire des pages de "Mahmoud ou la montée des eaux", j'ai arrêté net le feuilletage, suis allée à la caisse, et ai quitté la librairie, mon précieux livre dans le sac.

Mais, dès le lendemain, achetant le Monde des livres, que vois-je ? Une pleine page consacrée à "mon" livre ! une page dans le Monde laisse souvent présager un succès de presse important (au moins, et souvent suivi d'autres, de grosses ventes, un prix littéraire, voire plusieurs...) or, j’essaye de parler ici de livres qui ne font pas trop de bruit...j'ai commencé la lecture...et décidé que, tant pis, advienne que pourra, ce livre est l’élu.

Antoine Wauters a écrit là un texte à la fois éprouvant et mystérieux. Éprouvant parce que nous sommes en Syrie, sous la présidence de Bachar Al-Assad qui a plongé son pays dans une guerre dont nul ne voit la fin ; mystérieux par sa construction où plusieurs voix s’entrecroisent pour nous dire les souffrances d’un peuple, d’un homme, d’une famille décimée. Il y a celle de Mahmoud Elmachi, écrivain, ancien professeur qui a fui l’enseignement parce qu’il en avait assez “d’être payé pour entretenir la corruption, et l’ivresse de pouvoir” du président haï ; celles des femmes aimées, des enfants. Ces voix s’interpellent, racontent le passé, l’amour, les jeux, les bains dans le lac, les années de prison, les poèmes de Mahmoud, les voyages, et puis la guerre, toujours au présent…

Tout commence par le barrage de Tabqa, construit sur le fleuve Euphrate entre 1968 et 1973 sous le mandat du père de l'actuel chef de l'état, il est le plus important de Syrie, Il mesure 4,5 kilomètres et sa retenue, le Lac Assad, couvre 630 km2. C'est la plus importante réserve d'eau de ce pays, c’est dire à quel point il est devenu un enjeu stratégique dans les conflits actuels.

Et il a nécessité le déplacement de 11.000 familles dans une ville nouvelle qui est située à côté de l’ancienne ville de Tabqa et porte le même nom.

car ainsi vont les choses par chez nous.

Au besoin, on change la vie des fleuves,

on les déplace.

Ensuite, on les envoie vers leur nouvelle adresse […]

Je comprenais la tristesse des fleuves, mais aussi

Les révolutions voulant asservir la nature,

Pour notre bien. Pour le bien de tout le monde.

J’y croyais.

Sur la rive du lac, la barque de Mahmoud Elmachi est ancrée non loin de son cabanon.

Accéder à l'oubli, voilà ce que recherche Mahmoud en nageant chaque jour dans les eaux du lac qui sont le tombeau des vestiges de la citadelle du XIIème siècle, Qal' at Jàbar... mais aussi des rues, des cafés, de l’école du village de son enfance, celui où il a conçu ses propres enfants...mais l'oubli ne vient pas, la mémoire est là, qui l’assaille.

« Je me suis allongé sur le miroir

des mots

L'eau des mots.

J'ai plongé

L'écriture comme une barque

Entre mémoire et oubli »

Il pense à son pays, il pense qu’un jour, bientôt peut-être, le barrage cèdera à cause de la folie destructrice des hommes et que tout disparaîtra mais que tout sera calme, enfin ; il pense à Leïla sa première épouse aimée, morte à la naissance de leur fille, à Sarah, violée et tuée par des soldats, avec qui il a conçu leurs trois enfants disparus dans la violence de cette guerre.

Poète reconnu au-delà de la Syrie, Mahmoud imagine quelqu'un qui le lit dans un autre pays et qui se demande : « ce qui peut bien pousser un homme à écrire des poèmes aussi doux que les miens, dans un pays aussi brutal ? ».

Ce texte, empreint d’une profonde mélancolie, n’évite aucune des souffrances endurées par Mahmoud le poète, par le peuple syrien ; pourtant lui aussi recèle une douceur particulière. Antoine Wauters, pour nous raconter ce pays torturé, la vie de ce vieil homme, de sa famille, utilise une prose élégiaque qui nous emmène au-delà de la douleur, de la souffrance, des violences de la guerre qui viennent sans relâche buter contre la douceur de l'eau, la beauté du paysage, l'amour de Mahmoud pour ses enfants, pour Leila et Sarah, son plaisir de nager, de soigner un chien perdu, de murmurer des poèmes aux insectes…autant de caresses qui tiennent à distance la brutalité de cette partie du monde dévastée.
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L'auteur a publié, principalement chez Verdier, "Nos mères", a reçu en 2014 le prix Première de la RTBF (l'écrivain est liégeois) et un prix Révélation de la Société des Gens de Lettres.

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