ANTIPOLIS de NINA LEGER

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 6 min.

NINA LEGER

Antipolis

Éditions Gallimard - 180 pages - 17 euros

Sophia Antipolis. Vous connaissez ce nom ? Il s’agit d’une ville située un peu au-dessus de la Côte d’Azur, entre Antibes et Valbonne. Ce nom m’a toujours inquiétée, je ne suis jamais allée à Sophia Antipolis parce qu’en fait, j’avais peur de ce que j’y trouverais. Pourtant ce nom implique à la fois la notion de sagesse et de ville, « ville en face » traduit-on, ancien nom grec d’Antibes, en face de quoi ? mais on a aussi dit « ville opposée « ou « anti-ville », cela pourrait rassurer, mais non car immédiatement suivie des noms « technopole » et des appellations comme « pôle de technologies » et « Silicon Valley française » …toute cette ferveur technologique au-dessus de la fameuse « Baie des Anges » d’Antibes…je préférais ignorer !

Ce nom a donc flotté quelque part dans ma mémoire jusqu’à ce que je découvre, il y a quelques semaines, un roman nommé « Antipolis » et que je lise, sur la page de couverture : « A la fin des années 1960, un ingénieur fonde une ville sur un territoire prétendument vierge. ». Tope-là, je vais enfin m’approcher de cette ville-concept par le biais d’un « roman topographique » précisait le texte de la 4ème page de couverture.

Tout commence par le rêve fou de Pierre Laffitte, polytechnicien, ingénieur des Mines, qui veut fonder « une ville du futur pour susciter le futur ». Nina Léger nous fait découvrir l’homme et, à travers son histoire d’amour avec une femme de lettres, l’utopie qu’il édifiera avec elle. Sofia Grigorievna Glikman-Toumarkine, d’origine russe, universitaire. Passionnée par le poète russe Alexandre Blok, elle lui consacrera sa thèse qu’elle publiera d’abord sous le nom français de Sophie Bonneau*.

« C’était la forêt, il y bâtiraient une ville.

C’était la garrigue en broussailles ; ils construiraient des bâtiments aux géométries exigeantes.

Il y aurait des entreprises, des universités, des laboratoires, des centres de recherche. […].

Il n’y avait rien, il y aurait tout. »

Et en effet, un jour il y aurait Tout et la ville s’appellerait Sophia…une « Florence du XXème siècle, une Athènes future. »

Mais entre l’utopie, les rêves et leur réalisation, que d’embûches, que d’espoirs malmenés, que de découvertes mises au jour et qui infléchiront cent fois le cours de la folle entreprise sur plus de trente années.

Nous lisons un roman bien sûr et Nina léger sait faire palpiter notre cœur au rythme de la passion amoureuse de Sophia et Pierre, de leur passion commune pour que Sophia Antipolis advienne, des années qui défilent et nous montrent les politiques, les entrepreneurs, les architectes, les urbanistes, les forestiers, les ouvriers…tout un monde qui réfléchit, calcule, négocie, élabore, détruit, construit…

…Et puis, 40 ans plus tard, quand l’utopie a pris forme, que des entreprises se sont installées, qu’ont été déjà créées des places, une église, des écoles, des stades, surgit dans le récit une jeune femme, Sonia, chargée de projets pour une société de promotion immobilière sur la Côte d’Azur. Sonia commence des études pour l’installation d’immeubles de bureaux sur l’une des zones encore vierges de Sophia, et fait la découverte soudaine qu’au milieu de ces garrigues, de ces forêts, des hommes, des femmes ont travaillé, habité, habitent encore des masures en lisière des bois, sur ce territoire « prétendument vierge », juste en face des lotissements tout neufs où vont être logés les ingénieurs, leur famille. Ce sont les rapatriés d’Algérie que l’on avait fait venir là au début des années 60, au cœur de cette forêt qui brûlait chaque année, faute d’entretien et de main-d’œuvre pour ce faire.

Ils vinrent là pour entretenir.

Cette double histoire lève le voile à la fois sur la genèse de l’avènement d’une ville au cœur d’une forêt et sur la « disparition » d’un îlot d’habitations caché au cœur de cette même forêt.

Nina Léger a étudié les archives, arpenté les collines de Sophia Antipolis, elle nous livre ici l’aboutissement de toutes ses recherches mais c’est aussi, c’est surtout, un roman qu’elle a construit, un roman d’amour en même temps qu’une épopée moderne vibrante, souvent cruelle, qui nous parle d’espérances, de ténacité et de renoncements, d’ingéniosité inventive et de calculs politiques, qu’elle a su écrire avec une belle sensibilité poétique.

Au milieu de l’écriture de cet article, je suis allée à Sophia Antipolis.

La ville n’existe pas.

Il y a bien des collines d’où parfois on aperçoit la mer, des chênes, des pins, des garrigues, des chants d’oiseaux, nature partout présente, ; j’ai vu des terrains de sport, des bâtiments aux architectures variées , des maisons, des écoles, une médiathèque, des parkings…mais de ville avec ses commerces, ses places, ses rues, point. Sur la carte, on lit : Valbonne Sophia Antipolis, Antibes Sophia Antipolis, Biot Sophia Antipolis…Sophia Antipolis est une nébuleuse, elle a essaimé.

Depuis, j’ai appris que si on veut la visiter, on peut installer sur son téléphone une application qui s’appelle « Ville de Valbonne Sophia Antipolis » et que dans le menu « Découvrir », existe la mention « Parcours patrimoniaux ».

J’y retournerai.

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* Alexandre Blok, éd. Pierre Seghers, coll. "Poètes d'aujourd'hui" n° 61, 1958.

Nina Léger est née à Antibes en 1988. Elle est docteur en esthétique et théorie de l’art, enseignante et critique d’art. Antipolis est son troisième roman. Son site : https://ninaleger.com

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