Au nom du père, du fils et de la Lotus Eleven

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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De gauche à droite, Jean-Paul Bousman, Sébastien Bousman, Luciano Archangeli, et une passionnée de voitures. Tous admirent la Lotus Eleven de 1958. Photo © M. Leroy

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Sébastien, les yeux brillants, avait dit. "Il y aura une Lotus Eleven de 1958. Elle a été produite a 300 exemplaires. Conçue par Colin Chapman, elle est hyper-légère et délivre 140 chevaux pour un moulin de 1500 cm3..." En cette fin août, le soleil tape dur sur l'M de Bomerée où se déroule la célèbre course de côte qui prendra le virage de sa soixantième édition en 2018. Président d'honneur du Bomerée Moto Club, qui organise l'épreuve, Sébastien Bousman apparaît au milieu des voitures, à côté de la ligne de départ. Jean-Paul, son père, pose sa main sur l'épaule de l'homme de quarante ans et des poussières, calé dans le siège Recaro fixé sur sa voiturette électrique.

Tétraplégique depuis son enfance, en raison de l'effet collatéral d'un vaccin, Seb a la volonté de transformer ses rêves en réalité. C'est l'histoire de sa vie. Une course contre l'inertie qui gagne son corps. Son père lui prête bras et jambes. Ensemble, ils forment une équipe d'athlètes du quotidien, avec une trempe d'exception et un même sens de l'humour qui décoiffe. Le père et le fils ont en commun cette allure costaude, alors qu'ils écoutent le feulement métallique des moteurs à l'attaque du premier virage. Pour eux, c'est de la musique sacrée. Ils ont de la super dans les veines.

"Papa et moi partageons la même passion pour les autos de course. Il faut dire que j'ai vécu ma première compétition de l'M dans ses bras, à l'âge de trois mois à peine". Il porte la casquette rouge de son club, des lunettes de soleil, une veste de sport et ne ménage pas ses efforts pour être présent partout à la fois. Les pilotes viennent le saluer comme un des leurs. Tant Seb parle bien de ces bagnoles qui le font vibrer. Les Bousman habitent sur le haut de la grande côte qui jouxte Charleroi. L'espace de deux législatures, Seb a été échevin des Travaux de Montigny-le-Tilleul et a laissé la marque d'un élu allant au charbon, avec ses hommes. Il est désormais conseiller communal et travaille à la Ville de Charleroi. Il n'a jamais épargné ses efforts pour gagner sa vie, engagé dans un challenge qui équivaudrait à dix participations aux 24 Heures du Mans. Au moins.

D'une pression sur le joystick qu'actionne le père, la voiturette quitte le tarmac et freine sec devant une barquette au fuselage argenté. Sébastien avait remarqué que l'Eleven avait un problème. Son pilote, Jean-Pierre Van De Wauver, sept fois champion de Belgique de rallye, est penché sur le moteur avec ses équipiers. la machine file comme une flèche, vire comme un  kart, sa ligne est parfaite. Une sculpture sur roues. Pour Seb, la course de côte est l'épreuve de base. Celle où l'on vient voir le voisin qui a bricolé une Citroën AX d'occase pendant l'hiver dans son garage comme les machines racées des concurrents plus fortunés. Suffit d'équiper la caisse d'un arceau de sécurité, d'un siège-baquet, d'un harnais, de porter casque, gants et combinaison ignifugée et d'avoir sa licence pour faire chauffer l'asphalte. "J'en connais qui ne partent pas en vacances et ne sortent pas pour préparer leur voiture" commente Bousman.

Célèbre, la course de l'M - en raison de son dessin, cinq virages et une chicane en finale -, a été lancée par l'Ecurie Charbon-Acier, relayée par l'Ecurie Pays Noir, et aujourd'hui par le BMC. Tout au début, Charleroi comptait un grand prix qui empruntait la forte côte remontant la vallée. Bousman a mordu au rallye tout jeune, en allant voir rouler son parrain. Vers ses 15-16 ans, il a découvert Francorchamps. "Grâce à Jean Blaton, j'ai fait trois tours du circuit à bord d'une ferrari F40 LM. Je n'oublierai jamais ces minutes-là". Des courses auto, il ne retient pas seulement la musique des moteurs et l'élégance des trajectoires. Au départ, il est bien dans sa peau. Car les gens viennent taper sur son épaule, lui signalent une voiture, un pilote, lui témoignent un respect amical.  On hume l'odeur des hamburgers, de l'essence, du bitume chaud, dans la rumeur des appels au micro  et des conversations entre copains. L'ambiance est décontractée, on vient en famille à  l'M.

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Dans le  parking de la grande surface voisine, le public flâne devant les machines, on demande une explication, se souvient de la Cooper type Monte-Carlo dont on a rêvé, avec ses bandes blanches sur le capot de bouledogue. On a les oreilles qui bruissent d'airs de rock, entre deux montées dans la zone rouge. Le speaker fait merveille avec son micro baladeur. Venu à moto, un autre fêlé de sport mécanique, le journaliste Luciano Archangeli, reconnaît Sébastien. Ils parlent de châssis de course comme de vieilles connaissances. Le temps file vite. Au point que, vissé dans son Recaro, avec son père à ses côtés, Bousman oublie les problèmes du quotidien. Maintenant et ici, il est dans une autre dimension. Celle de la passion partagée, qui procure le sentiment de vivre à fond. Dans l'épreuve de sa vie, en homme engagé, Sébastien ne fait pas la course en solitaire. Il s'est toujours battu pour aider les autres, les plus faibles de ce monde si dur. Cet homme de gauche a le sens de la société parce qu'il est aussi attentif aux problèmes des gens qu'au réglage d'un moteur de Lotus Eleven. Un vrai champion, tout le monde vous le dira. 

Les Bousman, père et fils. Ils partagent une même passion pour les voitures et la vie. Pilote et navigateur dans le rallye du quotidien. Photo © M. Leroy

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