Catherine Deneuve et moi

Emois et moi

Par | Journaliste |
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Un jour, Catherine Deneuve m'a dit que j'étais bien aimable. Mais je préférais sa sœur. Capture d'écran du site Téléstar annonçant la projection des Demoiselles de Rochefort

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Quand j'étais jeune c'était simple. Il y avait le Prince charmant qui réveillait d'un baiser la Belle au bois dormant. Ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants.

Je ne sais pas où tout a foiré mais si en effet j'ai eu beaucoup d'enfants et si certes je me classe volontiers dans la catégorie des princes charmants, j'ai bien dû reconnaître que Cendrillon était une drôle de créature. Elle et sa copine Belle rendent bêtes les monstres velus que nous, pauvres mâles blancs dits dominants, serions tous sans exception. Ah, n'en ai-je pas entendu, des horreurs du genre «Tous les hommes sont des violeurs en puissance» répondant à des conneries que je ne partageais pas. Très vite, j'avais arrêté de débarquer de Mars et de penser que les femmes vivaient sur Vénus. J'ai commencé à pleurer quand j'avais de la peine, j'ai proposé des poupées à mes fils et essayé d'apprendre la cuisine à ma fille. Je me suis rendu compte qu'il y avait une étrange symétrie entre le désir féminin et le désir masculin. Il m'est arrivé d'être harcelé parce que je plaisais aux hommes, ce qui ne me choquait pas en soi mais m'agaçait dans la pratique. La main aux fesses (en fait c'était de l'autre côté à la même hauteur), Mesdames, je sais ce que c'est et je n'ai pas aimé.

J'ai écrit des aveux en bonne et due forme. C'était dans «Le Soir» du 8 mai 2001. Alfa Romeo payait très cher (le journal, pas les journalistes) pour faire une gazette masculine d'un côté, féminine de l'autre. Vous me connaissez? Je peux être un brin provocateur. Et j'ai pondu, sous le titre de «Mesdames, je suis parfait», cette chronique que je vous laisse lire avant de comprendre où je veux en venir.

Il paraît que l'une des vertus cardinales de l'homme – j'entends l'homme avec un chromosome Y – est la sûreté de soi: on n'est pas pour rien du sexe fort. La femme, avec sa paire de X, est dite, par opposition, du sexe faible, étant réputée pour sa propension à devoir se reposer sur quelque épaule masculine.

Aussi est-ce avec tout ce que j'ai de mâle assurance que je m'avance et que j'assène: je suis une femme. Oh, il n'entre nullement dans mes intentions, par une série d'opérations, de devenir Jeanne. Non, quand j'affirme que je suis une femme, c'est que je manifeste de manière continue dans ma vie quotidienne une série de comportements féminins.

D'abord j'aime faire la cuisine. Et non pas uniquement celle des grandes circonstances ou les grillades estivales dans le jardin: la cuisine de tous les jours aussi. Vous remarquerez aussi, Mesdames, que quand la cuisine se hisse au niveau de l'art et débouche dans la gastronomie, ce sont des hommes qui la pratiquent. Paraphrasant Clemenceau qui prétendait que la guerre était une affaire bien trop sérieuse pour la confier à des militaires, j'adore dire, le tablier sur les abdominaux (je surveille ma ligne, tiens, encore un trait à noter), que la cuisine est une chose bien trop sérieuse pour la laisser aux femmes. Mais c'est une boutade. De temps en temps, je laisse ma femme réchauffer un plat (pourquoi utilise-t-elle tant de casseroles?): il faut partager les tâches ménagères.

Ensuite j'éprouve pour mes enfants un amour que je n'hésite pas à qualifier de maternel. L'amour maternel, chacun le sait depuis les travaux de la femme Badinter, ne remonte qu'au XVIIIème siècle, quand Saint-Just faisait également valoir que le bonheur était une idée neuve en Europe. Le père est supposé protéger, la mère câliner. Eh bien, le croiriez-vous? Je câline, et je me demande bien pourquoi une mère serait dispensée de protéger ses enfants.

Mieux: j'ai plus souvent voté pour des femmes que pour des hommes. Dès lors, je me pose des questions sur la nécessité de prévoir des quotas sur les listes de candidat(e)s, ce qui, placé hors du contexte, peut me faire passer pour le pire des machos. D'ailleurs, je soupçonne les femmes, quand elles sont entre elles, de manifester un comportement caricaturalement masculin: elles parleraient sexe, par exemple, n'hésitant pas à comparer avec la dernière des mufleries les performances de leurs amants (moi en ce compris). Et qu'elles causent bagnole, alors là c'est de l'ordre de l'absolue certitude; sinon Alfa Romeo ne dépenserait pas des fortunes pour vendre des voitures de nana.

Pire: je travaille dans la nouvelle économie (une petite start-up appelée «Le Soir en ligne»). Voilà bien un domaine où, pourrait-on croire à première analyse, le poignet qui clique est robuste et velu, appartenant à un homme. Eh bien pas du tout: les internautes sont comme les chauffeurs de bus, des deux sexes. Et plus fort encore, des études extrêmement sérieuses (j'ai le plus grand respect pour les études sérieuses) indiquent qu'elles ne sont pas les dernières, ces coquines, à se promener sur les sites de cul!

Il n'y a jusqu'au football qu'elles ne regardent presque autant que nous. Et le jour où Anna Kournikova deviendra l'avant-centre de l'équipe féminine de foot de Russie, croyez-moi, nombreux seront les hommes à faire comme moi dès à présent: aimer le football féminin.

En outre, oserais-je encore le confesser? J'adore recevoir des fleurs. (Sans le pot, s'il vous plaît.) Je me suis souvent demandé pourquoi, dans ces conditions, les femmes m'en offraient si peu. Ou alors – horresco referens – cette apparente perfection de ma part est tellement improbable qu'elle engendre ce scepticisme narquois si seyant aux dames, qui hochent la tête en ayant l'air de penser cause toujours, mon lapin, imaginant que c'est un défaut typiquement masculin qui a animé cette confession: la vanité.

(Fin de la lecture.)

Ah oui, dix-sept ans plus tard, où voulais-je en venir? Que la polémique de la semaine me sidère. À l'inverse de Jacques Chirac, je ne peux pas dire qu'elle m'en touche une sans faire bouger l'autre. C'est le manifeste des 100 nanas qui veulent bien être importunées. Alors là, chapeau! Vous mettez deux cents chromosomes X ensemble pour annoncer urbi et orbi que celles qui balancent leur porc, en gros, sont des mal baisées, que la drague finira par être interdite et – je caricature – que c'est tout juste si l'espèce humaine n'est pas plus menacée par ça que par le réchauffement climatique ou les boutons nucléaires. En effet, s'il faut une autorisation écrite pour tenir la porte ouverte à une femme, quel certificat faudrait-il ensuite pour lui faire l'amour? Ce n'est pas moi qui pose la question, mais ces nanas-là, dont je regarde la liste, et stupeur, que vois-je? Que ce sont des femmes célèbres, puissantes et capables de dire non. C'est l'ultralibéralisme faisant irruption dans le féminisme, vous dis-je! Elles n'ont qu'à dire non, c'est simple, en fait et que nous ne casse-t-on pas les oreilles avec ces ours polaires face à la fonte des banquises: ils n'ont qu'à apprendre à faire la planche, quoi!

Tiens, il y a un mot flamand que j'aime bien. Enfin, flamand, je ne sais pas, il faudrait demander à Bart ou à Théo. Comment appelle-t-on un gars lourdingue qui drague comme un caterpillar jardine? Een embetant. Je tiens ça d'une jeune étudiante interrogée dans les années 80. Flash back. On faisait de grandes enquêtes, dans le Soir, à cette époque-là: les catholiques, les francs-macs, les jeunes, les hommes, les femmes,...

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Eh bien je refuse d'être un embetant et je ne comprends pas comment un être humain, quel que soit son sexe, peut admettre qu'on l'importune en pensant que c'est dans la nature des choses. Cendrillon avait mal au pied dans sa chaussure de vair ! Bien sûr qu'entre drague, insistance et harcèlement, les frontières sont floues. Naturellement qu'il faut bien à un moment ou à un autre – et comme ce moment peut être magique! – faire comprendre son désir à l'autre, qu'il y a toujours un risque à le faire! Mais l'élégance est l'inverse de l'importunité. Quand je me rappelle que j'ai un jour tenu la porte de la Roue d'or à Catherine Deneuve, cachée derrière des lunettes de soleil qui juraient avec la fine pluie ruisselant sur la Grand-Place, et qu'elle m'a poliment remercié d'un «Merci, Monsieur, vous êtes bien aimable!», que dois-je penser? Qu'elle aurait préféré que je lui manifeste un intérêt sexuel? Que je lui propose un verre au Roy d'Espagne? Elle est partie vers son destin et je ne l'ai plus jamais revue. Je l'avais trouvée charmante et délicate. J'espérais qu'elle avait eu, serait-ce un instant, la même idée de cet inconnu croisé par hasard un jour gris en quittant un restaurant bruxellois. Comme je suis déçu!

... de toute façon, je lui ai toujours préféré sa sœur, Françoise Dorléac. Na.

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