Coopératives d’habitants : entre propriété et location

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Kalkbreite : du logement d’utilité publique sur le site d’un vieux dépôt de tramway, à Zurich, en Suisse. Photo © GEORG AERNI ; Voir article du Monde : https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2019/12/04/a-zurich-les-cooperatives-d-habitation-reinventent-l-art-de-vivre-en-ville_6021637_4811534.html

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Comment arriver à se loger décemment même lorsqu’on n’a pas beaucoup d’argent et que les loyers sont de plus en plus élevés ?

Il y a évidemment le logement social, mais tout le monde sait que cela ne suffit pas : non seulement il faudrait en construire des centaines, mais, en plus, en rénover des milliers pour rencontrer les obligations d’isolation et d’économies d’énergie.

Il y a les aides sociales pour les plus démunis ; les logements gérés par les agences immobilières sociales ; les trop rares propriétaires privés qui pratiquent volontairement des loyers conformes à la grille indicative des loyers proposée par la Région bruxelloise…

Il y a les colocations, les maisons communautaires, les habitats groupés...

Et des initiatives plus récentes visant à séparer le foncier du bâti afin d’abaisser le prix d’achat d’un appartement ou d’une maison, comme le Community Land Trust. Et, enfin, la naissance de coopératives d’habitants qui tentent de nouvelles formes de vivre ensemble.

L’émergence de formules de coopératives d’habitants (ou d’habitat) était le thème d’un colloque international organisé par l’Institut de recherches interdisciplinaires sur Bruxelles (IRIB) de l’UCLouvain Saint-Louis-Bruxelles, Habitat et Participation, Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B) et Febecoop. Le nombre des organisateurs témoigne de la diversité des actions et expérimentations de très nombreuses associations et coopératives qui existent déjà en Belgique, avec pour but de mieux se loger, sans être seul et pour moins cher. (1)

La coopérative, seule propriétaire

L’enjeu, tel que résumé par le professeur Nicolas Bernard, est que la formule coopérative ne donne pas aux coopérateurs la pleine maîtrise de leur logement. C’est la coopérative, en tant que personne morale, qui est seule propriétaire et les habitants acceptent un projet collectif. Le concept est donc différent de celui de propriété collective. Ici, on devient propriétaire d’actions dans la coopérative. Il n’y a donc pas de droit d’enregistrement de ces parts ni de saisie immobilière ; par contre, le coopérateur n’a pas accès aux crédits hypothécaires et ne transmet pas son logement à ses héritiers.

De plus, il n’y a pas de corrélation entre la souscription d’actions à la coopérative et l’occupation d’un logement : ce sont les statuts de la coopérative qui définissent le lien entre les coopérateurs et le logement.

Or, les statuts sont très divers, souligne Nicolas Bernard, il n’y a pas deux situations identiques puisqu’ils sont établis par des groupes de personnes qui imaginent entre elles les modalités de leur vie collective et privée. Il faut donc naviguer entre des concepts de droit du logement qui doivent évoluer. Ainsi, on peut envisager un droit d’habitation qui serait personnel, incessible, insaisissable, largement modulable par les parties, ce qui nécessite un acte notarié et sa transcription. On peut imaginer une occupation de type locatif, le coopérateur est simple locataire de la coopérative qui est seule propriétaire et peut ainsi peser sur le contrat de bail, le loyer convenu afin de financer les projets de la coopérative.

Il serait bon que l’on établisse un modèle type de contrat car il faut envisager les modalités de cas difficiles comme les expulsions éventuelles d’un habitant, sans porter atteinte au droit au logement du preneur, en étant compatible avec les règles du contrat de bail... Les juristes s’activent sur ces questions car s’il y a des différends graves, les juges se limiteront aux aspects légaux, la loi sur le bail prime sur une mésentente entre coopérateurs.

Il ne faut donc pas comparer un coopérateur à un propriétaire mais plutôt à une sorte de locataire qui dispose d’un avantage pérenne, d’un pouvoir de gestion, dans le cadre de décisions collectives et qui peut récupérer son capital s’il sort de la coopérative.

« Nous explorons donc une troisième voie entre la propriété et la location, l’aube d’un changement du droit d’habiter », conclut Nicolas Benard.

France et Suisse, pionnières des coopératives d’habitat

Diverses formule existant en France et en Suisse ont été décrites, illustrant la grande variété des modèles de coopératives d’habitants. En France, il s’agit d’Habicoop qui existe depuis 2005 et a pu démontrer sa viabilité et l’efficacité de ce modèle de fédération qui peut racheter une coopérative d’habitants en dissolution afin que le projet survive se poursuive. Elle bénéficie aussi de l’aide des collectivités locales car elle peut bénéficier d’un foncier au tarif du logement social et de prêts pour logements sociaux car la population qu’elle accueille se situe sous le revenu minimum. Une véritable action sociale, donc, essentiellement en constructions neuves. (2)

En Suisse, ces coopératives sont une véritable institution dans le paysage immobilier et surtout, elle bénéficie d’une politique du gouvernement fédéral suisse qui protège le marché du logement contre les investissements étrangers, régule le marché hypothécaire et l’endettement ; de plus, nombre de lois cantonales et communales protègent l’habitat.

Exemple avec UrbaMonde qui comprend 61 % de locataires. On parle ici de l’usage de l’habitation plutôt que de propriété et la protection des droits des locataires est très importante. Voilà pourquoi les gens demandeurs de logement à prix très modérés privilégient la location.

Il s’agit donc d’une troisième voie entre la location et la propriété privée : sept personnes au minimum mutualisent leurs ressources et leurs efforts pour améliorer leurs conditions de logement. La coopérative est considérée comme un maître d’ouvrage d’utilité publique (MOUP) productrice de logement social. On compte environ 180.000 logements MOUP, ce qui représente 5 % du parc immobilier suisse et plus de 1200 coopératives d’habitants dont 20 % dans la seule ville de Zurich. Les loyers sont 20 % moins chers que la moyenne suisse et cela va jusqu’à 40 % moins cher dans le canton de Genève où les prix sont très élevés . Donc, Genève compte 128 coopératives et 12.000 logements qui représentent 7 % du parc locatif.

Il y a une grande variété de coopératives, plus ou moins participatives, plus ou moins écologistes, ou destinées à des publics plus ciblés comme les étudiants. Il s’agit donc d’un modèle intéressant pour un pays comme la Belgique. (3)

Cela bouge, à Bruxelles

En tout cas, la Région bruxelloise expérimente le Housing deal , à savoir d’autres formes de production de logements à finalité sociale avec le Community Land Trust, Fair Ground, Sohonet, L’îlot, Angela D. Elle élabore de nouveaux cadres réglementaires mais se veut en dialogue permanent avec les associations afin de sélectionner des critères objectifs pour encourager ces projets innovants.

Pour que la version coopérative du logement à finalité sociale se développe, il faudrait donc un meilleur accès, par exemple au Fonds du logement, la possibilité pour des associations de toucher les primes Renolution, mettre plus de terrains publics à disposition des acteurs coopératifs… Le problème est grave à Bruxelles notamment où 33 % de production de logements devrait être à finalité sociale, dont des coopératives d’habitants qui pourraient être agréés et soutenues financièrement dans ce but...

(1) Ce colloque était présidé par Isabelle Quoilin, présidente du Conseil consultatif du logement de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Fédération des sociétés coopératives de logement de Bruxelles. https://social.brussels/organisation/1479

(2) https://www.habicoop.fr/

(3) https://www.urbamonde.org/

Un voyage à Zurich, berceau des coopératives d’habitants

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