En état de Mank

l’œil et l’oreille

Par | Journaliste |
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Ah qu'il est doux d'être là... Photos © Jr

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Comme je l'avais écrit dans ma dernière chronique, que vous avez sûrement dévorée comme des affamés de cinéma que nous sommes tous (sans compter que le petit resto après, c'est pas mal), le week-end passé, j'étais à Luxembourg où se passe une partie de ma vie nomade et où les cinémas sont rouverts. Non? Si. Au programme, Mank, déjà vu sur Netflix, qui produit le film en bonne société soucieuse de s'insérer dans toutes les niches, y compris celle des cinéphiles pointus, qui sont capables de réciter la distribution de M le Maudit. Ou des scénaristes de tous les chefs-d’œuvre impérissables du 7ème Art, à commencer par Citizen Kane, réalisé par un gamin iconoclaste de 24 ans, Orson Welles, comme chacun sait. La plus grande des libertés lui fut offerte et comme il était homme à tout faire, il fit à peu près tout, dans ce film, même le scénario, direz-vous, car son nom y figure à côté d'un autre, Herman J. Mankiewicz, dont le prénom ne vous dira rien, sans doute, mais avec un peu de chance connaissez-vous celui de son frère, Joseph. Or si l'idée de base du film est bel et bien de Welles, il laissa à Mank le soin de le scénariser, le tout en un temps record et dans un lieu discret, en théorie contre un paquet de dollars achetant son silence en même temps que le scénar. Finalement, le film dont je parle qui parle de l'autre film dont je parle et dont il parle aussi, bref, Mank et Citizen Kane, explique pourquoi et comment Mankiewicz finit par apparaître au générique du chef-d’œuvre. Paradoxe, le seul oscar que ce film révolutionnaire obtint, d'ailleurs, fut celui du scénario... Chapeau, au reste, au réalisateur, David Fincher, pour la chute de son Mank.

Tiens, à propos de ce scénario, rien n'est innocent dans cette triple mise en abyme d'un monument du cinéma, il est bien d'un Fincher, mais pas de David, de son père Jack, qui ne put jamais le tourner. Il y a donc un triple hommage, celui du fils à son père, celui d'un réalisateur à un chef-d’œuvre et celui d'un artiste à une époque qu'il recrée parfaitement. C'est là à la fois le sel et la limite de Mank. Il faut avoir vu Citizen Kane pour l'apprécier. Sinon c'est seulement un pastiche du ciné hollywoodien des années 30 et 40, en N et B, comme on lisait dans les annonces jadis, avec une musique envahissante et belle, une photographie de qualité et une distribution impeccable*, mais qui peut paraître longuet et obscur. Mank est construit comme Citizen Kane, des flash-backs qui aboutissent à une histoire non-linéaire qui se construit au fur et à mesure, procédé aujourd'hui bien connu mais alors neuf. Ce pastiche n'est donc pas autoporteur comme l'était dans le genre The Artist, de Michel Hazanavicius. Allez voir Mank sur grand écran, il en vaut la peine, mais avant, Citizen Kane en apéro, s'il vous plaît! Et à propos de grand écran, cette ultime réflexion: certes, la petite salle au public sanitairement très éparpillé dans laquelle j'ai revu Mank après l'avoir vu une première fois sur ma télévision, en fait de grand écran, en avait un relativement petit, mais c'est tellement mieux! J'avais loupé, c'est dire, l'explication réelle du fameux «rosebud» que murmure Kane moribond sur lequel démarre et finit le film de Welles...

* Des critiques s'offusquent de la décision de Fincher d'avoir confié le rôle principal à un sexagénaire, Gary Oldman, alors que Mank avait la quarantaine dans les années quarante (ça tombe bien), mais ils ignorent probablement que l'alcool vieillit prématurément ceux qui en abusent à ce point-là... Mention à Lily Collins, la fille de Phil, lui-même acteur, les cinéphiles le savent, mais plutôt connu comme chanteur et musicien: qui aura saisi l'allusion inversée à Summer of '42, l'adorable film de Robert Mulligan, avec la fabuleuse musique oscarisée de Michel Legrand, que son personnage recèle et qu'elle joue si finement?

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