La guerre du camembert

À table avec l'Ogre

Par | Journaliste |
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Lequel préférez-vous? Photo © J. Rebuffat

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Qu'y a-t-il de plus français, Mme Michu, que le camembert, le litron et la baguette? Eh bien, le camembert n'existe pas en tant que tel, le litron est mort et la baguette survit entre carton industriel et pain haut de gamme.

Bon, je laisse tomber le Kiravi et le pain, je vous en parle une autre fois, encore que pour apprécier le calendos, un bon coup de rouge et une baguette bien croustillante ne soient pas à dédaigner, et je me concentre sur le camembert.

Quelle est la situation aujourd'hui? Complexe, je vais y revenir. Mais pour la simplifier et rendre lisible le mot même de camembert, rien de moins qu'une guerre vient de se déclarer en République. J'ai enquêté lors de mon récent séjour en mes terres parisiennes, notamment en mangeant du camembert (on ne se refait pas) accompagné d'un pain de qualité et d'un rouge costaud (ne l'ai-je pas déjà dit?). L'affinage du camembert s'était fait à la vitesse du Thalys dans les plaines picardes: sur la terrasse, le thermomètre avait des velléités caniculaires. Je plaisante, naturellement, un fromage n'aime pas la chaleur, il sue ou il coule. Ce qui n'est pas une raison pour le planquer dans le réfrigérateur et surtout pas de l'en sortir vingt-cinq secondes avant de l'amener à table.

Bon, le camembert, l'Ogre, et cette guerre, qui va la gagner? Chère lectrice, cher lecteur, reprends donc un peu de ce costières de Nîmes et laisse-moi t'expliquer que le grand gagnant, en 2021, ce sera l'éleveur de vaches en Normandie, et peut-être toi, si tu es malin ou maligne (comment écrire ça en inclusive?).

Déjà aujourd'hui, comme tu es bien informé.e (je me demande à quoi je sers), tu sais qu'il existe plein d'étiquettes plus ou moins sincères. Du camembert, on peut en faire partout et avec le lait qu'on veut (il y a même des camemberts danois). Le camembert faisait partie de la ration du pioupiou durant la guerre 14-18 et la production normande ne suffisait plus; d'autres régions s'y sont mises. Après la guerre, les producteurs normands ont bien essayé de reprendre le contrôle du camembert, mais en 1926, la cour d'appel d'Orléans a décidé que le nom était dans le domaine public. Donc, ha ha, tu files vers le camembert de Normandie. Oui mais lequel? Il y a bien une AOP dont le cahier des charges est assez strict.En gros, il faut que le camembert, le vrai, soit au lait cru, moulé cinq fois à la louche, mesure plus au moins 11 cm de diamètre et que le lait provienne pour moitié de vaches normandes paissant au moins six mois dans les bocages. Alors ne le confonds pas avec le camembert fabriqué en Normandie. Enfin, pas tout de suite. Car donc en 2021, il n'y aura plus ce subtil distinguo et c'est là que cela a gueulé du côté de chefs célébrissimes (Pic, Bras, Troisgros, ...). On pourra (horresco referens) produire du camembert de Normandie avec du lait pasteurisé. «Il n'aura aucun goût!», s'écrient les étoilés.

Mais... est-ce sûr?

D'une part, il y aura toujours moyen d'obtenir une surappellation: le véritable camembert de Normandie, avec non plus 50% de lait cru normand, mais 70. D'autre part, le bête calendos AOP devra contenir au moins 30% de lait normand. Avec tout ça, Mme Michu, les éleveurs bas-normands ont de quoi pousser des hurlements de joie. On estime que la production laitière normande répondant aux critères pourrait être multipliée par quinze.

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Et au goût? Je prends les paris. Le bête calendos de Normandie sera meilleur que l'actuel, où il est juste fabriqué en Normandie, ce qui ne veut rien dire du tout. Le lait pasteurisé peut venir même de très loin. Meilleur et un peu plus cher. Le véritable camembert de Normandie sera lui encore meilleur et nettement plus cher que l'actuel camembert de Normandie AOP. Aujourd'hui, on en trouve aux alentours de trois à quatre euros qui sont franchement bons même en marques de grande distribution. J'en ai acheté deux dans les deux supermarchés de proximité non loin de ma terrasse ensoleillée. Regardez la photo et observez les deux boîtes. Tiens tiens, mais... Mais... Mais... Arrêtez de bêler, c'est au lait de vache, le camembert, bon sang! La plus petite boîte n'a pas l'AOP! Ben oui j'ai remarqué. Il n'était pas assez fait, d'ailleurs, je l'ai laissé mûrir deux ou trois jours. Et pourtant en apparence tout y est, non? Le fromager est dans la bonne zone, il y a (on ignore en quelle proportion, est-ce un indice?) du lait cru normand dedans, le pourcentage de matière grasse et tout et tout... sauf la dimension. Un camembert dans une boîte de 8,5 cm et qui pèse 150 grammes est peut-être très bon mais il ne peut se targuer de l'AOP. À noter que dans la même marque, il existe le format réglementaire, qui a lui l'AOP. Comme quoi, pas vrai, Mme Michu? l'habit ne fait pas le moine.

Bon appétit et large soif (surtout si mai continue à pétarader).

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