Le droit de mendier

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Les jeunes sont de plus en plus directement touchés par la pauvreté. Photo © Jean Frédéric Hanssens

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La mendicité gêne, dérange notre bonne conscience. Elle fait peur parfois lorsque la personne qui mendie laisse échapper un geste brusque, un grommellement perçu comme menaçant… Parfois, elle s’accompagne de musique qui égaie quelque peu le transport en métro… Même si les passagers dans leur ensemble ne lèvent pas le nez de leur smartphone, hypnotisés qu’ils sont par leurs écrans, le cerveau enfermé par les oreillettes, engoncés dans leur indifférence au vrai monde, à savoir nous tous qui partageons ces quelques minutes de transport en commun. Ce sont des moments de grande solitude.

Ils doivent être encore plus pénibles pour la personne qui mendie en tentant de capter notre regard afin d’établir un contact aussi bref soit-il. Pour briser cet aveuglement volontaire, certains n’hésitent pas à arborer leurs petits enfants ; d’autres cajolent leur chien, un moyen encore plus efficace pour attirer notre attention.

La mendicité organisée ou non perturbe notre tranquillité sur la voie publique et la gestion de la sécurité par nos autorités locales. Ainsi, 253 villes et communes belges ont décidé des interdictions de mendicité. Or, celle-ci a été supprimée du droit pénal belge en 1993, ce qui n’empêche pas des mesures de police, généralement pour mettre fin à des comportements troublant l’ordre public. De là à interdire la mendicité, il y a là une atteinte aux droits humains, à la dignité humaine des mendiants, expliquent l'Institut Fédéral des Droits Humains (IFDH) et le Service de lutte contra la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale. Ils se basent sur l’arrêt rendu le 19 janvier 2021 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans l'affaire Lacatus contre Suisse1. Dans cet arrêt, la CEDH a reconnu pour la première fois que le droit de mendier pouvait bénéficier de la protection de la Convention européenne des droits de l'homme.

Elle constate en effet que la dignité humaine est violée lorsque des personnes vivant en situation de pauvreté sont empêchées de rechercher, par la mendicité, l'aide d'autres personnes pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. De même, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit des personnes à établir des relations avec les autres, notamment en sollicitant leur aide.

« La CEDH a reconnu que mendier constituait un droit fondamental et qu’une interdiction générale de la mendicité n’était donc en aucun cas admissible », conclut Martien Schotsmans, directrice de l’IFDH.

Du délit de solidarité au principe de fraternité

L’appel à la solidarité entre humains est donc reconnu comme vital ; on se souvient du fameux « délit de solidarité » en France, qui visait les actions d’aide de Cédric Herrou, agriculteur, à des demandeurs d’asile. La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a consacré le principe de fraternité, qu'elle oppose au délit de solidarité. Et si le débat se poursuit toujours sur ces deux notions, le Conseil constitutionnel français dans sa décision du 6 juillet 2018, a considéré la fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle, en se fondant sur les articles 2 et 72-3 et le préambule de la Constitution. De ce principe découle “la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national”.

En 2019, en Belgique, des citoyens qui avaient hébergé et aidé des demandeurs d’asile ont aussi été traînés devant les tribunaux, accusés d’avoir collaboré avec un réseau de trafiquants qui organisait le transport de migrants, en camion, depuis divers parkings autoroutiers, situés en Belgique, vers l’Angleterre. « Huit étrangers en séjour irréguliers et quatre citoyens hébergeurs de migrants, étaient poursuivis du chef de trafic d’êtres humains ainsi que de participation à une organisation criminelle », explique Christelle Macq dans Justice-en-ligne.be. Le Tribunal correctionnel de Bruxelles a relevé « l’absence d’une quelconque volonté de s’enrichir dans leur chef. Il souligne, à l’inverse, l’engagement social fort dont ils ont fait preuve. Ainsi, ils n’ont pas hésité à donner une partie de leur temps et de leur argent pour venir en aide à des personnes en séjour illégal en les hébergeant, en leur offrant à manger, des vêtements, ou encore en leur payant des transports en commun, des médicaments, des cigarettes, etc.
Le Tribunal juge par ailleurs que les actes posés par ces hébergeurs ne peuvent être considérés comme des actes de participation à un trafic d’êtres humains. »

Combattre l’extrême pauvreté, pas les pauvres

Ces exemples illustrent l’injustice des actions policières ou administratives réprimant les victimes de la pauvreté et celles qui fuient la violence et la précarité dans leur pays d’origine.

A ce propos, le Service interfédéral de lutte contre la pauvreté et l’IFDH rappellent que « la cause profonde de la mendicité réside avant tout dans l’extrême pauvreté à laquelle sont confrontées les personnes concernées, contraintes de mettre en place des stratégies de survie pour pouvoir répondre à leurs besoins essentiels. Dans ce contexte, il incombe aux autorités, à tous les niveaux de pouvoir, non seulement de protéger les personnes les plus vulnérables de notre société, mais aussi de mener des politiques structurelles visant à résoudre, à long terme, les situations de pauvreté. »

Tant que les pouvoirs publics nationaux et internationaux ne rempliront pas leurs devoirs, des citoyens continueront à pratiquer la solidarité dans un esprit de fraternité ; c’est bien cela la dignité humaine.

https://institutfederaldroitshumains.be/fr/publications/la-reglementation-de-la-mendicite-sous-langle-des-droits-humains

https://www.vie-publique.fr/eclairage/18715-du-delit-de-solidarite-au-principe-de-fraternite-lois-et-controverses

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