Michel Bocart au Cazier

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Michel Bocart a étendu et travaillé de ses mains la peinture qui lui a permis de faire surgir de sa gangue charbonneuse le regard de ce mineur. Photo © Marcel Leroy

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Bois du Cazier, Marcinelle. Plongé dans le clair-obscur, le forum est habité par les oeuvres créées pour ce lieu par Michel Bocart. L'artiste a été professeur de français et d'histoire à Anderlecht. Pour passer des mots, sans s'en détourner, à la peinture, à la sculpture, à la photo, au départ d'une attirance pour les techniques sur papier. Ce qui vous harponne, en pénétrant dans le vaste hall, ce sont d'abord les regards des mineurs. Trois grands portraits. Avec une déclinaison de l'intensité du noir. Le premier tableau (photo) est plus clair, les autres sont envahis par les ténèbres. Restent les yeux. Ce mineur qui nous fixe sans nous voir nous parle d'un monde en voie d'oubli. Quand, en Belgique, les hommes venus de tous les horizons descendaient arracher à la terre le charbon. Aujourd'hui, dans le monde, plus de la moitié de l'énergie est encore produite par le charbon. Les drames vécus en Europe, dont Marcinelle en 1956, il n'y a pas si longtemps, se produisent ailleurs, maintenant. C'est de la mémoire des gens qu'a voulu témoigner Michel Bocart, mais aussi des pistes multiples qui, partant du charbon, parlent du futur. 

Michel Bocart a grandi à Matadi, au Congo. Il jouait dans la latérite rouge des monts de Cristal et en a gardé une passion pour le sable. Un matériau à la fois fluide et ferme, éphémère et éternel. De retour en Belgique après l'indépendance, il se pencha sur le charbon déversé dans la cave de la maison familiale. Etrange matière. Brillante et obscure, douce au toucher, avec ce parfum particulier, quand il brûle dans le poêle. Après un long travail sur le thème du sable, il s'est concentré sur le charbon et s'est plus particulièrement lancé dans l'aventure  après avoir mélangé de l'encre de Chine et du fusain écrasé sur une feuille blanche. Revenons au portrait du mineur. Il semble regarder une autre oeuvre. Celle-là montre, au-dessus d'une étendue d'anthracite perlé,  des pièces soufflées au Val Saint-Lambert. Pendues à des fils invisibles, elles figurent des larmes de sang. Le charbon provient de la mine d'Ibbenbüren, dans la Ruhr,, elle fermera en décembre de cette année. C'était le meilleur charbon du monde. Le plus pur. C'est fini.

Un peu plus loin, une oeuvre  comporte une plage de cendres et de blocs de mâchefer. Terre brûlée, souvenirs perdus. Et, à côté, sur un socle de charbon repose une structure de tubes de titane provenant de la Sonaca, usine aéronautique située à Gosselies. Des techniciens chargés des bords d'attaque des Airbus A380 ont soudé ces pièces qui sont l'avenir du pays. La sculpture fait dériver le visiteur vers le cinéma. On reverrait la mystérieuse oeuvre de "2001, odyssée de l'espace", de Kubrick... De là, poursuivant la balade, on se retrouve face à une toile blanche maculée de rouille. Un drap, un suaire. Un drap comme ceux qui flottaient dans les jardins des corons. Un hommage aux femmes qui attendaient que leurs hommes remontent. Elles lavaient le linge, trimaient dur, comme leurs compagnons. A Marcinelle, leurs mains s'accrochèrent aux grilles durant l'insoutenable attente d'août 1956. Dans les Abbruzzes, sur les hauteurs de Manopello, d'où vinrent nombre de victimes de Marcinelle, se trouve dans un monastère un saint suaire vénéré par des gens venus de loin.

En regardant un morceau de charbon, en venant au Cazier, en parlant avec le conservateur Alain Forti, Michel Bocart aura réussi à fixer, avec quelques oeuvres fortes qui sont en conversation, tout à la fois la mémoire d'une économie, celle des êtres qui la faisaient tourner et l'actualité de ceux qui la font marcher maintenant, et l'économie en mutation. Ne perdez pas de temps pour aller au Cazier, alors que la Sainte Barbe approche, et que des oranges seront offertes bientôt comme des soleils rappelant ceux qui bossaient dans la nuit, même le jour. L'exposition sera ouverte jusqu'au 18 novembre. Si vous ne vous rendez pas à Marcinelle, allez voir l'autre face de cette exposition, dont le titre est "Vers le jour", à la galerie Martine Ehmer, 200 rue Haute à 1000 Bruxelles. Où que vous vous rendiez, ces oeuvres méritent d'être découvertes. 

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