Quand on n’a pas de « chez-soi »

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Il est intolérable que de personnes en soient réduites à (sur)vivre dans la rue. Photo © Jean-Frédéric Hanssens.

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Pour des centaines de personnes, la rue est le seul logement ; la précarité, les violences, sont des fléaux quotidiens ; la drogue et l’alcool sont des remèdes mortels ; la peur et l’indifférence des nantis sont des insultes. Ce qu’on appelle le « sans-abrisme » n’est pourtant pas une fatalité, s’exclame Laurent d’Ursel, grand pourfendeur de cette profonde injustice sociale. Il préfère parler de « sans-chez-soirisme » car le « chez-soi » est le refuge indispensable à tout être humain, seul ou à plusieurs mais un « chez-soi » choisi, aimé, dont on est fier et qui constitue la base indispensable à tout (re)décollage dans la vie sociale.

Laurent d’Ursel, fondateur du « syndicat des immenses », est depuis des années devenu le porte-parole au verbe fleuri des laissés pour compte de notre société qui ne les abandonne pas cependant : un vaste filet d’aides sociales diverses a été tissé mais quelle est son efficacité ? C’est la question qui a été posée par les organisations « Droit à un toit » et le « Syndicat des immenses » à DULBEA, le département d’économie appliquée de l’Université Libre de Bruxelles.

La démonstration est convaincante : le sans-abrisme coûte aux différents pouvoirs publics de la Région de Bruxelles Capitale la somme de 30.000 à 85.000 euros par an par personne (selon la gravité de sa situation). Les coûts directs sont : centres d’hébergement d’urgence, maisons d’accueil, centres d’accueil de jour, services médicaux, travail de rue, aide alimentaire, dispositifs de crise. Les coûts indirects sont : aides du CPAS, soins de santé, maisons de justice, aides juridiques et procédures, système pénal, interventions policières, aménagement et entretien des espaces publics. Ajoutons à cela la perte des recettes publiques : non-paiement de cotisations sociales, perte des recettes fiscales liées à l’IPP, les taxes régionales et locales.

Ceci démontre la qualité de la gestion du problème mais cela n’aboutit pas à une solution au problème du sans-abrisme puisqu’on constate une augmentation du nombre de cas : en novembre 2020 on a recensé 5.313 personnes dont quasi 50% étaient sans-abri, 21,5% étaient sans logement et 28 % se trouvaient en logement inadéquat (non conforme, non prévu pour cela, etc.). Or, entre 2008 et 2020, cela correspond à une augmentation de 208,2% du nombre de personnes recensées. Un chiffre qui s’aggrave vu l’intensité de la crise économique et sociétale actuelle (coût de l’énergie, coût du logement, pertes d’emploi, etc.). Quant à l’offre de logement social, elle est très faible vu la lenteur des procédures pour construire du logement neuf, le manque de moyens financiers, l’urgence de procéder aux rénovations indispensables du parc actuel et l’accroissement du nombre de demandes : au 30 septembre 2020, on enregistrait 50.000 ménages sur la liste d’attente et le délai pour obtenir un logement varie entre 10 et 15 ans selon le type de logement.

Housing First

« Il nous faut donc changer de choix de société », commente Laurent d’Ursel, ne plus gérer ce problème mais trouver des solutions structurelles. Il constate aussi qu’il n’y a pas de politique de prévention et d’accueil des « pas de chance » : le non-logement est considéré comme un problème social de santé et pas comme une entorse au droit au logement. L’espérance de vie des sans-abris est de 48 ans, le lien entre le non-logement et la santé est tellement fort que des mutuelles envisagent de payer des loyers afin de diminuer le coût des soins de santé.

Le changement de paradigme souhaité par les diverses associations qui aident les sans-abris est le « Housing first » : on reloge ces personnes et on les entoure de l’aide des services sociaux jusqu’à ce qu’elles reprennent pied dans la vie sociale. Jusqu’à présent, c’est l’inverse qui se fait : on aide et au bout du parcours on fournit un logement si on arrive à être abstinent et sobre.

L’étude de DULBEA démontre que la formule du Housing First, à savoir la priorité à la remise en logement de ces personnes démunies coûte à peu près la même chose que les aides aux sans-abris sans logement. L’étude a recensé les aides sociales (prime d’installation, garantie locative, allocation de loyer/de relogement, tarif social énergie), les revenus de replacement (allocation de chômage, incapacité de travail primaire, invalidité, revenu d’intégration sociale) et l’accompagnement (traditionnel ou Housing First). Ce scénario tient compte du manque de logements sociaux et englobe le logement privé qui peut répondre à cette demande (pour autant qu’il y ait un accompagnement des propriétaires).

Les chiffres très précis de l’étude démontrent que la remise en logement représente un coût variant de 33.000 à 70.000 euros en fonction du type de logement (social ou privé), du type de revenu de remplacement, de l’accompagnement et de la fréquence d’utilisation des services de jour. Les résultats constatés jusqu’à présent sont excellents et l’on constate une réduction de l’utilisation des services sociaux au fur et à mesure de l’amélioration des conditions de vie des bénéficiaires.

L’étude est évidemment plus complète que cette synthèse et les témoignages des diverses associations qui ont contribué à ce travailsont essentiels car ils décrivent l’aspect humain et non statistique de ce vaste et douloureux problème.

Quelques représentants de partis politiques ont été interrogés lors de la présentation de cette étude. Ils ont évoqué la nécessité du caractère contraignant de la grille des loyers afin de permettre l’accès au logement pour les plus démunis, plus de moyens pour la construction de logements sociaux, la non indexation des loyers, un plan de lutte contre la pauvreté, l’interdiction des expulsions, la prévention de violences familiales qui poussent trop de femmes à s’enfuir, la rénovation en logement de milliers de bureaux vides, l’augmentation des allocations pour éviter la pauvreté, lutter contre l’endettement, utiliser les charges d’urbanisme afin de créer des logements à loyers abordables pour les plus démunis, aides locatives, régulariser les sans-papiers, donner plus de moyens au secteur associatif, partenaire indispensable d’une politique d’aide aux plus démunis…

Les propositions sont nombreuses et Laurent d ‘Ursel en rajoute quelques-unes : certains de ces sans-abris ont des compétences, ils peuvent travailler. On recense actuellement 15.000 logements vides dans la Région et un million de bureaux vides ainsi que des hôtels désertés. Et n’oublions pas les modes alternatifs d’habitat : caravanes, yourtes, woonboxen, etc.

 La crise économique et sociale est là. On ne peut plus attendre vingt ans que de nouvelles politiques se mettent en place. Il y a urgence et l’on espère que le gouvernement bruxellois se donnera les moyens d’y répondre, avec les aides fédérales et européennes si possible.

Secrétaire révocable du Syndicat des immenses* qui est sur Instagram

Codirecteur bénévole de DoucheFLUX qui est sur Instagram Multipropriétaire socialidaire

Secrétaire du Comité d’accompagnement de l’étude « Suite et/ou fin du sans-chez-soirisme ? » par DULBEA

Militant compulsif de Droit à un toit / Recht op een dak Membre fondateur de l’asbl L’immense ferme Membre suppléant du Conseil consultatif de la Santé et de l'Aide aux personnes et de la Coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville (CEA) Fossoyeur inconsolable de Survivinginbrussels.be Activiste lointain du Front anti-expulsions Ambassadeur résolu de la Cellule Capteur et Créateur de logements Fournisseur de la courtoise Immensothèque Coopérateur naturel de ImmoFLUX

* immense est l’acronyme d’Individu dans une Merde Matérielle Énorme mais Non Sans Exigences. C’est la nouvelle dénomination, ni stigmatisante ni réductrice, desdits sans-abri, sans-domicile, sans-papiers, SDF, précaires, mal-logés ou habitants de la rue. Et un·e non-immense est un·e escapé·e, acronyme d’Enclos·e dans le Système mais Capable Aisément et Périodiquement de s’en Échapper. Et un·e immenscapé·e est une ersonne immense dans telles dimensions de son existence et escapé·e dans telles autres dimensions.

Au Festival des Libertés

Vous pourrez (entre autres et il y a beaucoup à faire lors de ce Festival!) écouter Laurent d'Ursel le samedi 22 octobre au Festival des Libertés lors d'un débat à 18 h. sur le thème: "Sans-abrisme: la solidarité contre le droit?" On y discutera de la manière dont les mesures d'aide sociale peuvent retarder l'avancée des droits, notamment le droit au logement. Thème de notre article ci-dessus. www.festivaldeslibertes.be

Et tant qu'on y est, rappelons que le 17 octobre est la Journée mondiale de lutte contre la misère. Un rassemblement est organisé le dimanche 16 octobre au Quai au Bois à Brûler (métro Sainte-Catherine) pour revendiquer une société plus égalitaire et des décisions politiques porteuses de changement. Voir www.1710.be

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Une précédente action de Laurent d'Ursel, Place de la Monnaie à Bruxelles. Le problème est devenu plus grave encore. Photo © Jean-Frédéric Hanssens.

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