Terre Humaine, terriblement humaine

Jean Malaurie n’est plus, mais au bout de sa très longue carrière, il a transformé le regard que nous portons sur l’autre, sur ces humains qui nous ressemblent malgré nos profondes différences de vie, de culture, de sensibilité, de langue. Il a rénové et alimenté une recherche scientifique sur nos modes de vie, l’ethnologie, nous découvrant notamment l’extraordinaire richesse spirituelle et culturelle des peuples premiers dont on assiste à l’extinction rapide.

Soulignons que sa première recherche d’envergure sur le terrain et son premier livre, « Les derniers rois de Thulé » (1955) ont révélé au monde la culture des Inuits, dont le territoire devait être détruit par l’implantation d’une base militaire américaine… Déjà, la catastrophe environnementale est annoncée et elle n’est pas que climatique mais aussi le résultat des aberrations guerrières des grandes puissances.

« Pour voir plus loin, il faut regarder d’infiniment près. En intériorisant le lieu, et jusqu’à sa plus petite dimension, le regard s’ouvre à une dimension universelle. », écrivait Jean Malaurie, lorsqu’il lança sa superbe collection « Terre Humaine » en 1954.

Les livres se succèdent, décrivant autant de mode de vie de peuples que d’individus par lesquels les cultures sont révélées, souvent avec leurs propres mots. Car, écrit-il, « J'ai voulu casser la barrière entre ceux qui savent et les autres, rendre le bonheur de comprendre accessible à tous. Et rétablir cette part de sensibilité première, cette vérité du "je" et de l'intime si méprisée de nos savants au nom de l'objectivité scientifique. »

Il précisait : « Je ne veux pas que l'Histoire soit une addition de ghettos, mais de rencontres. »

Il n’est pas étonnant qu’il ait publié des ouvrages d’indignation, de combat pour un changement de l’ordre du monde prédateur, ravageur et brutal. Ainsi, René Dumont publie-t-il son très célèbre « Terres vivantes. Voyages d'un agronome autour du monde » (1961) et plus tard, la bombe politique : « Pour l’Afrique, j’accuse. Le Journal d’un agronome au Sahel en voie de destruction » (1986 et1993).

Ce fut le point de départ de la pensée altermondialiste qui allait s’épanouir dans les Forums sociaux mondiaux.

D’autres ouvrages nous ouvrent les portes de la conscience de la disparition de civilisations ignorées et sacrifiées sur l’autel de la mondialisation ultralibérale et du saccage des environnements fragiles comme celui de l’Amazonie. Relisons par exemple, Philippe Descola, « Les Lances du crépuscule. Relations Jivaros (Haute-Amazonie) » (1994).

En 1990, les Editions Plon ont publié un imposant hommage au fondateur de « Terre Humaine » . « Pour Jean Malaurie » réunit les témoignages, réflexions, analyses de 102 chercheurs et écrivains autour de l’oeuvre de cet homme exigeant et visionnaire. Le grand ethnologue que fut Claude Lévi-Strauss y écrivait : « Vous embrassez tout un univers, du minéral à l’homme, et vous avez bien raison, dans vos conclusions, de les proclamer solidaires. »

Jean Malaurie fait partie de l’histoire de l’humanité, dont il a clos son chapitre à l’âge de 101 ans.

Il nous reste à méditer sur l’actuelle trajectoire de cette humanité, si riche, si diverse, et pourtant si menacée par l’ignorance, la cupidité, le racisme, la violence extrême des humains entre eux.

Les livres qu’il a publiés sont autant de messages d’espoirs en l’humanité.

- Pour Jean Malaurie. 102 témoignages en hommage à quarante ans d’études arctiques ». Plon. 1990.

Lire aussi :

https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/l-ethnologue-jean-malaurie-specialiste-du-grand-nord-et-fondateur-de-la-collection-terre-humaine-chez-plon-est-mort-a-l-age-de-101-ans_6346744.html#xtor=CS2-765-[share

https://www.entreleslignes.be/humeurs/malaurie-lappel-de-thule/?highlight=Jean%20Malaurie