Un aveugle au cinéma

l’œil et l’oreille

Par | Journaliste |
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On ne met pas un handicapé en prison - mais à l'écran, si l'on veut. (Extrait de la bande de lancement d'Adieu les cons, d'Albert Dupontel)

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Tout en respectant scrupuleusement les règles que vous savez vu les circonstances actuelles que je ne rappelle pas, je suis allé deux fois au cinéma le week-end dernier – merci, les mesures luxembourgeoises. Eh bien j'ai vu deux films et je vais commencer par le dernier parce que je suis sûr que c'est sur lui que vous allez vous ruer comme des affamés quand cela sera possible. Il porte un titre un brin vulgaire, Adieu les cons. Bon, l'auteur-interprète-metteur en scène (vous avez reconnu Albert Dupontel) s'en excuse lui-même par l'entremise de la bouche de son personnage principal, lui, donc, et de la même manière que Flaubert était Mme Bovary, je pense qu'il doit y avoir un côté JB en lui.

Adieu les cons est sorti furtivement en bien des lieux très brièvement juste avant le second confinement. Comme il va ramasser un César ou l'autre, il va probablement revenir avant le troisième (je plaisante). Il a été assez vu pour permettre de dire tout le mal ou tout le bien qu'ils en pensaient à mes distingués collègues critiques, lesquels, en général, avaient adoré Au revoir là-haut, d'après Pierre Lemaître, mais que j'avais détesté. Ici, je fais partie des contents. De là à crier au chef d’œuvre, n'exagérons rien. Mais c'est une histoire déjantée et complètement invraisemblable dans la veine de Neuf mois ferme, du même, avec le même. Quelque part entre les Monty Python et Chaplin, dit le réalisateur, peu avare de références autoproclamées mais point trop abusives.

Un informaticien génial en crise existentielle à cause d'une nomination qui n'est pas venue décide de se suicider. Il essaie en soupirant «Adieu les cons!» mais plus maladroit avec une carabine qu'avec son ordi, il blesse un collègue qui était justement en train d'expliquer à Suze Trappet (jouée par Virginie Efira) que, pour retrouver son fils abandonné sous X lorsqu'elle avait quinze ans, elle doit s'adresser aux affaires internes, car ce n'est pas archivé numériquement, étant donné que cette naissance remonte à 28 ans, date à laquelle le cinéma existait presque depuis un siècle mais où l'informatique balbutiait. Suze pique l'ordi du désespéré car il y est écrit affaires internes et le duo ainsi formé par le plus grand des hasards devient un trio dès que s'y adjoint M. Blin (Nicolas Marié), planqué aux archives où l'on ne va jamais à la suite d'un malencontreux accident (assez hilarant) qui l'a rendu aveugle. Ce M. Blin est d'ailleurs la meilleure trouvaille du film, superbe personnage bien exploité. Suze, elle, tousse parce que coiffeuse; elle a les poumons brûlés par les sprays. Avant de mourir, ce qui ne saurait tarder, elle veut voir son gamin. Inutile de dire que l'improbable trio va être poursuivi par toutes les polices de la République mais qu'il mènera plus ou moins à bien la mission de la pauvre Mme Trappet et que la phrase fétiche resservira une dernière fois.

Cela se laisse voir. C'est un peu cruel, un peu drôle, un peu sentimental, un peu original, un peu imaginatif et finalement un peu vide. J'ai pourtant aimé plus qu'un peu, pas énormément, non, mais je suis difficile. Je me suis demandé si ma relative indulgence était liée à l'émotion qui m'a pris lorsque j'ai posé mon séant dans le siège de la salle 6 du Kinépolis Kirchberg (siège au demeurant confortable), avec personne à la rangée devant moi, vive la distanciation sociale!

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Photo © Jr

La prochaine chronique sera consacrée à un film où la mise en abyme atteint des sommets malgré qu'il se passe dans les collines toscanes. Lequel? Cherchez et vous trouverez. Ou alors mieux, revenez pour la prochaine séance.

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