Un livre ravive la parole de JJR, géant cinéaste de l'absurde

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Une des rares photos de JJR sans sa cagoule. D'après Eveline Scrève, elle trouvait grâce à ses yeux. L'artiste n'aimait pas que l'on prenne son image. C'était un de ses mystères. Repro ML

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Le livre d'Eveline Scrève est arrivé par la poste, protégé par une grosse enveloppe. Rappelant quelques lettres étranges émanant du cinéaste de l'absurde, disparu  en 2014, après avoir été victime d'un accident qui aurait pu être une séquence d'un de ses films. Devant un café de la place de Courcelles, une auto fonça sur des piétons, emportant Jean-Jacques vers le coma et l'entame des ténèbres. Rideau sur une histoire dont nous reviennent des échos terriblement secouants, grâce à un ouvrage honnête et clair, balisé de photos d'archives. Il est  publié aux éditions du Basson, à Marcinelle, dans la collection Charleroi on the road. C'était tout JJR, ce titre. Car Charleroi on the road and the ruelles, il l'aura illustré à sa manière infiniment personnelle tout au long de son parcours, entraînant dans sa folle passion du cinéma des centaines d'acteurs, techniciens, figurants, compagnons de route et autres personnages composant un mélange exotique sur fond de terrils et de canaux, d'usines à l'abandon et de rings autoroutiers éclairés comme des scènes en technicolor. JJR était un grand créateur né au pays de Charleroi et il manque infiniment à tous ceux qui l'ont connu ou approché ou qui ont côtoyé son oeuvre. 

Dans son avant-propos, Eveline Scrève, qui aura été une des comédiennes de JJR et  une véritable amie, écrit: "Que le lecteur n'attende pas de ce livre un mode d'emploi de son cinéma, car ce mode d'emploi n'existe pas, et, pour parodier Pascal, j'ai envie d'ajouter "Le cinéma de JJR s'éprouve, mais ne se prouve pas". Elle a effectué une plongée profonde dans des archives reconstituées en partie, car l'artiste vivait dans l'instant, mû par cette prodigieuse énergie dont l'origine échappait au sens commun. JJR avait le verbe torrentiel, la pensée aussi vagabonde que fulgurante, incarnait une culture populaire étrangère aux manuels habituels, aux rubriques spécialisées, aux étiquettes. Aucune  n'aurait pu coller sur cet être inclassable. A ce propos, permettez-moi de citer le propos de l'artiste, tenu en 2005, à la Sorbonne, à Paris, où il avait été invité par Frédéric Sojcher, auteur de "Cinéastes à tout prix". Rappelons que ce documentaire inspiré valut à JJR un aller-retour mémorable au festival de Cannes où il creva l'écran du quotidien de la Croisette, avec son masque et ses tirades à la Cyrano. Oui, ce soir-là, il clama, prophétique sous sa cagoule noire: "Je crois au cinéma,  c'est l'air que je respire". Il carburait à la pellicule puis prit le virage du numérique avec le même panache.  

Noël Godin joue un rôle moteur dans le livre d'Eveline Scrève. Il fut lui aussi un des acteurs fétiches de JJR. "Il est net comme torchette qu'on peut claironner que Jean-Jacques Rousseau figure parmi les cinéastes les plus déconcertants de l'histoire du 7e art (...)Il a prouvé que l'on peut faire du vrai cinéma populaire sans un sou vaillant". Propos confirmés par le réalisateur Bertrand Tavernier, à Paris, au cinéma Reflets Médicis, en 2005: "'Ses personnages, vous n'êtes pas près de les oublier". Juste observation. Et JJR était le premier de ses personnages. Rencontrer ce poète, c'était ressentir le fait qu'il tournait en direct le film de son existence. Un film qui nous revient comme un boomerang avec ce livre étoilé d'émotions. Après le générique, soit les propos d'Eveline,  suivis de ceux de Godin, déferle une haute vague charriant des éléments de correspondance, passages de films,  intertitres, avertissements plus ou moins solennels, répliques cultes, propos débridés et encore  une filmographie, des photos prises à la sauvette, des images de tournages etcc...Ce tri magistral est un exploit. Fallait le faire, tirer un fil rouge de la trajectoire de JJR!

Après la lecture de ce livre, sans doute pour la reprendre bien vite, je  vous confie la teneur de son dernier coup de fil, quelques jours à peine avant l'accident tragique. Un appel nerveux, angoissé, compensé par l'espoir de tourner le jour d'après. Le hasard avait voulu que j'aie vu, des années avant, brûler l'auto du mage Armand, son parrain, victime d'un accident de la circulation quelque part, en Thudinie. Pour cette raison, et parce que j'avais écrit quelques papiers sur son oeuvre, JJR passait par le bureau du journal Le Soir à Charleroi ou appelait. Il disait que revenait ce cauchemar, la hantise de finir comme dans un de ses films. Il avait peur de la violence qui glaçait la Terre et le Pays Noir. Après l'avoir rassuré, comme je pouvais, on s'était dit à bientôt. Comme il l'aura dit à beaucoup de celles et ceux à qui il prodiguait un brin de son énergie un peu sorcière. D'un coup de sa caméra magique, ce gars-là vous faisait voir la vie comme  au cinéma. Avec lui, les terrils devenaient cîmes plus fabuleuses que l'Himalaya. Que ce soit à l'écran ou pas,  pour cette raison toujours il  nous manquera. Vous avez vu, me vient le parler du disparu. Eveline Scrève rend justice à JJR. Hélas, cette fois-ci,  pas de suite à l'écran.    

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    -"L'avenir du monde est inscrit entre vos mains". Ecrits et dits de Jean-Jacques Rousseau, cinéaste. Par Eveline Scrève. Editions du Basson, Marcinelle. 26 euros. 

 

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