semaine 39

Une femme disparait

Une édition originale par Thierry Robberecht, le 19 novembre 2019

© Serge Goldwicht

Il me considère comme un objet mais c’est peut-être ma faute aussi. Toujours présente, toujours disponible, toujours docile, je réponds à toutes ses demandes comme un outil bien huilé. Avec le temps et à force de dire toujours oui, je suis devenue invisible pas seulement pour lui mais pour le monde entier. Je n’ai ni ami, ni travail. La foule ne m’aperçoit pas. Lui, il ne m’adresse la parole que pour demander des services à un objet. Je suis utile, invisible et transparente. Plusieurs fois dans la journée, il me traverse de part en part sans rien remarquer et même quand nous baisons, il ne me voit pas parce qu’il pense à une autre. Quand, transparente, je passe devant la télévision qu’il regarde, il ne me houspille plus.

Ce soir, je ne sais plus à quel sujet, je lui ai dit non pour la première fois depuis vingt ans que nous vivons ensemble.

- Non.

- Comment çà non ?

- Non.

Ce « non » est magique. Soudain, je réapparais à ses yeux et aux yeux des autres. Il m’observe avec un regard neuf. Je ne suis plus un objet mais une femme qui lui dit non. Naïvement ; je me dis qu’en me voyant, il va m’aimer mais le problème quand il me voit, c’est qu’il me frappe. Une fois, deux fois au visage. Je saigne. Il veut me frapper une troisième fois mais je me défends et le gifle à mon tour. C’est ce qu’il attendait. Ma timide réaction nourrit sa violence affamée. Il s’empare du couteau à découper le rôti. Il n’a jamais découpé de rôti avec ce couteau qu’il me plante dans le ventre. Ma chair résiste un peu mais il y met toute sa force et aargh, le couteau me pénètre et mon sang gicle comme le vin d’une barrique qui vient d’être éventrée. Le sol vacille et je m’écroule. J’aimerais dire « Non » une fois encore pour toutes les fois où je n’ai pas osé mais je n’en ai plus la force. Rien ne vient. Je tombe à genoux. Aargh, j’ai mal, j’ai mal, terriblement mal. Cette fois, c’est lui, hideux, ivre de rage et de haine, penché au-dessus de moi, qui devient flou et disparaît.

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