Une bizarre fascination pour les fauves

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Une bizarre fascination pour les fauves. Parmi toutes les figures de la peur dans le street art, certaines par leur récurrence invitent à un examen plus attentif. Dans mon précédent billet , j’ai centré mon commentaire sur une de ces figures, certainement la figure principale : les squelettes humains et animaux. J’annonçais dans mon article un commentaire sur deux autres figures qui semblent avoir pour objectif de susciter l’effroi : les animaux et des personnages iconiques issus de la culture populaire. Venons-en aux représentations des animaux qui dans le street art sont présentées par les artistes comme des figures de l’effroi et uniquement celles-là. Nous pourrions les classer en trois catégories : les fauves, les serpents et quelques grands mammifères réputés s’attaquer aux Hommes comme l’ours. Les représentations des animaux de ces trois catégories, quoique fondamentalement différentes, obéissent à une structure commune : elles privilégient les traits illustrant l’agressivité de l’animal et dans le même temps traduisent la fascination de l’artiste pour son modèle. En somme, l’animal censé provoquer la peur du « regardeur » devient l’objet de son admiration. Prenons un exemple particulièrement frappant : celui de la représentation des fauves. Les œuvres ayant comme sujet principal des fauves, des lions, des tigres, des panthères, des jaguars, sont particulièrement nombreuses. Les fauves sont soit intégrés dans de vastes compositions soit ils sont le sujet de l’œuvre. Les fauves sont « traités » de deux manières : la première est traditionnelle et s’inscrit dans le droit fil des peintres animaliers. Les félins peints dans une position de repos sont remarquables par leurs attributs plastiques (élégance de la forme du corps de l’animal, graphisme et couleurs de sa robe) La seconde manière de représenter les félins (et c’est cette dernière qui retient mon attention) est radicalement différente. Tout d’abord, la posture. Le fauve est souvent représenté dans une position dénotant sa dangerosité, prêt à bondir pour attaquer sa proie. Tous les traits rendent compte de la férocité du félin. Les dents et les griffes sont mises en avant dans les représentations. Elles sont surdimensionnées par rapport à la taille de l’animal à un point tel qu’elles perdent leur caractère réaliste. Les crocs, en particulier, identifiés par les artistes comme l’arme principale des grands fauves, sont l’objet d’un traitement plastique particulier : ils sont on ne peut plus clairement mis en évidence, non seulement par la taille mais aussi par la couleur. La fresque peinte par Marko 93 pour le Mur Oberkampf illustre ce dernier point ; les crocs du jaguar avaient été peints de couleur or ! C’est en fronçant les babines des fauves que les artistes « montrent » les terribles crocs. Cet effet est renforcé par le froncement des contours des yeux. Le corps du fauve, sa posture, ses crocs, ses yeux, tout dans l’aspect de l’animal traduit sa « sauvagerie ». La représentation du félin s’écarte d’une représentation naturaliste. Les excès de sa représentation ont une fonction : ils tendent à écarter le félin de l’humanité. Ils en sont même l’exact contraire : une force « surhumaine », au sens premier, sauvage. Le mot « sauvage » et son concept éclairent la nature profonde de la représentation des fauves. La signification donnée par le dictionnaire est « qui vit dans la nature ». Si nous considérons ces synonymes (« âpre, atroce, barbare, bestial, cruel, farouche, féroce, méchant, sadique, sanglant ») et si nous les mettons en rapport avec les synonymes d’humain (« bienveillant, altruiste, bon, charitable, compatissant, généreux, philanthrope, secourable, sensible »), nous constatons que le concept de sauvage a été élargi et qu’il s’oppose terme à terme avec le concept d’humanité. Le fauve dans une certaine mesure, dans le street art, est la figure inversée de l’Homme. Il est devenu une figure terrible et fascinante. Sa représentation est ambigüe. Certains traits traduisent la force sauvage de l’animal et d’autres sa beauté. La beauté intrinsèque du félin, dans tous les cas de figure, est conservée mais il convient, me semble-t-il, d’ajouter une admiration non dite, voire occultée, pour sa sauvagerie en tant que telle. On peut s’interroger sur ce que recouvre cette sauvagerie. C’est l’addition d’une force formidable et de l’absence totale de limites « morales ». En effet, nous considérons les animaux d’un point de vue éthique et, souvent à notre corps défendant, sans véritablement nous en rendre compte, leur attribuons des traits qui relèvent de nos valeurs et de notre conscience morale. Les animaux ainsi deviennent « gentils », « méchants », « cruels » etc. en d’autres termes, plus savants, nous anthropomorphisons les animaux. Certains comportements des félins sont lus comme des transgressions de nos règles morales. Ils sont, à ce titre, des menaces pour les Hommes. Or, si les monstres nous terrifient, ils nous fascinent. Une fascination liée à leur pouvoir de nous tuer. Les images créées par les street artistes sont une traduction de l’ambivalence de notre relation aux grands fauves : la beauté du diable en quelque sorte.
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