BKfoxx : « Trop », une fresque majuscule.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Lecture 6 min.

BKfoxx, l’américaine, telle le Petit Poucet du conte de Charles Perrault, sème de magnifiques œuvres sur les « murs » de nos villes. Dans un billet récent[1], je me suis efforcé de montrer la dimension allégorique de l’œuvre. La facture hyperréaliste de la fresque soulève un questionnement qui interroge le « regardeur ». Il y a bien sûr dans la manière de poser la question des éléments de réponse apportées par BKfoxx. C’est en quelque sorte la contribution de l’artiste au débat.

Nous retrouvons ces traits particuliers dans la fresque réalisée par BKfoxx sur le « mur » de Rennes en juin 2023. L’œuvre est rectangulaire et la composition atypique. L’espace du support est grosso modo partagé en deux par une diagonale. Dans le coin droit, un portrait d’une jeune femme a été peint. Le cadrage en plan moyen met en évidence la posture. La jeune femme couche son visage sur ses genoux rassemblés par ses deux bras. Une mèche de cheveux s’est échappée du chignon. On ne voit de son vêtement qu’un tee-shirt rouge ou une brassière. L’expression de son visage et la posture traduisent, littéralement, le repli sur soi.

C’est le premier point d’interrogation de la fresque. Pourquoi une jeune fille aussi jolie est-elle aussi accablée ?

Le portrait qui forme le premier plan se détache de ce qui constitue le décor. A la carnation lumineuse du corps, à la blondeur de la chevelure, au rouge vif du vêtement s’opposent l’ocre d’un panneau d’affichage et les couleurs passées des polaroïds. 13 photographies ont été reproduites par BKfoxx. Certaines sont aisément reconnaissables : le champignon atomique résultant de l'essai nucléaire « Romeo », dans le cadre de l'opération « Castle » dans l'atoll de Bikini (27 mars 1954), le poing dressé d’Angéla Davis devant les cadets de West point, une nuée de touristes entourant la Joconde au musée du Louvre. Les images « épinglées » sont des images iconiques diffusées dans tous les médias. Elles illustrent des faits souvent d’une grande violence : la menace nucléaire, la lutte pour les Droits civiques toujours d’actualité, les violences policières ou l’absurdité de notre monde.

Le regardeur fait « naturellement » la relation entre le premier plan et le décor. La tristesse du modèle, son désespoir, sont une réaction aux images affichées.

Le deuxième point d’interrogation de la fresque est le sens du réseau de fils rouges.

Ce réseau dense relie les images entre elles semblant établir des correspondances mais enserre aussi le modèle qui en est prisonnière. Ces fils sont des liens. Il faut prendre en compte les différentes significations de ce terme. Le lien est ce qui au sens strict relie mais également ce qui oblitère la liberté (ce qui retient un animal, enchaîne ou ligote un prisonnier, un esclave).

BKfoxx comme elle l’avait fait dans sa fresque de la rue de L’Ourcq à Paris, donne la clé de lecture de l’œuvre. Elle est contenue dans son titre : « Trop ».

Un seul mot pour résumer une idée ! Quel sens donner à ce titre aussi énigmatique que la fresque elle-même. Le « trop » réfère assurément au bombardement d’images dont nous sommes les cibles.

Dans une très large mesure, les images sont notre médiation au monde. Notre connaissance et notre compréhension du monde dans tous ses aspects passent par le truchement des images. Images des journaux, des réseaux sociaux, des médias d’information etc., nous voyons par le prisme (déformant) des images. Nous n’avons aucune certitude quant à l’état du monde. Nous n’en percevons que les images que, d’autres que nous, ont choisi de nous faire voir. De cette formidable surabondance d’images émergent à notre conscience les plus violentes et les plus absurdes.

En préparant la rédaction de ce billet, les images « épinglées » ont retenu mon attention car, quoique simplement esquissées, il était clair que leur choix n’était pas le fruit du hasard. C’est la raison qui m’a amené à interroger BKfoxx sur la signification des images. La réponse qu’elle a eu la gentillesse de me faire parvenir est éclairante quant à la signification de l’œuvre et elle dévoile un pan du processus d’élaboration de l’œuvre.

« En fait, ce sont des véritables images que j'ai représentées dans ma fresque. Elles représentent de petites scènes modernes, surtout de nos peurs modernes – celles que nous affrontons au 21ème siècle. C'est ma petite sœur qui est le modèle. J'ai pris cette photo d'elle l'année passée sur son lit avec les fils rouges. Elle avait des polaroïds comme ceux que j’ai peints, je les ai accrochés au mur, et je les ai disposés dans un second temps en prenant en compte l’idée qui donne son titre à ma fresque. »[2]

La réponse de BKfoxx conforte ma première analyse et décrit les étapes de la création de l’œuvre : L’artiste en prenant sa sœur comme modèle crée une situation reproduite par une photographie et, c’est cette photographie, qui servira de modèle à l’exécution de la fresque. En d’autres termes, sa jeune sœur et des polaroïds, par leur proximité, vont faire émerger une idée qui n’était pas là au départ. L’idée, dans un second temps, sera traduite par une situation, et la situation par une image.

Une image utilisée par dénoncer le trop plein d’images de « nos peurs modernes » !

Une image et une seule (l’image de la photographie et celle de la fresque) pour montrer une émotion voire un désarroi. Une image à la fois d’une grande beauté formelle et d’une grande force.

 


[1] https://streetarts.blog/2023/02/01/bkfoxx-la-verite-est-ailleurs/
[2] Le texte de l’artiste a été adapté afin d’en faciliter la compréhension.

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