13 Bis, « La vague ». Voir le désir de l’autre.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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"La vague" de 13 Bis.

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Lecture 8 min.

Les formes du street art ne cessent de se multiplier à un point tel que le langage doit inventer des mots nouveaux pour les nommer. Les « muralistes » ne sont pas des peintres en bâtiment mais des peintres de « murals » ; les pochoiristes ne sont pas des fabricants de pochoirs mais des artistes qui découpent leurs pochoirs et créent des fresques ; les fresquistes ne sont pas des peintres d’intérieur ; les graffeurs sont des « personnes qui réalisent des graffs » ; les graffiteurs « des personnes qui s’expriment par le graffiti » etc. Et ceux qui collent des « affiches », des collagistes !

Pas simple ! Les « affiches » des collagistes ne sont pas des affiches et les collagistes ne se bornent pas à coller des affiches dans le métro ou ailleurs. Je ne vais pas vous laisser, chers lecteurs, brouter davantage les amers pâturages de l’erreur. Rien de mieux pour y voir clair dans le petit monde des collagistes (qui ne sont pas non plus des affichistes !) que prendre un exemple. Exemple d’une œuvre collée et de son auteur 13 Bis.

La semaine dernière 13 Bis a collé au carrefour des rues des Solitaires et de la rue de La Villette dans le 19e arrondissement de Paris un collage de grandes dimensions titré « La vague ». Attentif au travail de 13 Bis depuis plusieurs années (j’avais écrit un billet sur son collage de l’église St Merry en son temps), j’ai tenu à rencontrer l’artiste et à aller, toute séance tenante, avant que l’œuvre subisse les derniers outrages, ceux du temps et des toyeurs de toutes natures, prendre des photographies, seul moyen de donner aux œuvres de la rue une relative durée.

Le collage est en noir et blanc et se détache de la couleur du mur, un « beau » mur marron, écaillé, vieux, presque lisse…Un rêve de mur pour les collagistes ! Il représente une scène, disons nautique, voire aquatique, ou plutôt maritime. Une superbe femme à la beauté grecque surgit des flots tempétueux devant un marin allongé dans une barque bien frêle dans ces eaux déchaînées.

L’émergence de la femme provoque des embruns qui encadrent son buste. Vêtue d’une robe à l’antique, elle laisse voir son sein. Le marin semble saisi de stupeur et regarde la créature sortie des flots alors que la Belle regarde …ailleurs !

« Celui qui voit » est tout d’abord interpellé par les différences d’échelles entre « la femme sortie des eaux » et le marin et sa barque. Le rapport de taille concourt à donner à la scène un aspect fantastique ou merveilleux, comme on voudra. La facture du collage est singulière ; la barque, la mer démontée, le marin semblent être une reproduction d’une gravure ancienne, à la mode Gustave Doré alors que le buste de femme n’est pas du même « grain » ni de la même densité de gris. Malgré ces différences de tons et de facture, la scène est d’une grande cohérence formelle.

Confronté à l’œuvre deux questions s’imposaient à moi : comment s’est fait ? Quelle est la signification de « La vague » ? Ma rencontre avec 13 Bis a apporté des réponses à la première question. L’artiste, car il s’agit bien de cela, est parti de deux images : la première est une photographie en noir et blanc d’un tableau du 17e siècle représentant une femme « ravie » par un centaure, "Déjanire enlevée par le centaure Nessus" de Guido Reni. La seconde image est une reproduction d’une gravure ancienne. Avec des moyens, somme toute, artisanaux (un ordinateur, une imprimante) l’artiste avec la souris détoure les parties qui l’intéressent pour les « coller » informatiquement parlant. Pour certaines œuvres le découpage se fait avec une paire de ciseaux. Des embruns de la gravure ont été « récupérés » par encadrer le buste de la naïade. Embruns et flots cernent la composition.

Quant au sens de l’œuvre, ce n’est pas à l’artiste de l’imposer mais à « celui qui voit » de le construire. Le titre donné par 13 Bis, la vague, met l’accent sur le sujet principal, la femme qui semble surgir des flots. Revenons à cette femme. Le tableau original le montre « ravie », dans le sens de « capturée » par un centaure. Une femme « ravie » pour être « honorée » (sic) par une créature mi-homme, mi-cheval. Genre « enlèvement des Sabines ». L’histoire de la peinture nous donne maints exemples de scènes érotiques plus ou moins bien dissimulées sous des aspects de scènes mythologiques, voire religieuses ou bibliques. Les mœurs du temps dans leur condamnation de tout ce qui relevait de la sexualité ne permettaient pas aux artistes de représenter la nudité comme le fit, au grand dam des bien-pensants, « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet. Il fallait pour répondre à la double injonction, montrer la nudité, se conformer à la morale, user de subterfuges dont personne n’était dupe au demeurant. La nudité, des hommes et des femmes et des enfants devait se draper dans les habits sérieux de l’antiquité ou du religieux. Les scènes érotiques étaient « réécrites » pour être conformes aux « bonnes mœurs », éviter la censure, et même le procès ! Les morts de Cléopâtre sont à cet égard instructives. Le nombre de peintres ayant peint la mort de Cléopâtre au 17e siècle par exemple est impressionnant. La pharaonne est peinte nue mollement allongée sur une méridienne et la cambrure de ses reins, les traits de son visage disent tout de sa souffrance ! Mon œil ! Enlevons le petit serpent (quoique !) et nous voyons une œuvre de commande qu’on peut accrocher dans son salon. Tout cela est de l’artifice. Mais un artifice convenu qui ne trompait personne. Ainsi, les scènes pseudos mythologiques représentant les amours terrestres des dieux étaient « décodées » par les contemporains. Bel exemple des jeunes femmes « ravies » par des centaures. Le centaure cache (mal) la bête qui est en l’homme et la femme est ravie d’être enlevée. Un jeu des apparences. Un jeu sur les mots pour « couvrir ce sein que je ne saurais voir », dissimuler le plaisir de la sexualité. Un plaisir coupable.

Or donc, revenons à notre « vague ». Un homme voit dans un déchainement (de passions ?) une femme exposant sa poitrine dans un rictus également codé, elle prend un évident plaisir. Je serais tenté de voir dans « La vague » une allégorie sur le voyeurisme. A chacun ses obsessions !

Le sens est l’affaire, non de l’artiste, mais de « celui qui voit ». Comprenne qui pourra ! A condition qu’il y ait quelque chose à comprendre. Et l’artiste est le plus mal placé pour « expliquer ce qu’il a voulu dire ». Il ne dit rien, il crée des images qui sont investies par nos images, images mentales issues de nos expériences, de notre culture, de nos désirs, surtout les plus refoulés et les plus secrets. L’image créée par l’artiste est un miroir ; elle « parle » plus de nous que de lui. Comme l’ « écran noir de nos nuits blanches ».

Détail.

Le marin dans son frêle esquif et la gorge de la naïade.

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Un visage "grec", une expression codée.

Les flots de la gravure ont été collés pour figurer des embruns entourant le buste.

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