Astro, « Vertigo », exposition solo, galerie Loft du 34.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Le trompe l'oeil combine des formes irrégulières entre elles. La densité des signes et la couleur des plans rendent comptent de la "profondeur perçue".

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Ma première rencontre avec le travail d’Astro a été un graff peint sur le Mur de la rue Noguères dans le 19ème arrondissement de Paris. Ce mur long comme cette courte voie piétonne accueille des « œuvres » des street artists de l’arrondissement mais également des arrondissements voisins et de la Seine Saint-Denis toute proche. Le temps passant, il est devenu, grâce à une relative tolérance de la municipalité un mur d’expression libre.[1] Curieusement, le mur qui a accueilli pendant des années des œuvres variées, des graffs et des fresques, dont certaines étaient tout à fait remarquables, s’est « spécialisé ». Il est devenu un haut lieu du graff parisien. Le spot est connu comme tel et les graffeurs y ont leurs habitudes. Sachant qu’un graff a une durée de vie de deux ou trois jours avant d’être recouvert par d’autres graffs, de jeunes artistes y peignent assez régulièrement des œuvres. Des graffeurs étrangers, de passage dans la capitale, y laissent également une trace de leur « art ».

Or donc, à l’image du graff du blaze d’Astro rue Noguères s’est substituée celles de ses toiles récemment exposées à la galerie Le Loft du 34[2]. Ce fut un choc ! Les toiles d’une rare élégance n’avaient rien à voir avec le lettrage pratiqué pendant de nombreuses années par Astro. Au sens littéral, je n’en croyais pas mes yeux. Devant moi, les toiles semblaient posséder un volume, une profondeur. Le plus souvent, d’un plan « supérieur », en suivant des formes géométriques euclidiennes, mon esprit plongeait dans des « trous », qui eux-mêmes ouvraient sur d’autres « abîmes ». D’autres toiles, surgissaient des formes, renvoyant le plan dans des profondeurs secrètes. D’une toile semble s’échapper de la lumière.

Remis de mes émotions, j’ai essayé de comprendre pourquoi j’ai été aussi sensible à l’œuvre peinte d’Astro.

Une des raisons, la plus immédiate, est la surprise. Ses toiles étaient en rupture  avec son travail précédent sur le lettrage. Pourtant, en les regardant de plus près, on comprend la filiation. Astro colorie les surfaces des formes par des « signes » directement issus de ses graffs. Ce ne sont pas à proprement parler,  des « lettres ». Ils ne forment pas un alphabet et leur succession ne forme pas des mots. Ils ne rendent pas  compte graphiquement  de la parole. Ils reprennent une partie du vocabulaire des formes des écritures complétés par d’autres signes créés par l’artiste. Astro n’écrit pas, il se sert d’une « typographie » sans cesse inventée et renouvelée, ouverte à la création et à l’imagination, à la liberté, pour « peindre » des surfaces.

La seconde raison de mon étonnement a été le caractère virtuose de la peinture. Il n’est nul besoin, me semble-t-il, de commenter ce deuxième point : l’observation des œuvres est suffisante.

La troisième raison est plus profondément enfouie en moi. De ces toiles à la rigoureuse géométrie émane un mystère. Le mystère n’est pas de savoir comment l’artiste a réussi ces étonnants  trompe l’œil, mais plutôt :   « Est-ce que ces gouffres ont un fond ? Au fond, tout au fond, que trouve-t-on ? ». Le saisissement qui, dans un premier temps, est esthétique, devient métaphysique. Ces espaces qui se dérobent, qu’on imagine davantage qu’on ne les voit sont des métaphores de notre conscience. Sur une toile, Astro, au fond du « trou » a dessiné une porte. La métaphore devient ici plus lisible : dans notre imaginaire occidental la porte est un symbole traditionnel de nos interrogations existentielles. La petite porte, tout au fond du gouffre, est à peine visible. Comme nous savons que « la porte est étroite » vers les secrets de nos consciences. Comme Pascal, « Le silence de ces espaces infinis m’effraie ».

Les toiles d’Astro comme les mandalas ont deux degrés de lecture : le premier est esthétique et le second invite au questionnement sur nous-mêmes.


[1] Cette « tolérance » est relative : la fresque de Itvan K. et Liak dont j’ai proposé récemment un commentaire a été rapidement recouverte par les services de la propreté de la Ville de Paris.

[2] 34, rue du Dragon, Paris.

 

La diversité des points de fuite sont de véritables défis plastiques.

Les plans découpent des espaces qui ouvrent sur d'autres espaces plus réduits, comme une poupée russe.

L’abîme est circulaire, comme un maelström ou un trou noir.

Une porte au fond du trou mène à l'inconnu.

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Détail.

Élégance du tableau accroché aux cimaises de la galerie.

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