Crise des Gilets Jaunes : arrêt sur 2 images.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Fresque d'Hiver Jaune 1, rue D’Aubervilliers, Paris 19.

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Lecture 9 min.

 

Après 3 mois d’occupation des ronds-points et de samedis de manifestations, la crise des Gilets Jaunes continue et fait florès.

La chute du nombre des manifestants après une décrue pendant les mois de décembre et de janvier semble au regard des effectifs du samedi 23 janvier se stabiliser, voire les conditions météos aidant, les Gilets Jaunes, toujours en colère, sont de plus en plus nombreux à descendre dans la rue. Pourtant, pour la première fois depuis le début du mouvement, les Français qui soutiennent le mouvement seraient aujourd’hui minoritaires.

On connait le déclencheur de la révolte, l’application de la taxe carbone au prix des carburants. Soit une augmentation de 3 centimes, en moyenne, par litre. Devant le mutisme du Pouvoir, les Gilets Jaunes, passèrent d’une revendication ponctuelle et circonstancielle à une demande d’augmentation du pouvoir d’achat, et par réaction à des décisions jugées injustes et autoritaires ; c’est le fonctionnement des Pouvoirs qui est aujourd’hui au centre des luttes. On glissa de manifestations « bon enfant » dixit le ministre de l’Intérieur, à des scènes qui furent qualifiées d’« insurrectionnelles ». Début mars (rappelons que Mars était chez les Romains de l’antiquité le dieu de la guerre et de la violence !), les « Insurgés » demandent la démission du président de la République, la formation d’une assemblée constituante pour rédiger la Constitution de VIe République qui devra mettre en œuvre une démocratie participative.

Petite cause, grands effets. Les journalistes, les politologues, les historiens ont toutes les peines du monde à nommer ce qui se passe en France. Le mot « crise » ne mange pas de pain, mais d’autres parlent d’une « jacquerie », d’une « révolte » et même d’une « révolution ».

Face à un Pouvoir qui choisit le pourrissement des conflits et la répression, les Gilets Jaunes font le constat que le compte n’y est pas ! Ils sont bien peu nombreux à croire à la sincérité de la démarche du Grand débat ; ils n’en attendent pas grand ‘chose. Et ce « pas grand ‘chose » n’est rien à côté de leurs attentes.

La période est pour le moins tourmentée, l’issue de la crise incertaine et comme le disait Paul Claudel « Même le pire n’est pas sûr » ! Dans ces circonstances, les street artists ne sont pas restés la « bombe » aux pieds. Explicitement pour la plupart, ils ont apporté non pas la pierre à l’édifice, mais le pavé !

En particulier, un « collectif » de graffeurs nommé Black Lines, qui se veut le « bras artistique » du mouvement, la traduction street art des black blocks. A l’initiative de deux artistes de TWE Crew, Itvan K. et Lask, d’impressionnantes fresques sont peintes à Paris, à Nantes, à Marseille pour soutenir les luttes sociales et politiques.

La « lecture » de ces fresques est passionnante. Je prendrai arbitrairement et subjectivement deux exemples pour tenter d’en décrypter les messages.

Christophe Dettinger, David contre Goliath.

La représentation de Christophe Dettinger lors du Black Lines Hiver Jaune 1 est symptomatique des rapports entre les Gilets Jaunes et les forces de l’ordre. On se souvient de cette vidéo qui a tourné des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Sur une passerelle, un homme a contraint sous ses coups des gendarmes à reculer. S’en suivirent deux réactions diamétralement opposées : les médias et nombre de partis politiques dénoncèrent la « violence inouïe » de ce Gilet Jaune ; après son arrestation une cagnotte fut lancée sur Internet pour recueillir des fonds pour aider le « boxeur » à payer les frais de sa défense.

A y regarder de plus près, M.Dettinger a peu de points communs avec le David de la Bible. Il a 37 ans, il mesure 1,91m, pèse plus de 90 kg, et c’est un ancien boxeur professionnel champion des lourds-légers en 2007-2008. Les gendarmes armés de pied en cap qui reçurent des coups de poings et de pieds apparaissent plutôt se battre dans une catégorie inférieure. Ce ne sont pas ces images que de nombreux français virent. Ils ont vu un homme seul qui attaquait, armé uniquement de ses deux poids gantés un groupe compact de « robocops », vaillamment, courageusement. Un homme désarmé affrontant un escadron de gendarmes, protégés par des « armures », armés de « matraques », de grenades, de flash balls.

La contrition de l’intéressé, l’expression de ses regrets lors de son procès, ne furent d’aucun poids face à l’image. Le « boxeur » en quelques clics sur un clavier d’ordinateur est devenu ad vitam aeternam, un héros français. Les artistes, la photo de la belle droite de Dettinger dans une main, ont scellé non pas seulement un moment fort d’une manifestation mais ont donné naissance à une « figure » du mouvement. Une figure, symbolique, qui trouve des échos dans la condition sociale des Gilets Jaunes : des « pauvres » écrasés par le Prince. La fresque médiatisée par la presse a été censurée par la Mairie de Paris qui la fit rapidement recouvrir d’une jolie couleur gris clair du plus bel effet.

La prise de l’Arc de Triomphe.

Le 1 décembre 2018 des Gilets Jaunes ont affronté les forces de l’ordre, en haut des Champs-Elysées, à Paris. 412 « émeutiers » ont été interpellés et on a compté 133 blessés dont 23 policiers. Lors de cet affrontement d’une rare violence, l’Arc de Triomphe a été envahi par les manifestants qui taguèrent les murs du monument et détruisirent un buste de Marianne en plâtre avant de parader au sommet. Voilà pour la relation des faits.

Pour une large « majorité silencieuse », c’est l’image du saccage de l’Arc de Triomphe qui a été privilégiée. L’Arc de Triomphe perçu comme la tombe du soldat inconnu et donc comme le symbole de tous les soldats « qui donnèrent leur vie pour la patrie » a été « profanée », comme pourrait l’être une tombe juive d’une croix gammée. La destruction du buste de Marianne a été lue comme la preuve qu’on voulait détruire au sens littéral la République.

Rappelons les faits. La tombe du soldat inconnu n’a pas été profanée. Elle a été protégée par des Gilets Jaunes. Le buste de Marianne était le buste de la Marseillaise, une copie du « Départ des Volontaires de 1792 », sculpture de Rude située au piédroit nord de l’Arc.

Pour les « émeutiers » d’autres images furent retenues de cet épisode. D’abord, une scène représentant des Gilets Jaunes mettant en déroute des forces de police surarmées. Des policiers obligés de battre en retraite submergés par le nombre et la violence des manifestants. La tête fracturée de Marianne a été comprise comme le symbole par le président Macron de la rupture du contrat social et donc de la République.

Dans l’imaginaire des Gilets Jaunes et de leurs sympathisants la prise de l’Arc de Triomphe est l’équivalent symbolique de la prise de la Bastille en 1789. Le « peuple » a vaincu l’« oppresseur ». Cette lecture est renforcée par les très nombreuses références à la Révolution française. Je me souviens d’une banderole sur laquelle était écrit : « Sire, les gueux ont faim. » Un exemple entre mille !

Les street artists construisent un récit des événements qui, comme tous les récits épiques a des héros, des lieux symboliques. Une épopée qui est une nouvelle mouture de la Révolution de 1789 et de Mai 68. Un récit mythique qui met en lien des faits disparates, les organise, leur donne une signification. Un récit qui s’oppose à un autre récit, tout aussi mythique des adversaires politiques des Gilets Jaunes.

Pour s’inscrire dans ce mouvement, il est nécessaire que ses acteurs lui donnent un sens, une signification, qui fournit alors un « horizon d’attente ». On ne risque pas son œil, sa main, sa vie, pour une augmentation de 3 centimes du litre de gasoil. On veut vivre dignement. Être respecté. Ces objectifs interrogent le néolibéralisme triomphant et notre système de représentation.

Les artistes des rues d'aujourd'hui ne sont pas de simples témoins de leur temps, ils en sont également les acteurs, comme d'autres avant eux.

Hiver Jaune 1.

Hiver Jaune 1

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Hiver Jaune 1

Hiver Jaune 2, rue Poterne des Peupliers, Paris 13.

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