Ernesto Novo, le peintre citoyen.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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"heroes", toile actuellement exposée à la galerie Art Bref à Paris.

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Lecture 9 min.

 

Tout récit biographique est une tentative d’explication d’une œuvre. Il est vrai que la peinture d’Ernesto Novo, sa peinture dans la rue, son travail en galerie, posent des questions, interpellent le spectateur. D’où tient-il cette formidable capacité à saisir la ressemblance ? Comment expliquer sa manière de peindre, sa forte identité plastique ? Cette palette qui exalte les couleurs ? Le choix de ses thèmes récurrents, les fréquentes références à l’art africain ? La « spontanéité » de sa peinture, sa rapidité d’exécution qui lui permettent de donner des « performances » ?

Le premier élément d’explication réside, me semble-t-il, dans sa jeunesse. Il a grandi à Nice, dans un quartier populaire, à la périphérie. Sa mère est vietnamienne, son père français, 10 frères et sœurs, tous sont chassés par l’avancée des Viêt-Congs. Un milieu modeste. La vie d’un enfant des cités : les copains sont blacks, blancs, beurs, Gitans sédentarisés. Ernesto Novo est « tombé » dans l’interculturalité comme Obélix dans la potion magique. Sans le savoir. Est-ce de là que lui vient le goût des voyages qu’il fera plus tard ? L’Europe, les Etats-Unis, Dakar, Istanbul, Brazzaville, Rio de Janeiro, Tokyo, Ho Chi Minh Ville à la recherche de ses racines, Rabat, Budapest. C’est du Brésil, lors d’un séjour de perfectionnement de capoeira,  qu’il rapportera son nom d’artiste. Le voyageur n’est pas un touriste ;  ce qui l’intéresse,  c’est la rencontre. Celle des gens, des sociétés, des cultures. Des voyages sans le sou, alors l’étudiant en Arts Décoratifs, fauché, pour aller plus loin encore, dessine à la craie sur les trottoirs. Il y reproduit des fresques célèbres, connues de tous. Pour récompenser de quelques pièces l’artiste, encore faut-il que le tableau soit fameux et le dessin virtuose ! D’autres souvenirs hantent sa peinture. Ils deviennent des sujets, des thèmes récurrents. Sa palette lentement s’est construite grâce aux couleurs vues, aux teintes rêvées. Elle est aussi un héritage.

Si ses yeux se souviennent, la musique continue de rythmer sa vie. Son travail en est indissociable. Il travaille en musique et les musiciens sont fréquemment les sujets de ses œuvres. Sa musique est celle de sa génération ; celle qu’il partageait avec ses copains ; celle qui pulse et qui groove, qui donne envie de danser. La musique, la danse, le plaisir de faire la fête entre copains sont autant de fils qui le relient à son passé.

Musique, danse et pratique des arts martiaux ; les trois sont indissociables. Il a pratiqué la capoeira parce que c’est un combat dansé, à l’origine pratiqué par les descendants d’esclaves du Brésil. Un combat accompagné par la musique. Le taekwondo également parce que c’est une forme de combat venue d’une autre culture et d’un autre temps. Un combat certes, mais aussi une discipline, beaucoup de travail et un code d’honneur. Les choix d’Ernesto Novo témoignent de son intérêt pour les sociétés différentes des sociétés occidentales mais aussi de sa passion de la danse, de la musique et des beaux gestes.

De sa passion d’enfant  pour le dessin, il en fera un métier. Un métier qu’il apprend comme un artisan ; l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice et de Strasbourg (il obtient son diplôme en 1990). Il devient alors dessinateur de presse sur ordinateur. Un curieux métier qui, aujourd’hui, a presque disparu. Pour des agences, il dessine les personnages de l’actualité sociale et politique. Ce ne sont pas des caricatures. Au contraire, il s’agit d’être le plus ressemblant possible. Le lecteur doit reconnaître d’un rapide coup d’œil, Mitterrand, ou Chirac, Poutine ou Obama. Pendant 17 ans, ses dessins seront publiés par la presse internationale pour illustrer des articles. Une passion précoce pour le dessin, un apprentissage méthodique des Arts Décoratifs, presque deux décennies à saisir la ressemblance.  Après cette longue parenthèse d’utilisation du numérique, Ernesto Novo est revenu à une pratique traditionnelle de la peinture, utilisant l’acrylique, la brosse et des supports aussi variés que le papier, la toile ou les murs.

Sa longue expérience de dessinateur explique qu’Ernesto Novo soit un portraitiste, remarquable dans sa capacité à saisir la ressemblance et à la saisir rapidement. Le don n’explique rien, il y a surtout un apprentissage et une longue, une très longue pratique.

Un portrait pour Ernesto Novo est donc ressemblant mais il ne se borne pas à reproduire des traits, à les « copier » en quelque sorte. Sa peinture véhicule un sens, une signification. Ses portraits portent un message. Je me bornerai à un exemple : regardons son portrait de Mme De Gaulle-Anthonioz, son port de tête et surtout son regard. Nous y voyons une douceur infinie, une profonde empathie, celle qui la fera participer à la fondation d’ATD Quart-Monde et une force peu commune, celle qui l’aidera à survivre à sa déportation à Ravensbrück.

La peinture d’Ernesto Novo a une forte identité. On reconnait ses portraits à son graphisme et à sa palette. Son travail est d’abord un travail d’atelier. Il remplit, comme ses illustres prédécesseurs, des carnets de croquis. Il convoque également les outils modernes de la création d’images : la tablette graphique, l’ordinateur, de complexes logiciels de traitement d’images. C’est la partie souterraine, la partie immergée de son métier de peintre. Si la gestation est lente, l’exécution surprend par sa vitesse. Le travail d’atelier reste le socle de la diversité de sa production : l’illustration, la peinture de chevalet, le muralisme. En fait, à y bien regarder, si les supports changent de nature et de dimensions (la toile tendue, le mur etc.), la touche est la même. Novo est un artiste-peintre, comme on le disait encore au début du XXème siècle. C’est une jolie expression qu’il revendique. A raison.

Ses primes années, ses rencontres, ses expériences expliquent-elles son engagement citoyen ? Il est vrai qu’il est, comme de nombreux artistes, sollicité pour défendre de « bonnes causes ». Il a apporté son soutien à de nombreuses manifestations, en donner une liste exhaustive serait, dans le cadre de cette brève biographie, alourdir le propos. Citons toutefois, son action en faveur d’Haïti lors du tremblement de terre, son soutien actif en faveur de l’association ELA parrainée par Z. Zidane, son engagement auprès du fonds de dotation Sibylle Sibierski, son soutien aux otages français en Irak. Ses choix, on le voit, ne sont pas des choix partisans. Il est libre, libre de soutenir les causes qu’il estime, en son âme et conscience, « bonnes », selon son système de valeurs.

Sans être à proprement parler un militant, Ernesto Novo est sensible à ce qu’il nomme « le travail de mémoire ». Ne pas oublier ceux qu’on a aimés, qu’on a admirés. Ceux à qui nous devons quelque chose d’important dans notre vie : une musique, une voix, notre liberté. Il commémorera l’anniversaire de la mort d’Edith Piaf, celle de Serge Gainsbourg, celle de James Brown, celle de Prince, entre autres. C’est ce devoir de mémoire qui explique son action en faveur des tirailleurs sénégalais et ses superbes portraits de quatre grandes figures de la Résistance, Germaine Tillion,  Mme De Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. Résistants héroïques, dont les cendres ont été transférées au Panthéon en 2015. C’est ce même devoir de mémoire qui le conduit dans les collèges et les lycées pour témoigner et transmettre.

 Le talent de portraitiste et de coloriste d’Ernest Novo a été vite reconnu. Il est  sollicité par de grandes marques, dont  certaines sont prestigieuses. Il met son talent au service d’institutions prestigieuses nationales et internationales mais aussi d’associations ayant des projets plus locaux. Récemment, trois de nos  plus grandes institutions nationales l’ont invité à prendre part à de nombreuses manifestations culturelles, dont certaines ont eu un rayonnement international (Expositions organisées par le Ministère de la Culture et de la Communication, musée de l’Immigration, les Archives nationales,  pour ne donner que ces exemples). La reconnaissance de son talent est patente comme en témoignent les nombreux posts de blogs, les vidéos et les articles de presse qui lui sont consacrés.

Ernesto Novo a hérité des valeurs de son milieu, il a su engranger et faire fructifier sa découverte des cultures, développer et maîtriser des techniques mixtes qui, aujourd’hui, en font un artiste émergeant de la scène de la peinture contemporaine.

 

Détail de la fresque peinte "dans la rue" lors de l'inauguration de la gare RER Rosa Parks. Paris, décembre 2015.

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Rosa Parks lors de sa rencontre avec Martin Luther King. Fresque "Rosa Parks fait le mur".

Fresque peinte à Belleville pour honorer l'entrée au Panthéon de Germaine Tillion et de Mme Anthonioz-De Gaulle.

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