Ernesto Novo : profession, portraitiste.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Portraits des Germaine Tillion et de Geneviève De Gaull-Anthonioz. Photo : R.Tassart

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Ernesto Novo est un peintre. Un peintre qui travaille parfois dans la rue, parfois dans l’intimité de son atelier. Un peintre énervant qui excelle dans le très difficile art du portrait et qui excelle également dans l’art non moins difficile de la fresque politique. Dans ces conditions, dans ce surcroit d’abondance des talents, tout choix est, non pas arbitraire, mais complétement subjectif. Une sorte de lien secret entre « celui qui voit » et les œuvres.

En guise d’introduction au travail d’Ernesto Novo, j’ai choisi deux œuvres et trois portraits. La première œuvre date de 2014. C’est une commande dont l’objet était de célébrer l’entrée au Panthéon en 2015 de deux grandes dames, Germaine Tillion et Mme De Gaulle- Anthonioz, deux femmes résistantes enfin reconnues dignes de figurer dans le panthéon national. Leurs cercueils rejoignaient alors ceux de Sophie Berthelot et de Marie Curie. Pour la première fois, deux femmes étaient panthéonisées pour des faits de résistance pendant la Seconde guerre mondiale. L’événement était là ; dans la reconnaissance du rôle des femmes dans la Résistance. Leurs portraits ont été peints sur les rideaux de fer d’une librairie-papeterie fermée depuis des lustres, à l’angle de la rue de Tortille et la rue Ramponneau, dans le quartier populaire de Belleville.

Chaque portrait est un hommage. Les visages sont légendés par l’inscription du nom et des dates de naissance et de mort des deux femmes et des « titres » qui justifient l’honneur rendu par la nation. Les modèles des portraits sont des photographies qui fixent l’image des Résistantes, non pas pendant la période de 39 à 45, mais leur image de dames âgées, souriante pour Germaine Tillion, plus « sérieuse » pour Mme De Gaulle-Anthonioz. Deux images connues et reconnues par tout un chacun. Deux images quasi iconiques.

L’originalité des portraits n’est donc pas dans le choix des images-source. Elle est dans le « traitement » des images par Ernesto Novo. Les portraits sont tout d’abord des portraits ressemblants. La recherche de la ressemblance était une des conditions implicites de la commande. Les visages ont été peints « classiquement » à la brosse mais des formes concentriques, oblongues, quasi circulaires, colorées, constituent des rehauts. Ces formes ont deux fonctions plastiques : elles colorent le support au même titre que la peinture étalée à la brosse et donnent un relief particulier à l’exécution. De plus, elles distinguent les portraits de Novo des portraits d’autres artistes, échappent aux codes de la tradition du portrait, signent en quelque sorte les œuvres. Plus profondément, l’opposition entre les aplats de couleurs et les formes de rehaut est d’un grand raffinement esthétique. A cette opposition se conjuguent les délicates harmonies de couleur. Les rouges ardents sur le fond noir, les roses tyriens et les gris, les bleus outremer et les blancs.

Bref, des portraits qui témoignent d’une remarquable maîtrise technique et d’une profonde originalité formelle. J’écrivais en 2016 qu’Ernesto Novo renouvelait Bref, des portraits « classiques » peints avec sensibilité et raffinement, de l’art du portrait, je persiste et signe.

Mercredi 24 avril dans le square de la Roquette s’est déroulé un événement singulier : « Un œil sur Paname ». Il a un objectif : rendre hommage à un jeune homme de 15 ans, Hismaël Diabley. Hismo, a été poignardé à mort alors qu’il s’interposait lors d’une agression d’une bande de jeunes, un samedi soir. C’est alors qu’il tournait un clip de rap rue de la Roquette qu’une vingtaine de jeunes du 19e arrondissement sont venus régler des comptes avec une dizaine de jeunes du 11e. Les causes ? Un différend à propos d’une fille. Un « fait divers », quelques lignes dans la presse locale, une tragédie pour ceux qui l’aimait, un trauma pour le quartier où il vivait.

Ernesto Novo, touché par ce drame, a voulu être associé à l’hommage rendu à ce gamin tué par un autre gamin. Ernesto est un peintre. Il témoignera par son art. Le mur sur lequel il a peint la fresque appartient au décor de la courte vie de cet enfant, presqu’un jeune homme. Il est situé à côté des terrains de basket et de foot, là où jouent les Petits et les plus grands. Les gosses jouent à s’arroser, à faire la bagarre, à se poursuivre dans les allées. Des mômes de toutes les couleurs, bruyants, s’énivrant de mouvement, ivres de liberté. Ils ne parlent pas, ils crient, s’invectivent, s’insultent « pour rire ». Des gavroches, des gamins de Paris, heureux de vivre, de partager leurs jeux. De tout partager.

Ernesto Novo a peint un mur qui est, également, un hommage. Mais sa facture est bien différente. Le mur entier forme le cadre. Il est divisé en espaces bien définis : une partie centrale sur laquelle est peinte le portrait ressemblant du jeune garçon, un décor constitué d’une « aura » cernant le visage et d’une partie basse formée de la répétition de motifs semblables, des mains serrées. Le portrait est encadré par deux « colonnes » de motifs, une reprise de l’aura du visage peinte en dents de scie, deux motifs : un micro et un ballon de football. Le visage est surmonté d’un lettrage : l’écriture du nom du jeune garçon et ses dates de vie et de mort (lettrage Sitou Matt). Comme la stèle d’une tombe.

Ernesto Novo a choisi de représenter un Hismo souriant. Il est entouré de signes qui résument ses deux passions : le rap et le foot. Si la couleur noire est présente, elle l’est comme un élément de fond. Les couleurs sont des couleurs « chaudes », des jaunes, des orangés, des rouges. L’hommage fige Hismaël dans la beauté rayonnante de ses 15 ans ; un bel adolescent qui avait les passions des autres ados du quartier. L’hommage de Novo rompt avec les référents des « tombeaux ». Pas d’épitaphe, un contrepied radical aux codes des couleurs de la mort en occident. Le mur est bien davantage un « arrêt sur image », une image de bonheur, qu’une stèle tire-larmes.

Ernest Novo dépasse la « déploration » rituelle du deuil pour inviter au pardon des offenses. C’est, à mon sens, la signification de ces mains serrées constituant un tiers du décor du portrait. En y regardant bien, nous voyons des mains blanches serrer des mains noires, et des mains noires serrer des mains jaunes. Comment ne pas y voir une invite à la fraternité entre des Hommes de couleurs différentes. C’est également une référence discrète aux circonstances du drame. Une référence certes mais pas une condamnation. Ces poignées de mains sont des appels réitérés et insistants à l’amitié, à la tolérance et à l’amour des autres. Le contraire d’un message de vengeance.

Ernesto Novo entoure fréquemment ses portraits de « lignes » aux couleurs dégradées (ici, 6 couleurs allant du blanc au rouge vermillon). Elles forment, non une auréole sur le modèle des saints chrétiens, mais plutôt une aura qui détoure le portrait proprement dit et, ainsi, le mets en valeur. Ce sont 5 des 6 couleurs qui sont reprises en décor des « colonnes », complétées par un fond noir. La reprise de la frise à 5 couleurs (plus blanc, plus noir) apparente le portrait à l’art traditionnel africain. Rappelons que les masques africains ont 7 couleurs : le blanc, le noir, le rouge, le jaune, le bleu, le vert et l’ocre brun. Le portait a 5 des 7 couleurs « traditionnelles » des masques. La dominante jaune du portrait rejoint la signification rituelle : « Elle représente la paix, la sérénité, la fortune, l’espoir, la fertilité, l’éternité, mais aussi le déclin et l’annonce de la mort. » Je pense que le peintre ayant une grande familiarité avec l’art africain a puisé les couleurs de son portrait dans la palette des arts de l’Afrique. Somme toute, un portrait africain pour un jeune africain de 15 ans, un « ange » mort pour rien.

La comparaison des portraits met en lumière le rapport avec le contexte. Les portraits des deux Résistantes sont « précieux », comme ornés. La finesse de leur exécution est, en soi, un hommage indirect à ces deux grandes dames. Le portrait d’Hismo a une facture différente. Ernesto Novo interrogé à ce sujet m’a confié qu’il avait « lissé » sa peinture. Restituer sans fioritures, sans rehauts, les traits du visage de l’enfant mort a été sa manière de rendre hommage à la douleur de sa famille ; restituer le plus précisément possible les traits du jeune garçon. Une famille aimante qui souhaitait que les témoignages soient "un temps de paix et d'amour à la mémoire et à l'image d'Hismaël. Un moment où il faut faire communauté ensemble afin de retrouver l'apaisement nécessaire à ce vivre-ensemble, dans cette société." A ces paroles d’une grande force répondent les mains serrées d’Ernesto Novo.

Loin du « folklorisme », Ernesto Novo a mis en images la volonté de la famille d’Hismo. Il institue sa « figure » dans son univers familier comme le symbole du prix à payer pour la fraternité. Un sens est donné à sa mort. Un sens et une forme, solaire, rayonnante d’un « ange », sacrifié dans un rituel sanglant.
Lire aussi l'article de Canva : Les points communs entre le Street Art et le Design

 

Portrait de Mme De Gaulle-Anthonioz. Photo : RT

Portrait de Mme Tillion Photo : RT

Détail des portraits. Photo : RT

Détail Photo : RT

Détail : RT

La fresque-hommage d'Ernesto Novo située dans le square de la Roquette, Paris. Photo : RT

Portrait : Ernesto Novo Lettrage : Sitou Matt Photo : RT

Détail fresque Photo : RT

Détail. Photo : RT

Une des deux passions d'Hismo, le rap. Photo : RT

Le symbole de la seconde passion du jeune garçon tué, le football. Photo : RT

La symbolique des mains serrées. Photo : RT

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Détail Photo: RT

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