FD crew, le mur Karcher, un comic strip.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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L’association Art Azoï qui gère plusieurs « murs » dans le 20e arrondissement de Paris a donné carte blanche aux 6 artistes du crew FD : Alfe, Fume2, Panzer, Peter, Redulk et Tipol. Le crew nous propose, peint sur le mur Karcher, un strip. Bonne occasion de pointer les rapports qu’entretiennent bande dessinée et street art.

Le mur Karcher sépare le square du même nom de la rue des Pyrénées. Il présente un profil particulier : il est long (à vue de nez plus de 40m) et sa hauteur varie entre, à un bout, 50 cm, à plus de 2m, à l’autre extrémité. Sa longueur a été utilisée par le crew pour peindre une bande dessinée. Nous voyons de petits personnages en train de peindre le mur.

Les personnages sont connus de tous. Ce sont les Peanuts, également connus sous le nom de Snoopy et les Peanuts ou simplement Snoopy. Le comic strip a été écrit et dessiné quotidiennement par l’américain Charles M. Schulz, d’octobre 1951 jusqu’à sa mort, en février 2000, soit un total de 17 897 strips ! Le strip est littéralement une bande dessinée. Plus précisément, une série courte de cases, proposant au lecteur un gag. Deux traits ont fait le succès mondial des Peanuts : le « running gag », le comique de répétition poussé à la limite et la riche galerie de personnages [1]ayant chacun une personnalité, des accessoires récurrents et des obsessions constantes. Elles réapparaissent dès l’entrée en scène des personnages, renforçant le comique de répétition des gags.

Schulz n’aurait pas renié le strip de FD crew. Les cases caractéristiques de la bande dessinée ont été certes supprimées mais la composition de la fresque renvoie précisément à la BD originale, à la différence que le strip peut se lire dans les deux sens, de droite à gauche et de gauche à droite. Six saynètes structurent le strip. On y retrouve les Peanuts qui peignent le mur. Ils utilisent les outils des street artists : bombe aérosol, rouleau, pinceau. La peinture coule, les « œuvres » tiennent plus du barbouillage que de l’art. Normal, ce sont de jeunes enfants qui peignent et leurs « peintures », comme ils disent, sont celles de jeunes enfants.

Entre les six « tableaux », différents mais illustrant la même maladresse, nous voyons ce que les personnages ont déjà peint. C’est de la même eau ! Un désastre !

Le comique vient de la répétition des six scènes : des personnages différents font à peu près la même chose et obtiennent les mêmes résultats, résultats s’étalant sur plusieurs dizaines de mètres linéaires. Non seulement, ils peignent des gribouillis, mais le font en abondance apparemment satisfaits du résultat quoique deux personnages ayant un statut de témoin jettent sur l’artiste en pleine création un regard réprobateur. L’importance de la surface couverte par les « œuvres » des Peanuts est, en soi, un gag.

Je crains que certains passants ne possédant pas les codes du strip des Peanuts aient mal interprété le mur du crew. Ils ont pris les gribouillis au premier degré croyant que les artistes du crew avaient fait « n’importe quoi ». Bien sûr, ils n’ont pas trouvé ça drôle ! Il est vrai que Charlie Brown et son inénarrable chien Snoopy sont absents et que les autres personnages ne sont connus que des initiés. Il est vrai également que l’ensemble des personnages connu de tous les enfants des pays anglosaxons est immédiatement reconnu et identifié par ses traits distinctifs. En ce qui concerne la France, c’est certainement beaucoup moins vrai. Quelques personnages sont fameux (Snoopy, Charlie Brown etc.), et des milliers de produits dérivés les représentent. Les autres personnages n’apparaissent qu’épisodiquement dans les bandes dessinées et leur identification est moins immédiate. Le « running gag » est également dans la référence du strip avec d’autres strips du corpus.

Non seulement nous voyons six échecs peints sur le mur, mais ces échecs à répétition font écho à une foultitude d’autres échecs des Peanuts. Nous sommes là au cœur de la mythologie des Peanuts, ces antihéros qui loupent tout ! Cela n’est pas sans évoquer nombre d’antihéros du cinéma burlesque américain (Laurel et Hardy notamment, Buster Keaton etc.)

Le strip du mur Karcher est un exemple des correspondances entre l’univers des bandes dessinées et le street art. Les street artists en reproduisent les héros, les super- héros à satiété. Les emprunts sont déclinés dans de nombreux pays, pays partageant la même culture. Il en est tout autrement dans les pays dont la politique refuse le modèle « occidental » et ceux qui rejettent violemment les icônes étatsuniennes. Non seulement nous retrouvons dans le street art des personnages échappés des BD mais le connaisseur y décèlera l’influence de tel ou tel grand dessinateur de comics et de mangas (cf. les dessinateurs « historiques » de la Marvel et de DC Comics). Raconter les histoires parallèles de la BD et du street art serait une bonne idée de livre ! Avis aux amateurs !

Un autre intérêt du strip de FD crew, c’est le rapport entre le street art et l’humour. Les œuvres drôles sont relativement rares ; elles le sont parfois à leur corps défendant ! Elles utilisent davantage le deuxième degré, l’ironie, la caricature etc. Difficile d’être pris « au sérieux » avec une œuvre drôle ! Alors on fait dans la « déco », la fresque à message, la belle ouvrage !

Seul un long mur permettait non un récit linéaire mais une suite de saynètes répétitives, suffisamment répétées pour être drôles. Saluons l’intelligence du projet et son caractère exceptionnel. Merci aux artistes de nous offrir, le temps de parcourir 40 mètres, un moment de plaisir. Un sourire serait leur récompense.

 
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[1] Pig-pen, Linus van Pelt, Woodstock, Lucy von Pelt, Snoopy, Charlie Brown, little red Haired girl, Marie Johnson, Peppermint Patty, Sally Brown.

Le mur Karcher, rue des Pyrénées, Paris 19.

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