« Gilets jaunes », un art révolutionnaire ?

Street/Art

Par | Penseur libre |
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La fresque est la conjugaison d’un pochoir de Bricedu Dub, d’un dessin à la bombe d’Itvan K. et d’un lettrage de Lask, peinte lors d’un événement Black Lines, rue d’Aubervilliers, dans le 19e arrondissement. En quelques mots sont résumés à la fois la cause centrale du mouvement et son objectif. Une courte phrase-programme, une fresque dont la simplicité fait la force.

 

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Lecture 9 min.

 

Mi-Juillet 2019, dans ma thébaïde pyrénéenne, les pieds dans l’herbe grasse, le nez dans l’azur, je feuilletais mon Monde quotidien quand je suis tombé sur un article qui a retenu mon attention labile.

Le 8 juillet « Le Monde » consacrait un court article à une exposition londonienne de photographies des murs du Soudan depuis février 2019.L’exposition était organisée par la branche britannique du Syndicat des médecins soudanais, le SDU UK. Elle était titrée : « L’art révolutionnaire soudanais. » Marwa Gibril, membre de ce syndicat, dans un entretien donnait les raisons de cette exposition. Il disait : « Depuis la dispersion du sit-in dans le sang du 3 juin, « beaucoup » de ces peintures murales ont été « effacées ». Après la fin du sit-in, des artistes ont « disparu ». « On ne sait pas s’ils sont vivants ou morts », ajoutait-il.

Ainsi des médecins soudanais vivant en Grande Bretagne voulaient garder une trace des fresques et des inscriptions peintes sur les murs pendant les manifestations sanglantes de Khartoum qui provoquèrent la chute d’Omar El-Béchir et la prise du pouvoir par les militaires. Les slogans et les œuvres peintes dans les rues de la capitale soudanaise sont considérés par les soudanais comme des exemples de « l’art révolutionnaire » et, à ce titre, dignes d’être conservés sous forme de clichés pour garder la mémoire de ces événements « révolutionnaires ».

Comment ne pas faire le parallèle avec la censure des œuvres de street art qui a accompagné le mouvement des « gilets jaunes » à Paris ? J’ai dans un billet précédent dénoncé non le nettoyage des murs de la capitale mais la censure politique mise en œuvre avec constance, sinon acharnement, par la Mairie de Paris et la Préfecture de Police. Aujourd’hui après l’acte 35 du samedi 13 juillet, que reste-t-il de « l’art révolutionnaire français » sur les murs de la capitale. Quelques fresques peintes rue Ordener par Torpe et son frère Martin Péronard, fresques remarquables, dont la signification, à coup sûr, un peu trop complexe, a échappé aux censeurs. Les fresques iconiques ayant eu dans la presse un certain écho ont été recouvertes d’une belle peinture grise assortie à l’asphalte des trottoirs avec une très remarquable célérité par les services de la Propreté de la Ville, pressés de cacher des discours séditieux sur les violences policières, les inégalités sociales, les excès du libéralisme triomphant, le renoncement à une ambitieuse politique écologique au profit des lobbies, la complicité objective des médias dans la hiérarchisation de l’information et les pseudos dérives du mouvement.

Alors, considérant que les œuvres produites sur les murs de la rue d’Aubervilliers, de la rue Kellermann, de la rue de La Fontaine au Roi, de la rue Ordener sont d’authentiques œuvres d’un art révolutionnaire français, doutant qu’un commanditaire se risque à organiser une exposition des photographies de ces très remarquables œuvres, je ne résiste pas à l’envie, in memoriam, de diffuser 6 de ces œuvres.

Il ne s’agit pas d’un « tombeau », car si le mouvement puissant des « gilets jaunes » s’épuise, d’autres, peuvent, en tirant les leçons de ce mouvement dont l’histoire gardera la mémoire, resurgir sous d’autres formes. Ce n’est pas davantage d’un « hall of fame » ou d’un hit parade à la con. Une volonté de garder la trace d’un mouvement social et politique d’une ampleur et d’une longueur qui a révélé la vraie nature d’un exécutif ni de droite ni de gauche. Une modeste volonté de lutter contre l’arbitraire et l’oubli.

Six images, non pas choisies au hasard Balthazar, mais représentatives d’un art révolutionnaire qui gênent les puissants. Des puissants qui connaissent la puissance des symboles et l’incroyable force de mobilisation des images. Le mouvement des « gilets jaunes » ne doit pas laisser de trace. Ils savent qu’au fond rien n’est réglé et que le feu peut resurgir d’un volcan qu’on croyait éteint. Les symboles ont ceci de particulier qu’ils peuvent, en fonction des circonstances, être réactivés.

Les murs sont politiquement « propres ». Il ne s’est rien passé, ni ici, ni ailleurs. Circulez, il n’y a rien à voir. Mais les faits sont les faits et des millions d’images en portent témoignage. Des artistes « gilets jaunes » ont organisé à Paris des expositions de photographies pour témoigner de leur soutien au mouvement et porter témoignage.

La censure systématique et organisée des fresques prépare une réécriture de l’histoire. Les plans com’ doivent redorer les Champs-Elysées, l’Arc de Triomphe, supprimer les symboles des luttes, faire taire les témoins et surtout, faire oublier que la politique incarnée par le chef de l’Etat a été un retentissant échec social qui en donné naissance à un mouvement de contestation à tous points de vue historique.

Les œuvres des street artists ont fourni des figures révolutionnaires et des symboles mobilisateurs. Il fallait les effacer. Des murs. Et des mémoires.

 

 

 

 

 

 

La seconde est une œuvre atypique de Martin Péronard peinte lors d’un Black Lines. L’artiste en reprenant l’image de la pieuvre chère aux caricaturistes du début du 20e siècle, dans un style très personnel, synthétise tous les méfaits du capitalisme. Les nababs y côtoient leurs esclaves dans un décor d’immeubles de bureaux et d’usines aux cheminées fumantes. Martin en reprenant les codes « classiques » de la caricature politique propose une vision d’apocalypse digne du « 1984 » d’Orwell.

 

 

 

 

Skalper, lors d’un Black Lines rue d’Aubervilliers, a peint « le boxeur », Christophe Dettinger. La vidéo montrant un homme seul, armé de ses poings faire reculer un barrage de CRS, visionnée des millions de fois sur les réseaux sociaux et dans les médias nationaux a fait de cet homme une des « figures » du mouvement. Le symbole de David contre Goliath. Du peuple opprimé vainqueur des argousins du pouvoir. Le portrait a provoqué un tollé dans l’opinion publique ; il n’est pas tolérable pour certains de glorifier ceux qui s’opposent aux forces de l’ordre.

 

 

 

 

Lask a portraituré lors d’un Black Lines rue d’Aubervilliers un dictateur en clown blanc grotesque. Un clown qui croit incarner le pouvoir alors qu’il est au service des puissances d’argent. Nul ne vit dans cette caricature une référence à d’autres temps. Tout le monde compris la référence au chef de l’Etat, droit dans des bottes trop grandes pour lui, qui est resté des mois durant l’arme au pied mais le micro à la main, disant que « tout était bien dans le meilleur des mondes possibles ».

 

 

 

 

Magic, un street artist belge, est venu à Paris pour participer au Black Lines organisé boulevard Kellermann. Il a peint en présence de l’intéressé le portrait de Jérôme Rodrigues. Un visage meurtri. Un œil crevé sous l’objectif des caméras. Un tir sur un homme désarmé, place de la République. Pour rien. Ou pour se venger d’un leader du mouvement. Un homme coupable de rien qui, éborgné, appela au calme.

 

 

 

 

Itvan K. a peint l’émeute, l’insurrection populaire. Des insurgés désarmés affrontent les forces de police caparaçonnées, armées de matraques, de LBD, de grenades de désencerclement, de canons à eau, de gaz lacrymogènes. Des émeutiers, le visage caché, se battent contre des guerriers casqués, le visage dissimulé à un contre cent. Un combat inégal, perdu d’avance. Une scène héritière des fresques historiques des Révolutions de 1830 et 1848. Une scène dramatique dominée par l’Arc de Triomphe, l’une des victoires emblématiques des émeutiers. Un Arc qui symbolise le refus de l’oppression et la Résistance du peuple insurgé pour défendre ses droits.

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