Héol. Le panthéon des humbles.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Un lundi après-midi de février, il faisait froid, le ciel était plombé par des nuages gris d’acier, au crachin succédaient des averses. Un temps d’hiver ordinaire à Paris. J’avais décidé d’aller prendre des photos de la fresque Black lines peinte le dimanche sur le spot de la rue de La Fontaine au Roi à Belleville. Je tenais en particulier à prendre des clichés des œuvres d’Itvan Kebadian et d’El Veneno, deux artistes à qui j’ai déjà consacré des articles. Faut pas trainer pour prendre des photos des œuvres de street art à Paris. Soit la préfecture de police avec une extrême diligence fait recouvrir d’une belle peinture gris souris les œuvres, soit le service de la propreté de la Ville avec une diligence encore plus grande « nettoie » les œuvres, soit elles sont toyées pour des raisons diverses et variées, soit recouvertes par d’autres œuvres. Les places sont chères ! La fresque Black lines ayant été terminée le dimanche soir, le lundi après-midi, malgré ou grâce au temps pourri j’espérais prendre quelques clichés pour assurer à ces œuvres une toute relative pérennité.

Rapidement, avant une nouvelle averse, je pris plusieurs photos et découvris une magnifique fresque noir et blanc signée d’un certain Héol. Quelques dizaines de mètres plus loin, un artiste peignait le portrait d’un homme agenouillé. Un portrait en rupture complète avec les autres œuvres. Un homme à genoux était peint de couleurs fauves par un artiste qui utilisait un rouleau avec un long manche et trois pots de peinture. Un spectacle singulier qui m’invita à lier conversation.

C’est de cette manière qui doit tout au hasard des rencontres que je fis la connaissance d’Héol. Grâce aux liens qu’il m’a ensuite envoyés et à une patiente recherche sur Internet, grâce également à une correspondance que nous avons eue, j’ai découvert un artiste de talent qui s’illustre dans des champs disciplinaires fort divers et, en particulier dans la vidéo et le muralisme.

Dans cet article, après avoir dit quelques mots sur les vidéos qu’il réalise, je prendrai un exemple de réalisation pour mettre en évidence son art du portrait et l’engagement social et politique de son travail.

Un mot donc sur les vidéos d’Héol[1]. Ce sont de courtes vidéos filmées dans son atelier. En fait, ce sont plutôt des performances qui ont comme sujet la création d’une œuvre plastique. Cela ressemble à un time laps mais l’artiste va bien au-delà : il met son corps en scène, jouant avec les éléments de l’installation, les pots de peinture, la peinture elle-même. La scène (car il s’agit bien de théâtre) est rythmée par une musique choisie avec une grande circonspection.

Après quelques images d’introduction, pour situer l’événement, Héol projette sur un haut mur noir des litres de peintures de couleurs. A l’aide d’un rouleau muni d’un long manche, à partir de ces projections, il fait naître des formes et au final des images. En somme, c’est un spectacle total. Du désordre, du hasard, lentement émerge sous les doigts du peintre-magicien un portrait éphémère. Un spectacle dans lequel se côtoient en s’interpénétrant, théâtre, musique et live painting.

A propos de ses vidéos, Héol dans un entretien récent déclare « Les vidéos sont un moyen de scénariser le processus de création, de dynamiser les images, créer du mouvement dans la peinture qui est elle-même en mouvement. Je réalise beaucoup de « splashs » sur les murs pour commencer une fresque, en vidéo, c'est sympa. Les vidéos sont pour moi importantes dans mon travail car je peins à l'énergie et souvent en milieu naturel. »

Les vidéos d’Héol sont, je le crois, un genre qu’il a inventé. L’homme aime le mouvement, l’imprévu, la spontanéité, le hasard et, dans ces courtes œuvres, il le montre avec éclat.

Il en est tout autrement de son travail de muraliste. L’exemple que j’ai choisi de vous présenter est la performance qui se déroula le 4 et 5 juillet 2020 au Parc du Gué-de-Maulny dans le cadre du festival Plein Champ. Le long d’un chemin de halage, Héol a peint les portraits des ouvriers et des ouvrières sur les murs d’une ancienne manufacture de tabac. Une fresque de 500 m2 !

Dans un premier temps, le conseil de quartier lui a envoyé une vingtaine de photographies tirées d’archives ; des photographies prises à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. Héol a retenu un cliché datant de 1919, en noir et blanc. Une trentaine d’ouvrières posent en tenue de travail, chaussées de sabots, la blouse protégée par un tablier. De ce cliché, Héol a conservé les portraits des femmes. D’autres photographies de la même époque ont complété le tableau. D’une photo d’un atelier, Héol a gardé les portraits des hommes, les roues des machines. Ces images ont été complétées elles-mêmes par les témoignages de témoins de l’activité de la manufacture. Des badauds rencontrés pendant les semaines passées à peindre les murs de l’usine désaffectée et oubliée. Les récits faits par les uns et par les autres ont enrichi la recherche informelle de l’artiste. C’est avec ce matériau, source iconographiques et témoignages, qu’Héol a conçu une œuvre qui rend hommage au travail des ouvriers et des ouvrières, rend au lieu une mémoire, réinscrit la manufacture des Tabacs dans l’histoire de la ville du Mans.

Se jouant des contraintes, les portes et les fenêtres en particulier, Héol donne à voir l’étendue de son talent de peintre. Les photographies en noir et blanc ont été « mises en couleurs ». Les couleurs qui ne sont pas réalistes magnifient les portraits et les décors. Intenses, contrastées, elles renvoient une lumière franche qui donne vie aux acteurs. Un chromatisme sans concession qui par la couleur (re)donne à la classe ouvrière sa fierté.

Héol parle de son travail avec lucidité et recul. Il dit en parlant de sa peinture : « Mon regard n'est pas intellectuel, je n'ai pas de ligne directrice sur mon travail. Je suis plutôt un peintre instinctif, intuitif, engagé, qui fonctionne à l'énergie corporelle. J'aime être dehors cela m'ancre davantage dans la réalité ; cela permet également de provoquer la rencontre avec les passants, le public, les spectateurs ».

Il éclaire ses choix nous donnant des clés pour mieux cerner son œuvre : « J'aime les grands formats, les grands personnages. J'aime l'époque de la révolution industrielle, les travailleurs, la vie dure qui marque les visages, les mains. J'aime rendre hommage aux minorités, aux oubliés. Je travaille souvent avec des images en noir et blanc pour pouvoir poser les couleurs que je veux. Ces couleurs sont souvent vives et contrastées, entre les couleurs chaudes et froides. »

Vidéos-performances artistiques, peinture inscrite dans le champ social, Héol est tout cela et même davantage ! Je sais l’authenticité de sa démarche et je lui sais gré de rendre visibles les « gens de peu ». Son projet est d’une grande intelligence : une immersion complète dans un milieu et une histoire locale, une recherche iconographique complétée des témoignages des témoins, la création d’une œuvre composée, réfléchie, pensée, belle enfin, portant la voix de ceux qui ont été privés de parole.

Le lundi de notre rencontre, le ciel pesait comme un couvercle. De fines gouttes de pluie filtraient une pauvre lumière et, dans ce décor digne du premier cercle de l’Enfer de Dante, j’ai croisé Héol. Héol, en grec, la demeure du vent. En breton, le soleil. Sa peinture éclatante m’a apporté du réconfort, entre pluie, vent et soleil. L’art est une consolation.

Photo R.T.

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