Le 22 septembre 2016, à Bruxelles, le street art licencieux a frappé

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Certains jours restent gravés dans nos mémoires : le 14 juillet 1789, le 11 novembre 1918, le 8 mai 1945, le 11 septembre 2001 et le 22 septembre 2016. Le 22 septembre 2016, comme le titrait sobrement un quotidien belge : «La capitale belge est envahie par  des sexes géants ». L’émotion fut en rapport direct avec la taille des organes génitaux représentés : immense. La presse écrite et audiovisuelle belge bientôt relayée par les médias mondiaux relayèrent les informations et publièrent les photographies des « œuvres ». « L’affaire » était d’importance, il est vrai. A la barrière Saint-Gilles, une fresque de plus de 5 mètres de haut sur 2 de large représentait un « grand sexe masculin au repos » (la hauteur du mur n’a certainement pas permis à l’artiste de le représenter en activité). Place Stéphanie, ce fut une « scène de masturbation féminine ». Rue des Poissonniers, « une scène de pénétration ». Fort heureusement, les édiles et les responsables politiques prirent l’affaire en mains : le collège des bourgmestres et échevins de Saint-Gilles ont décidé de procéder de nettoyer du pénis. Par contre, le collège de la ville décida de conserver la pénétration. Au parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, Vincent Henderick, chef de groupe cdH et membre de l’opposition juge le pénis « déplacé ». Il déclara qu’il n’avait « pas sa place à la Barrière de Saint-Gilles » au micro de la RTBF. L’adjoint à la Culture et à la propreté publique, Carlo Luyckx a pris contact avec le propriétaire du mur mais « aucune position n’a encore été arrêtée au sein du collège ». Il fallut plusieurs jours de débat au collège de Saint Gilles pour décider que le pénis devait disparaître. Mal lui en pris, la municipalité de Bruxelles et le gouvernement s’y opposèrent, arguant que le phallus, même mou, était une œuvre d’art et qu’à ce titre, elle devait être respectée. Une pétition qui a recueilli près de 2700 signataires réclama « la sauvegarde du pénis ». C’est que le pénis n’est pas un graffiti, c’est une fresque. Or, si on peut effacer un graffiti, on ne peut effacer une fresque.

Le débat fit rage : « l’affaire du pénis de Bruxelles pose la question du street art et de son encadrement ». Le collège Saint Gilles sensible à la dimension de l’affaire décida de « réserver un pan de mur à un ou plusieurs street artists en accord avec les propriétaires et les riverains ». Nombreux furent les intellectuels qui s’interrogèrent pour savoir «  si l’œuvre a le droit de cité » et « si celui-ci est lié à la valeur artistique de l’œuvre ». Le débat  était d’une telle complexité que les experts furent convoqués pour approfondir « la problématique ».

« Les réactions suscitées par la fresque géante de Saint-Gilles s’expliquent de la sorte selon Ralph Dekoninck, professeur d’histoire de l’art à l’UCL. : « Ce qui est d’habitude exposé dans l’espace confiné qu’est le musée se retrouve tout d’un coup dans l’espace public, affirme-t-il. Avec un contraste énorme puisqu’y est exposé ce qu’il y a de plus intime, le sexe. » Cette « confrontation » est intéressante selon le spécialiste pour les effets qu’elle suscite : « Les gens sur la place publique sont amenés à se poser des questions. Certains sont choqués ; d’autres, non. Comment le politique doit-il se positionner ? Doit-il accepter ou pas ? Selon quels critères ? Est-ce de la pornographie ? Est-ce de l’art ? Plein de registres se mélangent. Et à ce titre, ce genre d’expérience est très intéressant car il invite au débat sur les registres éthique, politique et esthétique. »

Les œuvres n’ont, à ce jour, pas été revendiquées. L’affaire est donc pendante.

Les analyses des journalistes, les émissions de télévision, les interviews des universitaires, des édiles et des représentants du peuple n’auront pas été vaines. Elles permirent, il était temps,  pour la Belgique, d’y voir clair concernant le street art. Plusieurs leçons peuvent, en effet, être tirées. La première,  c’est la différence entre un graffiti et une fresque. Tout est question de taille. Prenons un exemple : vous peignez un petit pénis (au repos, ou pas, cela n’a pas d’incidence sur le statut de l’œuvre), c’est un grafitto (singulier de « graffiti »). Vous peignez (même si l’œuvre est collective, cela n’infère pas sur la nature de sa représentation) un pénis énorme, c’est une fresque. Comme l’objectif des street artists est la patrimonialisation des œuvres, l’artiste, on l’aura compris, a intérêt à peindre un énorme phallus (qu’il soit discret ou très visible, donnant sur une grand ’place ou une sortie d’école, cela ne permet pas de trancher). Deuxième leçon : si vous êtes un street artist ayant le projet de peindre d’énormes sexes ou de scènes « intimes », il suffit de demander l’accord du propriétaire du mur et du voisinage. Si tout le monde est d’accord, il n’y a pas d’obstacle règlementaire à peindre ce que l’on voit sur des sites Internet spécialisés. Cela aurait à coup sûr, des conséquences tout à fait positives pour la localisation. Nous pourrions alors entendre une vieille dame vous indiquer votre chemin en disant : «  Vous tournez à droite juste après le phallus en érection. La poste est juste à côté de la « Double Péné ». Les constructeurs d’automobiles toujours à l’affut de nouveautés pourraient proposer en option une version GPS.  Le temps passant, les échevins pourraient donner aux rues le nom d’une fresque coquine (ne comptez pas sur moi, pour vous donner des exemples !). La troisième leçon concerne les hommes (et les femmes) politiques : par rapport, à un énorme pénis, « ils doivent se positionner ». Le contraire risquerait d’avoir des conséquences douloureuses.

De deux choses l’une : soit c’est un canular (certes de mauvais goût), soit c’est une « expérience ».

Dans le premier, je  vois bien son auteur écouter les journaux télévisés, découper les articles de journaux, compiler les prises de position, les analyses des experts, les décisions prises par les édiles, les discussions des parlementaires, les discussions des passants qui passent sous les fresques sans les voir, de ceux qui avec de gros téléobjectifs veulent conserver des traces de ces œuvres éphémères.

Dans le deuxième cas, nous pourrions résumer le projet de cette manière : nous introduisons dans le paysage urbain des fresques pornographiques, visibles de tous, situées dans un endroit difficilement accessible, sur un mur appartenant à des propriétaires privés dont l’avis n’aura pas été recueilli, que se passe-t-il ?

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Les deux ne sont pas incompatibles. Un canular peut être un remarquable révélateur d’une société, de ses valeurs, de ses limites.

 Finalement, le 22 septembre 2016 aura été une date importante dans l’Histoire des mentalités.

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