Le graffiti politique, Mickaël Péronard.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Black lines 1, rue Ordener, mai 2018.

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Lecture 11 min.

TWE crew à sa façon a voulu fêter,à Paris, Mai 68. Itvan Kebadiann et Lask, deux membres actifs du crew, amis et complices, ont invité les street artists qui le voulaient à s’associer à leur événement, la réalisation de 3 grandes fresques politiques à Paris.

La première a été peinte rue Ordener dans le 18ème arrondissement. La rue qui relie la mairie de l’arrondissement à la rue Marx Dormy est une rue très passante. Des milliers de personnes, en voiture, en bus, à pied, passent quotidiennement devant le mur nord de l’ancien dépôt SNCF aujourd’hui désaffecté. Le mur est un mur « autorisé » et c’est depuis plusieurs années un des spots de street art de Paris. Nombreux sont les artistes du nord de la capitale et des banlieues proches a y avoir peint des œuvres au demeurant de qualité et de nature très diverses. Des graffs d’apprentis artistes côtoient des fresques peintes par des artistes dont la réputation a dépassé le cadre de l’hexagone. Les crews assez sereinement se répartissent le mur long de plusieurs centaines de mètres ; autrement dit, il y en a pour tout le monde !

TWE, a peint , l’année dernière, une très grande fresque politique sur ce mur. Longue de plusieurs dizaines de mètres et haute de plus de 3 mètres, Itlan K. et Lask dénonçaient,en noir et blanc pour Itvan, et en couleurs pour Lask, les rapports de consanguinité entre les guerres et le capitalisme globalisé. Elle s’inscrivait dans ce qui ressemble à un cycle : une fresque quai de Jemmapes faisait un procès sans complaisance de la violence policière, deux autres rue Noguères prolongeaient ce procès et invitaient à l’insurrection populaire.

Le projet de TWE n’est pas une commémoration, un énième dépôt de gerbes sur la tombe d’une révolution avortée mais un appel à la révolte prenant appui sur l’actualité la plus brûlante. Itvan K. l’a appelé Black lines. Lines, comme lignes, traits. Black comme black blocs. C’est, en quelque sorte, la traduction plastique de la lutte des blacks blocs qui lors d’une grande manifestation à Paris en soutien aux mouvements sociaux (SNCF., EPAD, hôpitaux, Air France etc.) ont fait une démonstration de force remarquée.

La première fresque a eu pour thème la répression policière, la seconde, la convergence des luttes et la troisième ( à l’heure où j’écris encore en projet), le soutien à Adama Traoré, un jeune black de 24 ans mort lors de son interpellation par la police.

A l’invitation sur Internet de TWE, Mickaël Péronard s’est associé à Black lines 1 et 2. Sa fresque peinte en noir et en gris sur fond blanc répondant au code couleur de Black lines ( au sens littéral : les lignes noires) est d’une grande violence. Des personnages sont dominés par une immense vague, un tsunami de colère. Des soldats israéliens dans un char d’assaut vise un Palestinien désarmé. Sur un panneau, le sigle ZAD a été peint.

Les références avec l’actualité sont explicites : la répression de Tsahal des Vendredis de la colère secouent l’opinion publique et l’évacuation des zadistes de Notre-Dame des Landes est encore dans tous les esprits. L’artiste établit un parallèle entre le conflit entre Israël et les Palestiniens et l’éradication par l’État d’une alternative sociétale. Pour lui, les Pouvoirs des états sont responsables des guerres et agissent pour empêcher tout changement. Sa fresque porte deux messages forts : la colère des peuples va emporter le capitalisme triomphant et ses traductions politiques ; l’objet des luttes est la destruction des Pouvoirs. S’ancrant dans une actualité brûlante, Mickaël Péronard, porte une parole anticapitaliste et anarchiste. Black lines 2 véhicule dans une forme différente une critique assez semblable du capitalisme.

Pour dire vrai, il est rare que le street art véhicule une critique aussi acerbe du libéralisme et invite « ceux qui voient » à l’insurrection : la guerre des exploités contre les nantis et les politiques complices.

J’ai souhaité rencontrer l’artiste dans son atelier pour deux raisons : la première est la forme originale de la fresque qui tient davantage du dessin de presse et la seconde est l’actualité des thèmes politiques dans le street art français, en prenant Mickaël Péronard comme exemple.

Michaël Péronard avec beaucoup de gentillesse et de courtoisie m’a reçu à deux reprises. Lors de ma première visite dans son atelier de Montreuil, il m’a montré ses travaux. Tout d’abord de très remarquables paysages urbains dessinés (peints) à l’encre de Chine. Les lieux choisis sont des immeubles récents et déjà vétustes, des chantiers, des ateliers, des terrains vagues, des tours de grande hauteur émergeant du chaos de la ville. L’artiste « peint sur le motif ». Contrairement à une pratique ancienne et courante, il ne part de photographies mais après avoir repéré un endroit qui « l’intéresse » (l’espace choisi ne le séduit pas, mais capte son attention), dessine à l’encre de Chine sur des feuilles de carton. A l’atelier, Mickaël Péronard, peaufine son dessin et découpe le paysage en bandes, soit en bandes horizontales, soit en bandes verticales. Les bandes, peu nombreuses, de trois à cinq, sont dans un deuxième temps disposées l’une à côté de l’autre mais dans un ordre qui ne correspond pas à l’ordre « naturel ».

Le choix des sujets étonne. Ce n’est pas la « beauté » des paysages qui est recherchée mais leur intérêt graphique. Ils sont en rupture avec les paysages traditionnels, soleils couchants sur la mer, marines, champs de blé et coquelicots etc. Mickaël dessine, peint (difficile de trancher car si le dessin domine, des aplats et des ombres sont peintes au pinceau) l’environnement dans lequel il vit et est sensible, parfois à son ordre, son ordonnance, parfois l’inverse, le désordre, l’impression de chaos. De la même manière, il est sensible à ces objets cyclopéens qui dépassent l’Homme : les tours et les barres, les machines. Il élargit la notion de paysage aux quais et aux couloirs du métro. Là aussi, il y trouve matière (non à réflexion!), mais matière à construction graphique.

Le découpage en bandes introduit une notion de jeu. L’artiste joue avec le Réel qu’il dessine, respectant ses formes et ses volumes, mais en découpant l’espace en rompant les cohérences et les continuités. « Celui qui voit » doit alors reconstruire des espaces tronqués pour, mentalement, « voir » l’espace dessiné. Un double jeu, de l’artiste et de « celui qui voit », de déconstruction/reconstruction. Un jeu qui donne au « spectateur » la coresponsabilité de la création de l’œuvre.

Le travail en peinture a des points communs avec ses œuvres dessinées. Les sujets sont pour le moins originaux : engins de chantier dans des environnements techniques. Au-delà de l’opposition entre la faiblesse de l’Homme face aux forces mécaniques qu’il a créées, c’est la géométrie qui suscite l’intérêt, bien davantage que la couleur.

Entre Torpe, son blaze quand il peint dans la rue, et Mickaël Péronard, artiste peintre, quels rapports ? Fort peu. On notera certes dans certaines gravures des ressemblances formelles avec sa peinture dans la rue. A part ça...rien à voir. La rue est le lieu où il milite et l’atelier est son laboratoire. Le changement de nom symbolise cette rupture.

Mickaël Péronard est fils d’un réfugié chilien chassé par la répression de Pinochet. Arrivé en France encore gamin, il y a fréquenté nos écoles et sa culture est française. Son engagement politique n’est pas la conséquence de son origine chilienne mais, clairement, cela a à voir. Une profonde culture historique et politique renforce et structure son action. Il n’a pas la faiblesse de penser que seul le dessin dans la rue peut participer à la conscientisation et à l’engagement militant. Plus modestement, il considère que ses œuvres dans la rue peuvent renforcer une opinion déjà présente en montrant que le badaud qui regarde n’est pas le seul à penser qu’il faut en finir avec l’oppression des Pouvoirs et les injustices sociales.

Une vie coupée en deux parties distinctes, le temps du militantisme et celui des expériences graphiques. En effet, bien que sollicité pour ses talents de dessinateur, Mickaël Péronard ne vit pas de son travail à l’atelier. Il vend son savoir en donnant des cours de dessin et ses œuvres, belles, stimulantes pour l’esprit, restent confidentielles. Pourtant, qui mieux que lui est capable en observant un paysage d’en faire émerger les lignes de forces, les structures cachées, les formes secrètes. Il renouvelle un art du paysage qui est apparu assez tard dans l’histoire de la peinture. Nous savons que la Renaissance italienne en faisait un élément de décor contrairement aux Flamands qui en faisaient le sujet de leurs toiles.

Sous le street artist anar sur les bords se cache un artiste de grand talent, un dessinateur qui ne se satisfait pas des commodités modernes de la représentation mais fouille de ses yeux et de sa vive intelligence nos lieux délaissés par l’Art.

Je ressens après mes heures d’entretien avec Mickaël un malaise : comment une production plastique de cette qualité peut-elle être le violon d’Ingres d’un tel artiste ? Qui reconnaîtra son talent ? Qui lui permettra de vivre dignement de son travail ? Somme toute, je comprends et partage la colère de Mickaël, exclu de facto du marché de l’Art, repoussé dans ses limbes ne lui laissant que les petites miettes d’un (très) gros gâteau.

Black lines 1, détail.

Torpe peignant sa fresque (Black lines 1.)

Fresque Black lines 2, rue D'aubervilliers, Paris, mai 2018.

Dessin de M.Péronard.

Dessin, paysage urbain.

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Gravure de M.Péronard peinte à l'atelier. Le "trait" rappelle la peinture de Torpe, dans la rue.

Portrait de Mickaël Péronard. Photographie R.Tassart.

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