Nadège Dauvergne : une artiste dans la Ville.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Ma "romaine" à Pantin (2014)

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Lecture 11 min.

 

C’était un lundi de la fin du mois d’octobre 2014. Baudelaire aurait dit que le ciel pesait comme un couvercle. Nuages gris et noir. Quelques degrés seulement. Du vent. L’eau du canal de l’Ourcq était grise, un gris pas beau avec du vert sale dedans. Pourtant, ce lundi-là j’avais décidé d’aller photographier les ruines encore fumantes des « douanes » de Pantin. Les anciens entrepôts des douanes, laissés à l’abandon, étaient devenus un spot de street art des graffeurs de la Seine Saint Denis et d’ailleurs. Espoirs déçus. Le site était entouré de hautes clôtures métalliques et des panneaux signalaient qu’il était placé sous surveillance vidéo. N’écoutant que ma lâcheté, je me bornais à prendre au téléobjectif quelques clichés.

Sur le chemin du retour, suivant les quais, l’ancien chemin de halage, sur un vilain mur en parpaings de Pantin, je vis une affiche qui eut sur moi un curieux effet. D’abord un sentiment d’étrangeté : une patricienne romaine affalée sur un siège sur un mur d’une laideur qu’il partageait avec l’environnement. Tout était raccord : les murs en déshérence, le sol couvert de détritus, le canal, le temps…Tout était moche dans ce coin du 9-3 et ma romaine à la toge blanche, belle comme une statue grecque, éclaboussait de son éclat le jour finissant. Tel un Lucky Luck des banlieues, vite je dégainai mon appareil photo pour conserver la trace du ravissement avant qu’il ne disparaisse. Après trois clichés, je me suis rapproché de l’affiche m’interrogeant sur l’impression de cette jolie affiche. Stupeur : l’affiche était une œuvre peinte et signée Nadège Dauvergne.

La rencontre avec les œuvres ressemble aux histoires d’amour. On se souvient de la rencontre, du premier jour (et parfois, souvent, c’est selon, du dernier !). Depuis ma rencontre avec la belle dame, j’ai suivi avec intérêt le travail de Nadège Dauvergne.

Son projet de peindre des portraits de personnages de tableaux du XIXème siècle m’a fasciné. J’y retrouvais un peu d’Ernest Pignon-Ernest. Un peu seulement. L’exécution et les objectifs étaient différents mais j’ai aimé l’effet de contraste entre une peinture académique et pompière et des lieux marqués par l’abandon, les ruines. La préciosité, l’affectation des images, leur classicisme ouvraient le champ des interprétations des spectateurs. D’aucuns devaient voir comme une compensation à la laideur ambiante. Un peu de beauté dans un océan de laideur. D’autres le contraire ; la beauté n’en était pas une. C’était l’image surannée qu’avaient de bons faiseurs pour plaire à la bourgeoisie triomphante du Second Empire.

Cette opposition beauté/laideur a été, me semble-t-il, un temps du projet de Nadège Dauvergne. Mon opinion changea quand je vis, toujours à Pantin, « Le balcon » de Manet. L’artiste n’avait gardé qu’un des trois personnages du célèbre tableau (qui n’a rien de pompier !) et avait collé son affiche peinte sur une fenêtre murée d’une maison en rénovation. La dame semblait être accoudée à l’appui de fenêtre. Un peu comme un trompe-l’œil. Un mélange du réel et de l’imaginaire de l’art. La coïncidence du lieu et du sujet fut poursuivie et devint un élément déterminant dans la relation entre l’œuvre et son environnement.

Dans le même temps, Nadège Dauvergne déclina son projet en insérant des personnages de la peinture « classique » dans des publicités. Ces collages traduisent l’humour de l’artiste et sa critique de la société de consommation et de la publicité.

Dans le cadre, étroit, de ce billet, il n’est guère pertinent de faire l’inventaire de tous les projets artistiques menés à bien par Nadège Dauvergne. Ma rencontre avec son travail et son projet a été déterminante dans l’attention que j’ai portée à sa production. Au-delà des intentions, des lectures de ses œuvres, j’ai été interrogé par l’ambition de sa peinture. Reproduire, même en partie un tableau en changeant l’échelle avec des bombes aérosols, des brosses et des feutres, c’est-à-dire avec les outils des street artists, n’est pas chose facile. Il ne vous a pas échappé, cher lecteur, que chaque affiche est unique (comme le sont celles d’Ernest Pignon-Ernest) que l’exécution demande du talent et du temps. Beaucoup de temps.

Passons si vous le voulez bien de 2014 à 2019 et des quais du canal de l’Ourcq à la ravissante rue des Cascades à Ménilmontant. Quelques clichés diffusés sur Facebook m’ont titillé les neurones et j’ai décidé la semaine dernière d’y aller voir.

Sur le Mur[1], sur un fond noir, sont peints de boules de papier froissé. Là aussi, comme ce lundi de 2014, ma surprise n’a eu d’égal que mon admiration ! Surpris par le sujet : des boules de papier dessinées plus que peintes sur un mur. Surpris par l’écart, le grand écart, entre les projets antérieurs et le projet actuel. Des questions, des milliers de questions me vinrent à l’esprit que je décidais, finalement, de limiter à deux à poser à Nadège Dauvergne.

A la première, portant sur la rupture avec son travail ultérieur, voici la réponse qu’avec beaucoup de gentillesse elle m’adressa : « Je montre ici, et pour la première fois, mon travail de dessin présenté d’habitude en galerie. Ce sont des dessins d’observation, exercices classiques et méditatifs sur des sujets souvent simples : cube, œuf, papier froissé, bateau en origami, des petites compositions épurées sur des fonds récupérés, restes d’affiches ou vieux imprimés ayant bien vécu. Ce travail de dessin a toujours existé en parallèle de mon travail de rue et la série des personnages de la peinture classique, replacés en situation dans la rue, sur panneaux publicitaires et sur magazines est un sujet que j’ai épuisé et que je ne reprends que sur demande. Je cherche actuellement comment amener ce travail de dessin dans la rue et l’occasion s’est présentée avec ce mur de tester l’agrandissement de ces dessins habituellement intimistes. »

Ma deuxième question a porté sur le sens de l’œuvre, quelle signification avait pour elle, ces boulettes de papier froissé. Sa réponse apporte une explication du titre : « Les motifs représentent (en effet) des boulettes de papier froissé qui seraient comme jetées au sol. Le titre « projets avortés » évoque tout de suite la situation d’une recherche n’aboutissant sur rien de concluant. On imagine alors ce que pourraient contenir ces boulettes avec l’envie de les déplier et d’en connaître le contenu. C’est alors la situation de l’errance qui devient le sujet, le regard se décale sur ce quelque chose qui se fait malgré tout, sur la résultante de ce qui est considéré comme un échec et mon projet devient alors ces « Projets avortés ».

 

A mes deux questions, j’avais deux réponses. Mais celles-ci réveillèrent mes deux neurones endormis. Ma réflexion portait sur le sens de l’œuvre, sens donné par le titre. Je me suis interrogé sur l’actualité de la situation à laquelle l’œuvre fait référence : l’élaboration de projets. Plus prosaïquement, un artiste mais ce pourrait être « monsieur tout le monde » écrit-il aujourd’hui ses projets sur des feuilles de papier ? Feuilles éventuellement froissées et jetées à la corbeille quand le projet avorte ?

Je connais des écrivains qui écrivent leurs livres à l’ancienne, avec un stylo à plume. Je connais également des tas de gens réfractaires à l’utilisation de l’ordinateur. Pourtant, force est de constater que la grande majorité de ceux qui élaborent des projets écrits utilise l’informatique et les logiciels de traitement de texte. Une feuille virtuelle qu’on ne froisse pas, qu’on envoie d’un clic dans la corbeille virtuelle.

Je pense que feuilles de papier, encre, boulettes, appartiennent à un imaginaire du passé de l’écriture. Un imaginaire qui resurgit pour traduire graphiquement les projets morts nés.

L’artiste nous donne dans sa réponse la clé de sa fresque. Elle fait allusion à son travail de galerie et aux « exercices » qu’elle s’impose pour mieux maîtriser son dessin. Mettre dans la rue, à une autre échelle, son travail d’atelier est certainement un puissant moteur de son actuelle démarche. Donner à voir un « exercice » réussi est, d’une certaine manière, illustrer par l’exemple son grand talent de dessinatrice.

Les boulettes de papier sont plus dessinées que peintes et l’exécution en est remarquable. L’artiste se donne, me semble-t-il, à elle -même un défi : rendre compte des pliures, des surfaces planes et des volumes d’une simple boulette de papier froissé. Un authentique challenge, comme disent nos amis anglosaxons. Intéresser les chalands, faire venir sur le spot les amateurs éclairés et la presse spécialisée pour voir des boulettes de papier, inaugurer de cette manière un nouveau projet artistique est une gageure. Or, la fresque de Nadège Dauvergne a recueilli tous les éloges. J’ai tendance à penser que ce n’est pas le sujet qui a suscité l’adhésion mais bien davantage l’excellence de la réalisation. Chacun a compris que la fresque était une réussite pour ne pas dire un exploit. Un peu comme l’ascension de l’Everest, par la face nord, en hiver. Les djeunes diraient que c’est un truc de ouf. Un peu comme la punition-fétiche d’un pion que j’ai beaucoup haï qui donnait comme punition la description en 4 pages d’une boule de billard !

Il n’en demeure pas moins que l’exercice de dessin oh combien maîtrisé croisant la romantique vision de l’écriture ajoute une dimension poétique certaine à l’œuvre.

Autant vous le confier, j’aime l’intelligence des projets de Nadège Dauvergne qui « trace sa route », n’écoutant pas les sirènes de la soi-disant demande du public, les appels du pied du mainstream. Dessinatrice maîtrisant son art, citoyenne engagée, elle mène de front un travail dans la rue et en galerie qui parfois, de plus en plus souvent, convergent. Et, c’est tant mieux !

 

[1] Le Mur de la rue des Cascades est géré par une association qui promeut le street art.

 

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Détail romaine.

Détail romaine.

Une oeuvre peinte et signée par l'artiste.

Le balcon, Pantin.

Le Mur de la rue des Cascades, Paris.

Projets avortés.

Nadège Dauvergne terminant in situ sa fresque de la rue Des Cascades.

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