Okuda : de l’exercice de style à la création surréaliste.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Eglise Santa Barbara de Llanera (Asturies)

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Okuda est apparu sur les écrans radars des amateurs de street art en réalisant la décoration intérieure et extérieure d’une église. Cette œuvre peut être considérée comme un chef d’œuvre, c’est-à-dire un manifeste de l’art de son créateur.

Son créateur est Oscar San Miguel Erice, aka Okuda. Il est né à Santander en 1980 et vit depuis 2000 à Madrid. Il étudie les Beaux-Arts à l’université Complutence, certainement la plus prestigieuse université madrilène. L’église s’appelle Santa Barbara de Llanera. Elle est située dans la zone industrielle d’Asipo dans la commune de Llanera dans les Asturies, au nord de l’Espagne.

L’histoire de cette métamorphose mérite d’être racontée. L’église avait plus d’un siècle. Elle a été construite en 1912 par l’architecte Manuel del Busto. Elle eut de riches heures mais l’absence de fidèles provoqua sa fermeture et le monument tomba en ruines. Son état était tel qu’elle était vouée à la destruction. Pour sauver l’édifice un groupe de passionnés s’est formé ; groupe qui prit le nom de la « Brigade église ». Pour préserver son architecture, la Brigade leva des fonds, s’attacha le partenariat de Red Bull et décida d’en faire un skatepark.

Le madrilène Okuda se vit alors confier la décoration de cette église, devenue un haut lieu de la pratique du skateboard. Okuda a peint des animaux, des visages, des têtes de mort, des scènes représentant des personnages, des éléments végétaux. De l’ensemble se dégage une grande cohérence formelle : animaux et personnages sont traités graphiquement de la même manière. Seuls sont gardés par l’artiste les traits forts des sujets traités en deux dimensions. Cette géométrisation des espaces se traduit par une fragmentation des aplats peints de couleurs différentes.

La peinture d’Okuda est éloignée du réalisme. Il conserve les traits de ses sujets, fragmente les surfaces, ne rend pas compte du volume par des ombres, recherche des harmonies colorées de couleurs n’ayant que de lointains rapports avec la couleur « réelle » du sujet.

Ce qui surprend et étonne, ce sont en premier lieu les couleurs, et en second lieu, dans le cas de l’église, le manque de cohérence thématique. Entre l’intérieur et l’extérieur, entre les murs et les plafonds, alternent des thèmes qui ne semblent pas avoir de rapports de signification. A moins que le fil rouge entre les sujets soit l’opposition entre la vie et la mort. La vie évoquée à travers visages et formes animales et la mort toujours présente dans la récurrence de « skulls », figure « classique » de la contre-culture, mais figures inattendues dans un lieu de loisirs fréquenté par des jeunes gens. Le thème vie/mort est renforcé par une scène récurrente : d’un crâne émerge un arbre et un personnage stylisé. Cette occurrence peut avoir un sens : de la mort des animaux et des Hommes naît la vie symbolisée par l’arbre (de vie ?) et d’autres êtres qui ne peuvent exister que grâce à la longue chaîne de la vie faite de naissance, mort, renaissance.

Ces scènes sans s’opposer aux autres représentations introduisent un élément qui dépasse la décoration. Elles se réfèrent au surréalisme.

La décoration de cette église n’a pas fait scandale comme elle aurait pu le faire en d’autres temps. Elle a étonné ; la communion entre l’architecture et le style très coloré des motifs qui rompent avec la traditionnelle obscurité des intérieurs d’église et la relative austérité des murs extérieurs des églises du siècle précédent.

La décoration de l’église Santa Barbara fut un coup de tonnerre dans le Landernau de l’art. Nous avons découvert alors l’ensemble de la production d’Okuda. Elle est singulièrement riche. Okuda a peint des camions, des trains, des réceptions d’hôtes de luxe, des toiles, des « murs » tel ce pignon d’immeuble qu’il a peint récemment dans le 13ème arrondissement de Paris.

Le maire de l’arrondissement et la galerie Itinérrance l’ont sollicité pour peindre un mur pignon d’immeuble de 50 m de haut sur 30 de large. Okuda a peint sa Mona Lisa avec au bras un sac Vuitton et un oiseau sur l’épaule. Dans un entretien, il justifie la présence de ce sac en disant que Paris est la capitale de la mode. Sa Joconde est un jeu subtil de motifs décoratifs et d’une géométrisation des espaces qui est une des marques de l’artiste. Tous les motifs utilisés par Okuda ont déjà été utilisés dans des œuvres différentes (les pois, les bandes, les étoiles etc.). A sa manière, la Mona Lisa d’Okuda est également un manifeste de son art.

Revenons sur ce qu’il est convenu d’appeler le style d’Okuda. La décomposition d’une surface en lignes géométriques nous renvoie à la fin du 19ème siècle, au cubisme du début du 20ème et à l’abstraction. Le fait de peindre des espaces qui devraient être des aplats de couleurs différentes n’est guère nouveau. Difficile de ne pas penser au Brésilien Kobra. « Techniquement » dirons-nous, Okuda n’apporte pas d’innovation plastique. Son apport est davantage dans sa déclinaison des couleurs, couleurs qui s’affranchissent totalement des couleurs de la réalité.

Il faut pour apprécier son art regarder ses fresques plutôt que ses « grandes » réalisations. Ce qui était présent dans la décoration de Santa Barbara, est, dans ses fresques, l’objet même de l’œuvre. Ses fresques sont des merveilles de composition et prolonge le mouvement surréaliste. Elles donnent à voir non des motifs décoratifs mais des scènes avec des personnages entretenant entre eux et des objets des relations mystérieuses. Leur sens n’est pas donnée par un titre ; c’est à « celui qui voit » de le construire. La beauté, la signification cachée des œuvres, la qualité de leur exécution, en font des œuvres remarquables de mon point de vue, comparables voire dignes, des grandes toiles d’un Chirico ou d’un Dali.

Okuda s’est imposé sur la scène internationale par ses talents de coloriste. A ses œuvres phares, je préfère ses « murs » et ses toiles dont l’audience est plus confidentielle.

Le Chilien Inti déplorait que les œuvres de street art aujourd’hui étaient de la « déco ». C’est très excessif, ce qui signifie que c’est vrai en partie. Décorer un lieu, le rendre beau, est en soi un bel objectif et la peinture a à voir avec la décoration. Par excès d’intellectualisme certainement, j’aime les œuvres qui conjuguent beauté formelle et signification, convaincu que la peinture est un objet et un medium. Laissons le temps au temps, Okuda est un jeune peintre qui ne manque pas de talents. Sous la « déco », cet artiste a des choses à nous dire sur sa vie, ses espoirs, notre monde. Alors, accordons notre attention à cet artiste, déjà célèbre, peut-être pas encore accompli.

Détail de l'intérieur.

Tour du 13ème arrondissement de Paris. Mona Lisa.

Fresque.

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