Onie Jackson : Liberté cubiste.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Le samedi 21 novembre 2020 l’association LE M.U.R. a invité l’artiste Onie Jackson pour une performance live. De prime abord, l’œuvre surprend. Son décor évoque un paysage quelque peu lunaire composé au premier plan de trois portions de sphère, grises et noire, d’un horizon gris anthracite monochrome, d’un ciel d’un bleu vif qui participe à la mise en valeur du sujet principal. Quelques hautes feuilles végétales, une coupe de fruits et une tête d’oiseau accentuent l’aspect surprenant de l’œuvre. Sur ce fond épuré surgit une femme puissante portant dans sa main droite un oiseau noir qui fait pendant à l’oiseau gris et de la main gauche la tête de Méduse. La Gorgone a gardé des traits de sa représentation antique, un visage vu de face ayant comme chevelure des serpents, et des traits hérités de la période classique, un visage de femme. La femme aux membres disproportionnés semble assise, un lion a ses pieds ayant rompu ses chaînes. Elle a la poitrine nue, le bas du corps ceint d’une ample étoffe. La femme, la tête de Méduse, le lion, les deux oiseaux, la coupe de fruits et les feuilles sont peints en noir et gris. Bien que le trait domine, le relief des diverses représentations est figuré par des ombres. Les sujets ombrés, en volume, s’opposent au décor qui bien qu’ayant un point de fuite apparait comme une toile de fond. Sans aucune ambiguïté, le style est cubiste et se présente comme une œuvre à la manière de Picasso. Nous reviendrons plus avant, sur cet héritage.

A la surprise de la découverte de l’œuvre s’ajoute celle de son titre : « La liberté guidant le peuple ». Jackson titre sa fresque cubiste comme Delacroix son célèbre tableau. Rappelons pour mémoire que le tableau de Delacroix, peint en 1830, célèbre les Trois Glorieuses. Delacroix présenta son tableau au Salon de 1831 sous un autre titre : « Scènes de barricades ». Or, le seul point commun entre les deux œuvres est la représentation d’une femme à la poitrine découverte. La scène peinte par Jackson n’est pas une scène d’émeute où une femme, allégorie de la liberté, montre le chemin de la révolte au peuple de Paris, offrant son corps en partie dénudé aux balles des soldats.

Dans une vidéo réalisée par l’association LE M.U.R. l’artiste donne le sens de son œuvre. Peinte pendant le deuxième confinement, l’artiste fait référence à la sidération des Français confrontés aux contraintes sanitaires qui ont limité les libertés individuelles et collectives. Les citoyens, d’après Jackson, sont restés figés comme s’ils regardaient la tête de Méduse, acceptant sans broncher des chaînes. Comme le lion, son œuvre doit participer à la prise de conscience de l’état de nos libertés et briser les chaînes qui nous entravent. Le message est politique : le peuple doit reconquérir ses libertés perdues.

Le tableau de Delacroix est, aujourd’hui, une icône. Comment est-on passé d’une scène d’émeute parisienne datée précisément à une image quasi symbolique du combat pour la liberté ? Il me semble que c’est parce que le tableau a perdu son contexte historique et politique. Décontextualisée, la scène de genre est devenue une allégorie. Il en est de même pour l’œuvre de Jackson. La femme ne brandit plus le drapeau tricolore (par opposition au drapeau national qui de 1815 à 1830 était blanc, les couleurs de la monarchie. C’est Louis Philippe qui après la Révolution de juillet (les Trois Glorieuses) a rétabli le drapeau tricolore par ordonnance du 1er août 1830, et devint Louis-Philippe Ier roi des Français.) Ni le bonnet phrygien. Ces symboles patriotiques ont été remplacés par un « oiseau de malheur » et le symbole de la privation de nos libertés. Le lion, à mon sens, symbolise le peuple qui est associé à la liberté et qui rompt les chaînes de la servitude.

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Quant à la forme de cette fresque inscrite dans une actualité qui lui donne sens, elle est empruntée à Picasso. On reconnait le visage de Jacqueline qui fut la dernière égérie de Picasso et tout dans le traitement de l’œuvre renvoie au cubisme. Je suis enclin à y voir un clin d’œil de l’artiste au Guernica du maître. Un clin d’œil mais pas davantage. Ce n’est ni un pastiche, ni une copie. Guernica a dénoncé le carnage des civils par l’aviation allemande dont l’objectif était de soutenir les Républicains espagnols. « La Liberté » de Jackson est une invitation à la révolte au nom des valeurs qui fondent notre république. Le parallèle est saisissant et renforce la portée du message.

« La liberté » d’Onie Jackson est un message crypté destiné à ceux qui possèdent suffisamment les référents de l’histoire de l’art pour comprendre. Il « emprunte » à Delacroix la figure de la liberté, femme puissante et courageuse qui ouvre la voie et à Picasso la forme, réminiscence de la toile iconique du maître du cubisme.

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