Où est Steve ?

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Par | Penseur libre |
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Où est Steve ? Cette question toute simple colle à Macron et à son ministre de l’Intérieur Christophe Castaner comme le sparadrap aux doigts du capitaine Haddock ?

Le récit des événements, les enquêtes menées par les journaux, les organisations, les réseaux sociaux laissent peu de doutes sur la vérité. Steve Maia Caniço est mort. Noyé dans la Loire. Et son corps, un mois après sa disparition n’a pas été retrouvé.

La ville de Nantes, lieu du drame, réclame à l’Etat une réponse. Des milliers d’affichettes sont collées, des graffs posent la même et lancinante même question, des inscriptions sur les murs, sur le sol, des chaînes humaines écrivent les 3 mots de la question "qui tue". L’écrit dans toutes ses dimensions est convoqué pour, non pas poser une question (Où est Steve ?), mais pour interpeller le pouvoir sur les violences policières.

Lors de sa visite sur le tour de France, le président Macron a été interpellé sur plusieurs sujets dont la disparition de Steve. Il a répondu qu’il était « très préoccupé par cette situation ». « Il faut que l’enquête soit conduite jusqu’à son terme » mais « il ne faut pas oublier le contexte de violences dans lequel notre pays a vécu » et « le calme doit revenir dans le pays », a-t-il déclaré.

Revenons sur les faits. Le journal « Le Monde » résume les circonstances de la disparition de Steve : « Au soir de la Fête de la musique, une dizaine de sound systems (des murs d’enceintes diffusant de la musique) avaient été installés quai Wilson, le long de la Loire, avec une tolérance des autorités jusqu’à 4 heures du matin. Au plus fort de la nuit, le rassemblement a compté plus de 2 000 personnes. Mais à l’heure dite, alors que la plupart des installations coupent le son, la dernière, située au bout du quai, un endroit sans parapet, décide de jouer les prolongations.

Une vingtaine de fonctionnaires de la compagnie départementale d’intervention (CDI) et de la brigade anticriminalité (BAC) sont dépêchés pour mettre fin aux festivités. La musique est arrêtée une première fois. Mais sitôt les forces de l’ordre parties, les organisateurs remettent le son. Les policiers rebroussent chemin en direction de la fête et sont alors victimes de nombreux jets de bouteilles et projectiles en tous genres, selon Johann Mougenot, directeur de cabinet du préfet de Loire-Atlantique. Cinq fonctionnaires sont blessés, selon la même source, dont l’un « roué de coups à terre ».

Les policiers pris à partie répliquent par une trentaine de tirs de grenades lacrymogènes et de grenades de désencerclement. Ils font également usage de lanceurs de balles de défense (LBD), ainsi que de Taser. L’opération, qui dure une vingtaine de minutes, provoque un mouvement de panique ; des personnes tombent à l’eau. Les images diffusées sur les réseaux sociaux attestent de la violence de l’intervention et de la grande confusion qui règne alors sur le quai.

Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, s’était rendu à cette soirée avec sa bande d’amis. « Vers 3 heures du matin, il a envoyé un message disant qu’il était très fatigué et il donnait l’endroit où il comptait attendre le groupe de potes avec qui il devait rentrer », confie Anaïs, 24 ans, une amie. Dorine, 23 ans, qui faisait partie du groupe devant repartir avec Steve Maia Caniço, a appelé son ami « à 4 h 59. Direct, ça a été messagerie ».

Sachant que le jeune homme qui participait au concert ne savait pas nager, qu’une dizaine de jeunes gens sont tombés dans la Loire fuyant une charge des forces de l’ordre, on peut émettre l’hypothèse que Steve s’est noyé.

Comment expliquer la mobilisation qui, partie de Nantes, commence à faire tache d’huile ? Comment expliquer les stratégies de mobilisation ?

La disparition d’un jeune garçon lors de la fête de la musique eut certainement été classée dans le journal local, il y a quelques années, comme un fait divers. Cela aurait pu être un court article titré : « Drame à Nantes: un teufeur se noie dans la Loire ». Il n’en est rien pour de puissantes raisons.

La première est la disproportion entre la provocation d’un DG et l’intervention des forces de l’ordre. Un mec remet la sono pour emmerder la police et la Brigade Départementale d’Intervention et les BAC (vous avez bien lu, les Brigades Anticriminalité !) armées de LBD, de grenades, de gaz lacrymo, de tasers chargent les teufeurs.

La seconde raison est la condamnation de la stratégie de la police. Les charges ont « poussé » les jeunes gens vers un quai de la Loire. Une dizaine de jeunes sont tombés suite à ce mouvement créé par la panique.

Sachant que Steve était présent avec des potes vers 5 plombes, qu’il ne savait pas nager, que son portable ne répond pas, qu’il a disparu depuis plus d’un mois, il est acquis pour tout un chacun que Steve est mort noyé.

Tous le pensent, y compris sa famille et ses amis, alors pourquoi cette question ; « Où est Steve ? » et pourquoi cette mobilisation de l’écrit sous toutes ses formes (affichettes, graffs, banderoles etc.) ?

La première réponse qui me vient à l’esprit est que cette question est posée à l’Etat parce que l’Etat ne peut pas y répondre. Bien sûr, l’Etat peut faire trainer les choses, nommer une commission, demander une enquête au procureur, interpeller la police des polices etc. Après la mort de Malik Oussékine le 5 décembre 1986, l’exécutif ne peut pas reconnaître qu’un jeune garçon a été tué suite à des « violences policières ». D’abord, parce que l’expression n’existe pas en macronie!

La seconde considération est étroitement liée au contexte, la crise des Gilets jaunes. Après la violente répression des manifestations de la loi Travail, après les violences policières pour réprimer les ronds-points et les manifs des « samedis jaunes », la reconnaissance par l’Etat de la brutalité de la répression fait courir un risque non négligeable de renaissance du mouvement et sa radicalisation. Hors contexte politique et social, un jeune qui se noie c’est un fait divers. Dans le temps long des contestations sociales, une mort provoquée indirectement par la police serait perçu comme une déclaration de guerre.

Ajoutons pour faire bon poids, les déclarations du ministre comprises comme des provocations voire des humiliations, les « médailles de la honte », ces plus de 9000 médailles « destinée(s) à récompenser les services particulièrement honorables notamment un engagement exceptionnel (...), et à récompenser des actions revêtant un éclat particulier ». Le bilan des Gilets jaunes interroge comme le souligne le blog Basta : « L’engrenage de répression et de violences ne semble plus vouloir s’arrêter depuis quatre semaines. Le mouvement des gilets jaunes bat ainsi tous les records en nombre de gardes à vue, de personnes déferrées en justice, de milliers de grenades et balles de défense tirées sur les manifestants et de personnes estropiées. Les inquiétants « records » répressifs contre la mobilisation sur la loi travail et lors de l’évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes sont désormais désuets. Jusqu’où le gouvernement ira-t-il ? »

Plus qu’un sentiment d’inquiétude vis-à-vis de la répression d’Etat, le divorce semble consommé entre les classes populaires et les forces de l’ordre qui apparaissent de plus en plus clairement comme les garants avec l’armée du pouvoir. L’armée est le premier budget de la nation, des gages lui sont donnés et les forces de l’ordre non seulement bénéficient d’un soutien sans faille de l’exécutif mais sont récompensées, primes de noël et maintenant médailles.

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La question « Où est Steve ? » fonctionne comme un « running gag ». On sait qu’aucune réponse ne sera donnée (comme les plus de 200 enquêtes de la police des polices, la mort d’Adama Traoré, celle de Zineb Redouane etc.), mais on pose « la question qui fâche » partout, à l’Assemblée nationale, dès qu’on peut interpeller un élu de la République en Marche. Et aussi, dans l’espace public. Les militants, les artistes, s’engagent dans ce combat qui sera la mère des batailles.

Cette fausse question qui sera déclinée de plein de manière (une question se pose par écrit et oralement quand on le peut !) est le sésame qui ouvrira la boite de Pandore. Il faudra bien, un jour, appeler un chat, un chat, et une répression d’Etat, une répression organisée, armée, soutenue, encouragée par l’Etat. La Vérité est dangereuse, alors cachons la.

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