Petit précis de vocabulaire du street art.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Un tagueur,monté sur le toit d'un immeuble parisien, a peint à la bombe les blazes de son crew.

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Force est de constater que l’expression anglo-saxonne « street art » s’impose pour désigner un ensemble de pratiques artistiques. Cet ensemble est un véritable fourre-tout, un véritable inventaire à la Prévert. Sans volontairement être exhaustif, nous y trouvons, les tags, les graffs, les fresques, les murs peints, les pochoirs, les stickers, les tableaux, les œuvres en relief, les inscriptions à la bombe, les affiches collées etc. D’aucuns ont essayé d’imposer à l’occasion d’une exposition parisienne le néologisme «le pressionnisme » pour qualifier ce mouvement des arts aussi récent que multiforme. Peine perdue, le terme ne s’impose guère et…ne résiste pas à une rapide analyse. Et cela pour au moins une raison. Elle tient au fait que la bombe aérosol, si elle est utilisée par des nombreux artistes, ne l’est pas par d’autres qui utilisent les pinceaux, les brosses et les rouleaux[1].

Cette difficulté à nommer un mouvement a deux raisons principales : la première est que, par défaut dirait-on, des pratiques qui n’ont rien en commun entre elles se retrouvent qualifiées de « street art »  parce qu’elles sont le plus souvent « dans la rue » et qu’elles ont en commun des objectifs « artistiques ». La seconde est que, parce que le mot est plus « vendeur », certains galeristes, certains critiques,  refusent de voir qu’un artiste qui peint une œuvre dans la rue est un street artist(e) ; quand il peint sur une toile, c’est un artiste-peintre ; quand il peint un mur de 52 mètres de hauteur, c’est un muraliste ; quand il dessine des vêtements, c’est un styliste etc. L’usage du terme « artiste-plasticien », parce que de plus grande extension,  permettrait plus d’être proche des réalités de ce métier.

Pour défricher cette jungle des pratiques, je me limiterai à définir trois  de ces pratiques et par là,  trois mots : tag, graff et fresque.

Le tag est l’écriture « ornée » du « blaze » de l’auteur. Les tagueurs ont des objectifs différents et pour cerner ce qui se joue dans le tag, il nous faut entrer dans la pluralité de ses pratiques.

 Le « blaze » est en quelque sorte le nom d’artiste de son auteur dans le milieu fermé du street art. Il s’est imposé en France suivant en cela son modèle américain. Des jeunes gens, le plus souvent de jeunes garçons d’une même classe d’âge, regroupés sur des critères géographiques (les adolescents d’une cité par exemple) se regroupent et forment des « crews ». Les crews portent des dénominations qui réfèrent, le plus souvent,  aux thèmes du vandalisme et/ou du crime organisé et/ou de l’origine géographique de ses membres[2]. Chaque membre du crew a un blaze, un nom d’emprunt, qui lui garantit un relatif anonymat (rappelons que le graffiti est illégal et puni d’amende[3]. Un des objectifs du tag est de marquer son passage dans un lieu, somme toute « J’existe, mon nom l’atteste, c’est mon territoire et celle de mon crew). Parfois, un des membres du crew tague tous les blazes pour montrer aux autres crews  que le crew est présent sur le territoire « marqué ».

 Le second objectif est la recherche de la performance : taguer sur le haut d’un mur, sur un toit, sur un pont etc. Bref, toujours un endroit difficile d’accès (parce que dangereux, parce qu’interdit). C’est une compétition entre les crews pour…l’honneur ! Lié au second objectif, la recherche de l’inédit (taguer son nom tous les 50 mètres environ sur le parcours du TGV Paris-Marseille par exemple, taguer des wagons de la RATP ou de la SNCF dans un dépôt surveillé par des vigiles et des caméras etc.) Ces « exploits » sont le plus souvent filmés avec des portables et mis en ligne sur Internet. L’étude des tags révèle à mon sens bien davantage de la sociologie et de l’ethnologie que du domaine des arts.

Le graff est le domaine des « writers ». L’objectif est d’écrire son blaze (ou celui de son crew) de la manière la plus esthétique. Il y a là une authentique recherche plastique portant sur la calligraphie et l’utilisation des couleurs. Il existe certes des cahiers vendus dans les librairies spécialisées qui proposent des modèles de lettres.  Mais ce qui est en jeu ici, c’est l’originalité du graff, c’est-à-dire, son écart par rapport aux modèles connus. Le graff terminé est photographié et mis en ligne.

Il est à noter que de nombreux street artists viennent du tag et du graff. Ils y font leurs premières armes, y acquièrent des techniques qu’ils réinvestissent dans des œuvres plus complexes et une reconnaissance par la communauté du street art.

La « fresque » de street art n’est pas une fresque ordinaire, d’où la nécessité de définir le mot et la chose dans le contexte particulier de l’art urbain. La fresque est un procédé de peinture murale qui consiste à utiliser des couleurs délayées à l’eau sur un enduit de mortier frais (définition du Petit Robert). En France, les œuvres peintes qui ne sont pas des graffs et qui thématiquement sont apparentées à la culture du street art, culture intimement liée à la culture hip-hop,  reçoivent cette dénomination. On y trouve des représentations réalistes ou abstraites, des peintures faites à la bombe ou à la brosse, des pochoirs etc. Elles ont peu de points communs : elles sont peintes à l’extérieur, dans la rue, sur un mur ;  elles ont une certaine dimension. Les Anglo-saxons utilisent le terme « mural » qui n’est pas de la même racine que « wall » (mur) mais qui fait directement référence au muralisme[4].

 Trois pratiques différentes dont les frontières sont imprécises.  Elles sont souvent les étapes d’un parcours, non pas initiatique, mais d’initiation artistique.

Trois essais de définition pour ne pas tout confondre (le tag n’est pas une forme d’art, et par conséquent,  du street art, même si la recherche calligraphique n’est pas absente de l’écriture du blaze). Nous savons que le vocabulaire a toujours un temps de retard sur les « objets » à dénommer. Il faudra un peu de temps pour stabiliser celui du street art et la meilleure façon de le faire est encore d’écrire la définition de quelques mots-clés. Difficile d’attendre que l’Académie française inscrive ces mots à son ordre du jour pour la rédaction de son dictionnaire. Il est urgent, par contre,  de comprendre un mouvement d’une évidente richesse qui nourrit l’Art contemporain par bien des aspects.


[1] Violant, Borondo, Levalet etc.

[2] Shot Z Kill, MD Killers, Urban Zone Infiltration, Da King criminal (tous ces crews sont actuellement en activité).

[3] Le récent procès de M.Chat avec la S.N.C.F.).

[4] Le muralisme se traduit en anglais par muralism.

 

Blazes s'inscrivant dans une reconnaissance de l'"exploit".

Tags sur un panneau invitant à préserver la propreté du quai de la Loire à Paris.Les crews "défient" l'"establishment", l'ordre établi. Une revendication de vandalisme.

Un graff de grandes dimensions (6 m x 4). Un travail très abouti de la calligraphie.

Le graff est signé par le blaze de l'artiste (Frame)

Graff réalisé par un crew (les blazes sont peints dans le corps du graff).

Blaze du crex (The nasty boys)

Un superbe graff (la lisibilité du blaze n'est pas l'objectif premier - l'oeuvre est signée).

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Marko93 peignant une fresque rue de l'Ourcq à Paris en octobre 2016.

Fresque définitive.

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