Philippe Hérard : Gugusses ’story.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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J’ai déjà consacré plusieurs billets à Philippe Hérard. Je croyais, non pas avoir tout dit, mais dit l’essentiel : le peintre de Belleville, le peintre qui concilie peinture d’atelier et peinture dans la rue, le peintre qui a réussi à créer une galerie de personnages dignes héritiers de Jean Rustin, celui qui comme personne, mêle l’humour et le plus profond des désespoirs, le père des Gugusses et du nonsense.

Observateur d’un travail qui change avec le temps et nous accompagne, j’éprouve le besoin aujourd’hui de faire un arrêt sur image sur les Gugusses, incarnation graphique du antihéros.

Les relations que nous entretenons avec une œuvre, pas seulement une toile, mais l’ensemble des productions d’un peintre, est une relation intime et complexe. Ainsi en est-il des liens entre les personnages de Jean Rustin et de Philippe Hérard. La question des relations entre les visages ruinés par la folie et le désespoir des personnages de Jean Rustin et les premiers Gugusses d’Hérard est trop indiscrète pour que je la pose à l’artiste.

Si les premiers Gugusses ont des visages qui ont des traits communs avec les personnages de Rustin, ils s’en distinguent également. Physiquement, dirais-je, les Gugusses ressemblent à leurs frères de misère. Psychologiquement, oserais-je dire, ils en ont l’absurdité du comportement et sur leur visage se lit l’absence. L’absence de la compréhension de la situation. C’est en cela qu’ils sont drôles car décalés, sans savoir qu’ils le sont.

Les Gugusses dans l’œuvre d’Hérard ont des frères d’infortune, des espèces de clones, sans âge et sans identité. Des grand’ mères. Bref, une petite bande plus qu’une famille ! Les Gugusses ont perdu leur visage. Leur identité. Leur individualité. Leur liberté. L’un est la duplication de l’autre (et réciproquement !)

En perdant les traits de leurs visages, les Gugusses s’éloignent de Rustin. Et gagnent une certaine indépendance par rapport à leurs frères et sœurs. Ils rompent ainsi le cordon ombilical pour vivre leur vie dans une autre œuvre, celle de Philippe Hérard, qui n’est pas le prolongement de l’œuvre inachevée de Jean Rustin. Sans visages, ils effacent la référence aux pauvres hères de Rustin et le vide est rempli par « celui qui voit ».

L’anonymat est un masque attestant d’une rupture et d’une seconde naissance. Les Gugusses-sans-visage, sous le pinceau de Philippe Hérard, vont vivre des aventures. Entendons-nous bien, pas des péripéties à la Indiana Jones ! Des situations périlleuses, perchés sur une vache ou sur un toit. Inconscients du danger, infoutus de comprendre la situation, donc le danger. Si le contexte n’est guère dangereux (et parfois, il l’est) les Gugusses créent la situation dangereuse avec des chaises, des échelles, des masques en forme de maisons, des poteaux de signalisation, des bouées, des cônes de signalisation. Somme toute, quand la situation ne les met pas en danger, ils s’y mettent tout seuls, avec des objets du quotidien. Ils se mettent en danger…et y restent ! Ou pire, c’est l’objet qui aurait pu les « sauver » qui les met encore davantage en danger ! (Comme la très fameuse et néfaste bouée). Le Monde ne leur fait pas de misère, ni les Autres, ni les Choses. Ils ont « le don » de se mettre (et de rester !) dans des situations impossibles.

Ce dialogue altéré avec le sens commun, le fameux bon sens, est d’abord drôle (c’est la réaction archétypale du spectateur lambda) et dans un deuxième temps, monte en chacun de nous une vague de désespoir qui nous submerge. Parce qu’il ne faut pas se moquer des handicapés, de tous les handicapés. Même mentaux.

Les Gugusses et leurs prouesses nous mettent dans un état difficile à gérer émotionnellement. Un peu comme un fou-rire lors d’un enterrement ! On a une foutue envie de rire et on inhibe le rire salvateur au nom de la morale. Non, on ne rit pas des handicapés ! Surtout des handicapés mentaux ! La honte !

Ces Gugusses sans visage pouvaient être tout le monde et n’importe qui (y compris d’authentiques malades mentaux). Philippe Hérard a créé récemment une génération toute neuve de Gugusses. Sous les traits d’un gugusse, on reconnait maintenant l’artiste, souvent entouré de comparses. Amis, copains, qui lui servent de complices et accessoirement de modèles. Les situations vécues par la représentation de l’artiste et sa clique sont analogues aux précédentes. La bouée qui apparaissait dans de nombreux « tableaux » a amené dans son sillage (marin), la pagaie. Bouée, pagaie, slips de bain et situations cocasses autour de ces « petits baigneurs ». Ce sont des farceurs qui surprennent les passants au coin d’une rue au d’un pont. C’est drôle et tout le monde rit, le passant piégé et ceux qui se moquent. La blague est légère ; personne n’est en danger. Surtout pas les Nouveaux Gugusses. Plus attendrissants maintenant que désespérés.

 

Grâce à des artistes comme Philippe Hérard, la Ville est un théâtre. Un décor avec des personnages. Des êtres de papier qui sortent sui generis des murs, qui vivent leur vie. Une « drôle » de vie qui n’est pas la même que la nôtre mais qui lui ressemble. Ce sont, non pas nos doubles, mais nos avatars. Ils nous émeuvent, nous font réfléchir sur l’humaine condition. Ils nous font rire. D’eux et de nous.

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Quel est le moteur de l’évolution des Gugusses ?

Qui le sait ? J’ai la faiblesse de penser que derrière les premiers Gugusses, même ceux qui n’avaient pas de visage, se cachait l’artiste. Aujourd’hui, bas les masques, il se montre à nous et nous nous reconnaissons en lui.

Oeuvre de Jean Rustin
Festiwall 2018, quai de la Marne, Paris. La bouée qui doit sauver, aveugle l'homme assis.
Les visages sont quasiment semblables. leurs traits ne permettent pas l'identification.
Gugusse, chaise, position dangereuse, pagaie et bouée qui ne sauve guère du danger.
Les baigneurs. Costumes de bain, pagaie, autoportrait de Philippe Hérard.
Festiwall 2019, quai de la Marne, Paris.
Le visage devient le lieu de l'expression.
Philippe Hérard, Festiwall 2019.
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