Philippe Hérard, Les Gugusses, « Cent titres », Belleville, Paris.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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 Si les fresques « dans la rue » sont parfois des « cadeaux » faits aux chalands, elles sont aussi, et surtout, une bonne manière,  quand les œuvres sont placées dans des spots réputés, pour les street artists un moyen de se faire connaître et d’entrer dans « le marché de l’art ». Le plus souvent, il convient de le reconnaître, les œuvres les plus abouties sont des œuvres de commande (festivals, manifestations diverses et variées etc.). Pourtant nombreux sont les street artists à travailler « dans la rue » et à vendre des œuvres en galerie. La commercialisation des œuvres obéit à une contrainte qui a le mérite de l‘évidence : les œuvres doivent être aisément transportables pour être accrochées aux cimaises des galeries et aux murs des amateurs qui ont font l’acquisition. Ainsi, on voit des artistes créer des œuvres monumentales ( Cf : le néo-muralisme), peindre des « murals » et des toiles de formats moyens voire petits. De plus, afin d’être plus abordables et de s’ouvrir à un public plus large de reproduire leurs œuvres peintes (gravure, lithographie-sans parler de nombre d’objets dérivés-).

Le passage de la rue à la galerie n’est pas sans conséquence sur la nature des œuvres et leur intérêt artistique. Prenons l’exemple du pochoir. Certains pochoiristes au lieu de projeter avec des bombes aérosols de la peinture sur des murs, projettent cette même peinture sur une toile, en permettant la commercialisation. Le changement de support n’a pas d’incidence sur l’œuvre. Les « layers », les « stencils »,  sont les mêmes et les peintures sont acryliques dans les deux cas. Les exceptions (il y a toujours des exceptions !) seront des pochoirs de Banksy : des marchands d’art n’hésitant pas à acheter (dans le meilleur des cas !) le morceau de mur aux heureux propriétaires pour le vendre cher, très cher !

Ses réflexions m’amènent à parler d’un artiste, rare !, qui propose « dans la rue » des œuvres remarquables et, en parallèle, une production de toiles vendues en galerie également remarquables parce que l’artiste, Philippe Hérard, exploite avec une grande intelligence les possibilités mais aussi  les contraintes des deux supports. Je consacrerai deux posts à cet artiste : le premier sera centré sur une « œuvre dans la rue » et le second à son travail de « peintre de chevalet ».

Hérard dans un entretien publié par Paris Street Art, confesse son besoin de liberté de création et aussi la difficulté de mener de front travail « dans la rue » et atelier : « Il ne faut pas que le travail que je fais dans la rue nuise à mon travail d’artiste en général. Il faut que je fasse attention, je veux être libre. Je ne pense pas que ça me restreint déjà mais j’y pense beaucoup parce que les gens me parlent souvent des premières choses qu’ils ont pu voir, qu’ils ont aimé, et ça reste très focalisé sur ça. J’essaye de faire la part des choses, de toujours avoir une petite référence, mais de proposer autre chose. »

Sur un grand mur, dans son quartier de prédilection, à Belleville, Hérard a collé ses gugusses ( c’est ainsi qu’il nomme ses personnages). Le mur mesure environ 20 mètres de long et 5 mètres de haut. L’espace horizontal est « occupé » par plusieurs gugusses, assez semblables quoique tous différents. Ils sont suspendus à de gigantesques boules qui semblent contre leur gré les emporter. La répartition des boules et des gugusses crée un vaste tableau. A y regarder d’un peu plus près, les boules symbolisant notre planète sont constituées de pages de journaux.

Philippe Hérard titre toutes ses œuvres, y compris celle-ci, « Cent titres ». Le jeu de mots révèle le refus d’imposer par un titre, une signification (et une seule),  au spectateur. Nous pouvons néanmoins tenter une lecture qui vaut ce qu’elle vaut (je m’interroge même sur l’intérêt critique consistant à proposer une lecture d’une œuvre quand l’artiste refuse de fournir des pistes d’interprétation !). Bref, j’interprète cette œuvre comme une réflexion sur notre société. Notre monde de l’information, nous emporte, nous les tristes gugusses, vers des « espaces infinis qui (nous) effraient ». Réflexion sérieuse certes,  mais suscitée par des images à la fois drôles et d’une grande tendresse pour les pauvres gugusses que nous sommes. L’œuvre n’est pas un pensum de quelques sociologues ou autres philosophes de salon habitués des plateaux de télévision qui ont la prétention de penser pour nous, gravement,  pour mieux accréditer le sérieux de leurs « analyses ». Les collages de Hérard sont « légers » : ce sont bien davantage des clins d’œil amusés sur notre humaine condition. Une légèreté, un peu triste, comme le portrait d’un Auguste qui pleure. Une légèreté qui n’exclut  pas la gravité du propos. Avant tout, son travail « dans la rue » est une « œuvre d’art » : regardons les corps des gugusses, la matière dont sont formées les boules, l’harmonie des couleurs, la dynamique de la fresque. Une œuvre, belle d’abord, et sérieuse si affinités.

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