Poète…vos papiers ! Fred Le Chevalier.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Un beau mur de briques d'un édicule de la Ville de Paris, sous un réverbère, une composition formée d'un personnage et de troncs d'arbres coupés.

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Lecture 6 min.

Dans tous les pays, le street art explose comme les crocus au printemps. « Tous les pays », l'expression est excessive ; disons, les pays qui tolèrent une expression plus ou moins encadrée des artistes urbains. L’art contemporain urbain se diffuse et se diversifie. Ses formes vont des murs d’immeubles de plus de 50 mètres de haut, des pochoirs de plus de 300 mètres carrés, aux fresques modestes des apprentis artistes sur les murs décatis d’un spot un peu pourri, aux pochoirs de format A4 monochrome, aux collages modestes et beaux d’un Fred Le Chevalier.

Fred, Alfred mais plus sûrement Frédéric, est prof dans un lycée de la banlieue nord de Paris. Un lycée évité par les parents d’élèves qui le peuvent et par les professeurs. Quelques-uns survivent grâce à des convictions chevillées au corps, le plus souvent politiques. Des profs revenus de tout, du maoïsme, en passant par le trotskisme, le communisme, le socialisme. Fuyant la droite et ses extrêmes identitaires. Une seule conviction surnage dans cet immense naufrage des idéaux révolutionnaires : l’instruction est la condition expresse de la liberté et du fameux « ascenseur social ». Amers, en colère contre eux- même d’avoir foncé tête la première dans des billevesées, d’avoir été plus gravement un des rouages de la machine à décerveler, des enseignants affrontent « la difficulté scolaire » (il n’est pas politiquement correct de dire…la misère, la totale impossibilité de s’inventer un futur, l’argent facile, la faillite de la morale et de l’esprit civique, le racisme, etc.). Fred Le Chevalier est un de ceux-là.

Alors, Fred achète un pinceau, une brosse à maroufler, un pot de colle à papier-peint, mets tout son bordel dans un grand sac de sport. Après les cours, le week-end, pendant les vacances, il repère les beaux murs (pas les murs blancs qui n’ont rien à dire, ceux qui ont vécu, qui portent les stigmates de leur vie passée, les rides de leurs souffrances) et, en plein jour, revient coller ses dessins.

Le trait est prégnant, net, précis. Un peu comme un dessin de bande-dessinée ou alors les illustrations de livres pour enfants. Parfois, en fait, de plus en plus souvent, le dessin noir et blanc a une touche de couleurs, parfois davantage mais c’est pas une superproduction hollywoodienne : des photocopies découpées à la main, un peu de rouge pour faire ressortir un effet, un peu de jaune, de bleu…Les personnages sont parfois seuls, parfois accompagnés par d’autres, des hommes, des femmes, des chevaux, des chats et un raton-laveur. C’est selon. Parfois, ils forment une scène : une folle sarabande, un repas, une théorie d’êtres improbables. Ils ont une Histoire ou plutôt leur créateur a des périodes. Souvent, un cartouche en forme de parchemin déroulé, une courte phrase éclaire sa signification. Souvent mais pas toujours. Certaines « légendes » n’expliquent rien et, au contraire, « élargissent le champ des possibles ». Voire, nous égarent dans les amers pâturages de l’erreur. Après tout, c’est un jeu. Coller des dessins sur les murs sans autorisation, c’est un jeu. Balancer une courte phrase, en forme de maxime, c’est un jeu (parfois de dupes !). Laisser vagabonder son imagination et prêter un sens au bizarre, à l’étrange, c’est rigolo.

Fred, qui a choisi de s’appeler « Le Chevalier » parce que ses dessins nous renvoient au monde de l’enfance, Fred s’est, pour de vrai, inventé un monde. Ou plutôt, plein de mondes. Avec des hommes et des femmes, ou presque, ils ressemblent mais s’en distinguent. Des animaux. On les reconnait mais ils sont différents. Et des objets. Qui ressemblent aux nôtres. C’est pas parce que les dessins évoquent par certains traits les dessins d’enfants que c’est un jeu d’enfant d’en percer le sens. Méfions-nous tout d’abord des fausses évidences. Ce n’est pas parce qu’un dessin privilégie le trait, ne rend pas compte du volume, de la réflexion de la lumière que c’est un dessin d’enfant (pensons aux dessins de Matisse, de Cocteau, de Picasso, de De Castelbajac, etc.). Les dessins de Fred Le Chevalier, volontairement, sont des « démarques » du trait enfantin. Ils ont hérité de certains traits mais s’en distinguent. Ils possèdent entre eux des caractères communs (des vues de face et de profil, des grosses têtes, des petits nez mutins, des postures statiques etc.) et ont acquis une forte identité plastique. Par ailleurs, même « sous-titrés » par une maxime inventée, leurs significations demeurent mystérieuses. Cette « non-closure » du sens, cette liberté pour le spectateur d’inventer une signification et une histoire qui va avec, est un des objectifs de Fred. Pour ma part, en voyant ses dessins, je me suis inventé des cinémas qui n’ont rien d’enfantin.

Fred Le Chevalier ne voyage pas sans son grand sac de sport. Ils laissent dans les villes ses personnages de papier. C’est artisanal, ça ne vise pas Drouot et Sotheby’s. Pas la gloire non plus. Tout au plus, si on a quelques sous, on peut acheter par Internet des produits dérivés. Un peu de beurre dans les épinards. Pour payer le papier, la photocopie grand format et la colle d’un prof de banlieue, poète de nos villes.

Une "dame"le bras en écharpe. Quelques touches de couleur.

Les œuvres sont souvent signées d'une écriture cursive, bien scolaire.

Une scène de jeu d'enfant, des "messieurs et des dames" s’amusent.

Une situation avec deux personnages.

Un ange passe...sur les bords du canal Saint-Martin.

Un extra-terrestre.

Un autre ange...

Une "drôle de dame". Un portrait sur-mesure.

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Une mère à l'enfant collée sur un "beau"mur (un pont du canal St. Martin)

Un "sous-titre", en forme de maxime.

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