Rencontre avec Kan, street pointillist.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Work in progress. Les points noirs peints au pochoirs sont "remplacés" par des cercles de couleurs.

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Lecture 6 min.

J’ai rencontré Kan lors d’Ourcq Living Colors[1], le 26 juin 2017. Il peignait des centaines de ronds de couleurs sur un panneau de plusieurs mètres carrés. Très gentiment, il a accepté de répondre aux questions que je me posais et de m’expliquer à la fois sa technique et son projet artistique.

 

Kan se présente comme un « street pointillist ». Ce néologisme anglo-saxon n’est pas affaire de mode. Il définit précisément son projet artistique. « Street » parce qu’il intervient dans l’espace urbain et que sa démarche issue du street art y reste apparentée. « pointillist, pointillism » parce que ces mots établissent un rapport direct avec le mouvement pointilliste et le recours à l’anglais traduit la différence entre sa recherche et le pointillisme de Seurat et Signac.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ce qu’a été ce mouvement pictural principalement incarné par ces deux peintres français en 1880. Les impressionnistes ont été fascinés par la représentation de la lumière. En cela, ils ne furent pas les premiers. Il n’en est pas moins vrai que les techniques picturales pour rendre compte des lumières, de toutes les lumières (du soleil levant sur l’eau, des aubes, des brumes, des brouillards, des nuages, des crépuscules, des nuits etc.) ont eu une fonction toute particulière dans l’histoire de ce mouvement. Poursuivant en quelque sorte cette recherche, Seurat et Signac, inventèrent une nouvelle manière de représenter la lumière. Il me parait certain que ces artistes ont été marqués par les travaux d’optique sur la lumière solaire. Des savants montraient dans cette fin du XIXème siècle qu’en traversant un prisme de verre la lumière se décomposait selon différentes longueurs d’ondes. De l’infrarouge à l’ultraviolet, la lumière « transparente », « invisible », apparaissait comme la somme des couleurs du spectre. Inversement, en juxtaposant des points colorés, en réduisant la définition des points (en regardant le tableau de plus loin), les couleurs des points se « fondaient » créant une couleur qui est la synthèse des couleurs originelles. Ainsi, c’est l’œil de celui qui observe l’œuvre qui crée les couleurs.

Kan est parvenu au « pointillism » par un autre chemin. Fils des écrans (écrans des téléviseurs, écrans des ordinateurs, des tablettes, des smartphones), Kan est fasciné par les pixels. Après des essais de reproduction de pixels carrés (essayez avec une bombe aérosol, à main levé, de peindre un carré !), Kan opta pour des ronds. Sa technique est relativement simple (à comprendre !) Avec des pochoirs, il peint des points alignés horizontalement et verticalement distants d’environ 5 cm. Préalablement, à l’atelier, il a choisi une photographie et, en grossissant, obtient une image formée de centaines (voire de milliers !) de pixels. Cette image imprimée lui servira de modèle pour la création des œuvres. Réduisant volontairement le nombre des couleurs de la composition, il peint avec une infinie patience les ronds rouges, ensuite les ronds orange, les ronds noirs etc. Vue de près l’œuvre ne se « révèle »pas, comme disaient les photographes dans le secret de la chambre noire. De plus loin, notre définition baissant, les contours des points se confondent formant des aplats, des surfaces relativement homogènes, et…l’image apparait ! Là comme dans le pointillisme, c’est l’observateur qui crée (non la couleur) mais l’image.

Certains y verront une « curiosité », un genre d’aberrations optiques comme en montre le Palais de la Découverte à Paris. Ce n’est pas l’objectif de l’artiste. Son projet est plus ambitieux et bien plus intéressant. Il constate que ses œuvres sont photographiées le plus souvent avec des smartphones. La petite surface de l’écran joue le rôle de l’éloignement de l’œil par rapport à l’œuvre : elle « rapproche » les points et donne à voir une autre image que celle des points colorés. Pour Kan, nous voyons de plus en plus le Monde à travers des objectifs optiques qui nous donnent une représentation du Réel, représentation qui ne se confond pas avec lui. La fréquentation des écrans change-t-elle notre regard sur le Monde ?

Les interventions de Kan dans la rue et son travail en galerie sont en complète cohérence. Sans pontifier, sans jargonner, sans théoriser, avec modestie, Kan explore les mondes des représentations et, comme tout artiste, suscite chez celui qui regarde de profonds questionnements.


[1] Ourcq Living Colors est un événement organisé par le street artist Da Cruz et l’association « Culture passages ». Il se déroule tous les ans dans le 19ème arrondissement de Paris.

Le plan moyen de l'oeuvre dessine une image abstraite qui ne permet pas au spectateur d'anticiper la "future" image.

En s'éloignant, des formes apparaissent suffisamment significatives pour comprendre qu'il s'agit d'un portrait.

L'éloignement ou la photographie "révèle" l'image.

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Un portrait de Kan, devant ses portraits "rêvés".

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