Seth le globe-painter : l’enfant prométhéen.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Seth est certes un peintre globe-trotter, mais cet attribut qui renvoie à son activité la dimension internationale de son travail ne résume pas les talents multiples de l’artiste. Parmi les sujets qu’il aborde dans son œuvre, riche et multiforme, un thème parmi d’autres retient mon attention : c’est celui de l’enfance magique.

Seth n’a pas peint que des enfants, mais il a peint de très nombreux enfants. Des enfants à l’orée de l’adolescence, des garçons et des filles. Des enfants de toutes les couleurs, beaux et étranges. Des enfants représentés dans des situations très différentes ; nombre d’entre elles sont liées à leur relation à l’environnement immédiat.

Parmi la diversité des situations mettant en scène des enfants, je souhaite revenir sur une dimension qui, à mon sens, n’a pas été suffisamment commentée par la critique. C’est un des rôles symboliques attribués aux enfants d’accéder à la dimension cachée du monde.

 Non pas « accéder », pénétrer dans « Le pays des merveilles », de « L’autre côté du miroir », mais avoir le corps encore dans notre monde, celui des Grands, et la tête en partie de l’autre côté, suffisamment pour voir les « merveilles ». Si la comparaison avec « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll semble s’imposer, les enfants de Seth ne pénètrent pas dans l’autre monde et de facto n’y rencontrent pas des personnages de fantaisie.

Les enfants de Seth sont ceux qui voient ce qu’il y a de l’autre côté. L’entre-deux mondes est symbolisé le plus souvent par des cercles concentriques de couleurs vives, comme un maelström de lumière. Cette lumière ressemble à la décomposition de la lumière blanche par un prisme de verre. Un phénomène magique pour tous les enfants (et de nombreux adultes !). Un lieu étrange donc, un centre, comme une porte, et une curiosité qui pousse les enfants vers ce qu’ils ne connaissent pas. Du moins, pas encore.

Les visages des enfants sont souvent peints vus de derrière ou de trois-quarts arrière. Seth s’en explique dans un entretien : « Je ne représente pas des situations compréhensibles au premier regard, elles peuvent permettre de se poser des questions. C’est la raison pour laquelle je crée beaucoup de personnages dont on ne voit pas le visage, pour que les gens puissent l’imaginer. Dans un village détruit au Vietnam, quand je représente une femme en costume traditionnel qui tourne le dos et regarde autre chose, que veut dire ? La nostalgie ou l’espoir d’un meilleur futur ? C’est ce côté poétique qui m’intéresse. Poétique au sens où il existe des parts d’ombre, une place pour l’interprétation. Je ne veux pas expliquer à chaque fois exactement ce que j’ai voulu dire, je trouve que ça casserait un peu la magie. »

Il y a donc chez Seth une volonté explicite de laisser place à l’interprétation, et c’est la pluralité des « lectures » qui créent l’approche poétique, dans une zone d’incertitude, puisque le lecteur n’est sûr de rien et que toutes les lectures se valent.

A y regarder de plus près, les enfants ont deux fonctions essentielles (et d’autres plus accessoires). Seuls eux voient de l’autre côté. Ce sont des « voyants ». Ils nous aident à voir ce que cache le réel. Souvent, ils lèvent au sens littéral le rideau pour nous dévoiler ce qu’il cache. S’ouvre alors une brèche dans la laideur du monde, un ciel bleu parcouru de merveilleux nuages, des arcs-en ciel, un feu d’artifice de couleurs. Bref, derrière le mur du réel et de la laideur du quotidien, il y a du bonheur et de la joie.

Les enfants de Seth parfois révèlent la beauté cachée parfois passent la tête de l’autre côté du miroir des apparences pour voir ce qu’elles masquent. Ils ne passent pas à travers le miroir (mais passe à travers les murs) mus par le désir de découvrir les choses cachées. Ils passent la tête dans l’étroit passage, comme le bébé sortant du ventre de sa mère, et regardent l’autre monde.

Seth nous donne quelques pistes pour savoir ce qu’ils voient. D’abord, le ciel et les couleurs mais aussi d’autres « choses ». Dans une fresque atypique l’artiste peint un jeune garçon saisit par les tentacules d’une créature bizarre qui a saisi un bras et le tire vers l’autre monde. C’est dire que de « l’autre côté » (du mur, de la lumière etc.), il n’y a pas qu’un chapelier fou ou un lapin blanc. Il a un peut-être des êtres « innommables », dont la forme ne peut être reproduite. A moins que de l’autre côté soit le lieu des interrogations de l’enfance, l’éveil de la sensualité, la relation à l’autre sexe, les mystères d’un corps qui change, de membres qui poussent, de nouvelles tentations.

Seth crée des enfants médiateurs entre les Hommes et le « caché », des intercesseurs. Une part de son discours sur l’enfance (il y en a une autre plus traditionnelle) est faite de ce mystère.

Ces enfants qui veulent voir de l’autre côté symbolisent pour moi une vision poétique (et magique) de l’enfance mais pas une enfance niaiseuse, pleine de jolis minois, de tendres scènes maternelles, d’amour partagé, etc. Bien davantage, une enfance qui s’interroge (et nous interroge), une enfance tourmentée, en questionnement, curieuse, traversée de questions existentielles. C’est en ce sens que je comprends les propos de Seth quand il dit : « J’ai un regard pessimiste sur le monde, mais dans mes représentations j’essaye d’être plutôt positif. Comme mon premier public ce sont les passants dans la rue, j’essaye d’être abordable, de donner du bonheur – c’est peut-être naïf. Mais sur toile, c’est vrai, mon travail est différent. Je peux faire des choses plus personnelles, plus sombres. Dans la rue, on a une responsabilité plus grande. Mon concept n’est pas de choquer les gens ou de les interpeller, c’est plutôt de changer quelque chose dans leur tête par la bienveillance. » (Artistik Rezo,6 juin 2014.)

Les enfants qui cherchent la lumière, comme de petits Prométhée, sont des reflets atténués du regard pessimiste que Seth porte sur le monde. Les images du réel sont laides mais les enfants sont nos guides pour voir au-delà des apparences, la beauté et l’angoisse.

 

Seth est certes un peintre globe-trotter, mais cet attribut qui renvoie à son activité la dimension internationale de son travail ne résume pas les talents multiples de l’artiste. Parmi les sujets qu’il aborde dans son œuvre, riche et multiforme, un thème parmi d’autres retient mon attention : c’est celui de l’enfance magique.

Seth n’a pas peint que des enfants, mais il a peint de très nombreux enfants. Des enfants à l’orée de l’adolescence, des garçons et des filles. Des enfants de toutes les couleurs, beaux et étranges. Des enfants représentés dans des situations très différentes ; nombre d’entre elles sont liées à leur relation à l’environnement immédiat.

Parmi la diversité des situations mettant en scène des enfants, je souhaite revenir sur une dimension qui, à mon sens, n’a pas été suffisamment commentée par la critique. C’est un des rôles symboliques attribués aux enfants d’accéder à la dimension cachée du monde.

 Non pas « accéder », pénétrer dans « Le pays des merveilles », de « L’autre côté du miroir », mais avoir le corps encore dans notre monde, celui des Grands, et la tête en partie de l’autre côté, suffisamment pour voir les « merveilles ». Si la comparaison avec « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll semble s’imposer, les enfants de Seth ne pénètrent pas dans l’autre monde et de facto n’y rencontrent pas des personnages de fantaisie.

Les enfants de Seth sont ceux qui voient ce qu’il y a de l’autre côté. L’entre-deux mondes est symbolisé le plus souvent par des cercles concentriques de couleurs vives, comme un maelström de lumière. Cette lumière ressemble à la décomposition de la lumière blanche par un prisme de verre. Un phénomène magique pour tous les enfants (et de nombreux adultes !). Un lieu étrange donc, un centre, comme une porte, et une curiosité qui pousse les enfants vers ce qu’ils ne connaissent pas. Du moins, pas encore.

Les visages des enfants sont souvent peints vus de derrière ou de trois-quarts arrière. Seth s’en explique dans un entretien : « Je ne représente pas des situations compréhensibles au premier regard, elles peuvent permettre de se poser des questions. C’est la raison pour laquelle je crée beaucoup de personnages dont on ne voit pas le visage, pour que les gens puissent l’imaginer. Dans un village détruit au Vietnam, quand je représente une femme en costume traditionnel qui tourne le dos et regarde autre chose, que veut dire ? La nostalgie ou l’espoir d’un meilleur futur ? C’est ce côté poétique qui m’intéresse. Poétique au sens où il existe des parts d’ombre, une place pour l’interprétation. Je ne veux pas expliquer à chaque fois exactement ce que j’ai voulu dire, je trouve que ça casserait un peu la magie. »

Il y a donc chez Seth une volonté explicite de laisser place à l’interprétation, et c’est la pluralité des « lectures » qui créent l’approche poétique, dans une zone d’incertitude, puisque le lecteur n’est sûr de rien et que toutes les lectures se valent.

A y regarder de plus près, les enfants ont deux fonctions essentielles (et d’autres plus accessoires). Seuls eux voient de l’autre côté. Ce sont des « voyants ». Ils nous aident à voir ce que cache le réel. Souvent, ils lèvent au sens littéral le rideau pour nous dévoiler ce qu’il cache. S’ouvre alors une brèche dans la laideur du monde, un ciel bleu parcouru de merveilleux nuages, des arcs-en ciel, un feu d’artifice de couleurs. Bref, derrière le mur du réel et de la laideur du quotidien, il y a du bonheur et de la joie.

Les enfants de Seth parfois révèlent la beauté cachée parfois passent la tête de l’autre côté du miroir des apparences pour voir ce qu’elles masquent. Ils ne passent pas à travers le miroir (mais passe à travers les murs) mus par le désir de découvrir les choses cachées. Ils passent la tête dans l’étroit passage, comme le bébé sortant du ventre de sa mère, et regardent l’autre monde.

Seth nous donne quelques pistes pour savoir ce qu’ils voient. D’abord, le ciel et les couleurs mais aussi d’autres « choses ». Dans une fresque atypique l’artiste peint un jeune garçon saisit par les tentacules d’une créature bizarre qui a saisi un bras et le tire vers l’autre monde. C’est dire que de « l’autre côté » (du mur, de la lumière etc.), il n’y a pas qu’un chapelier fou ou un lapin blanc. Il a un peut-être des êtres « innommables », dont la forme ne peut être reproduite. A moins que de l’autre côté soit le lieu des interrogations de l’enfance, l’éveil de la sensualité, la relation à l’autre sexe, les mystères d’un corps qui change, de membres qui poussent, de nouvelles tentations.

Seth crée des enfants médiateurs entre les Hommes et le « caché », des intercesseurs. Une part de son discours sur l’enfance (il y en a une autre plus traditionnelle) est faite de ce mystère.

Ces enfants qui veulent voir de l’autre côté symbolisent pour moi une vision poétique (et magique) de l’enfance mais pas une enfance niaiseuse, pleine de jolis minois, de tendres scènes maternelles, d’amour partagé, etc. Bien davantage, une enfance qui s’interroge (et nous interroge), une enfance tourmentée, en questionnement, curieuse, traversée de questions existentielles. C’est en ce sens que je comprends les propos de Seth quand il dit : « J’ai un regard pessimiste sur le monde, mais dans mes représentations j’essaye d’être plutôt positif. Comme mon premier public ce sont les passants dans la rue, j’essaye d’être abordable, de donner du bonheur – c’est peut-être naïf. Mais sur toile, c’est vrai, mon travail est différent. Je peux faire des choses plus personnelles, plus sombres. Dans la rue, on a une responsabilité plus grande. Mon concept n’est pas de choquer les gens ou de les interpeller, c’est plutôt de changer quelque chose dans leur tête par la bienveillance. » (Artistik Rezo,6 juin 2014.)

Les enfants qui cherchent la lumière, comme de petits Prométhée, sont des reflets atténués du regard pessimiste que Seth porte sur le monde. Les images du réel sont laides mais les enfants sont nos guides pour voir au-delà des apparences, la beauté et l’angoisse.

 

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