Seth. « Playtime », l’expo.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Nota bene.

Ceci n’est pas une introduction (pour le lecteur qui veut absolument qu’un billet soit introduit, je ne saurais trop recommander l’article que j’ai précédemment écrit[1]). C’est tout au plus un « chapeau » pour cerner le périmètre de l’article qui suit.

Parlons de l’intérêt de commenter des expositions. Tout d’abord, il convient de distinguer les types d’expositions. Certaines mettent en avant un lien thématique et exposent des œuvres d’artistes différents abordant un même sujet, sujet qui donne son titre à l’exposition. D’autres, appelées « solo shows », exposent les productions d’un seul artiste, œuvres liées par un sujet commun et une même unité de temps. Ces dernières fournissent d’inestimables informations aux critiques et autres curieux pour qui elles constituent un repère thématique et chronologique, repère bien utile pour cerner une production dans son ensemble.

L’exposition proposée par la galerie Itinerrance en février 2020 à Paris, consacrée à Seth, était de cette nature. Le galeriste a réuni des œuvres, des toiles et des statues de l’artiste, ayant été réalisées pour l’exposition et donc dans une même période.

Le commentaire des œuvres peintes que je vous propose est centré sur les tableaux et ne prend pas en compte les œuvres antérieures et les fresques réalisées « dans la rue ». Cela signifie que telle ou telle observation qui vaut pour les toiles de l’exposition Playtime peut avoir des exceptions si les œuvres n’ont pas été peintes dans ce cadre précis.

Playtime.

Les toiles de Seth déclinent un thème cher à l’artiste : l’enfance. Les personnages peints, en effet, sont tous des enfants. Des garçons et des filles d’une dizaine d’années ; de jeunes enfants beaux et curieux. Ils interagissent avec des objets ou des éléments de décor et sont représentés en situation, certains statiques, d’autres en mouvement.

Le regardeur est saisi tout d’abord par le hiératisme des toiles. Elles sont toutes composées de la même manière : elles sont focalisées sur le personnage situé au centre. Ce qui peut sembler être un « élément de décor » est, en fait, bien plus qu’un décor puisqu’il introduit par sa relation avec le personnage une interrogation voire un mystère. En cela les tableaux de Seth ne sont pas des portraits d’enfants mais des représentations en situation d’actions effectuées par des enfants.

Les enfants entrent ainsi dans des arcs en ciel ou des ciels. De la même manière que le chromatisme des enfants ne cherche en rien le naturalisme, les couleurs des arcs en ciel sont des variations graduées sur des couleurs vives et franches, des verts, des rouges, des bleus. Couleurs graduées certes mais, dans le même temps, recherche d’oppositions et d’harmonie.

Les ciels sont bleus, d’un bleu d’azur, bien sûr. Quant aux formes géométriques bizarres qui contiennent des enfants et d’où ils sortent pour aller vers le ciel immense et infini, mais représenté symboliquement par une petite surface de couleur, elles sont géométriques et complexes. Leurs couleurs sont des kaléidoscopes de teintes peintes en aplats, en opposition chromatique le plus souvent.

Dans les deux cas (les enfants qui entrent dans des arcs en ciel/ des enfants qui sortent de solides géométriques), la situation est une énigme pour le regardeur. Si les solides sont géométriques, les espaces dans lesquels se meuvent les enfants ne sont pas des espaces réels figurés. Les lois de la gravité n’y ont pas cours. Les enfants semblent être libérés des lois physiques et évoluent dans un espace tridimensionnel. Dans ces espaces rêvés, des enfants veulent franchir un obstacle pour aller vers l’inconnu. C’est précisément ces situations qui nous questionnent. Ouvertes, les situations « tolèrent » toutes les interprétations. On peut y voir la volonté de passer d’un âge à un autre, de devenir « grand ». Mais aussi le désir de comprendre ce qui est caché. Deux tentatives d’interprétation parmi tant d’autres possibles. Toutes ne sont pas pertinentes certes, mais de nombreuses le sont.

Les solides géométriques sont des équivalents graphiques des arcs en ciel et les possibilités d’interprétation sont les mêmes.

Notons que les œuvres exposées (sauf une) suivent ce schéma interprétatif. Cette proportion des œuvres qui reprennent le thème du passage sont dans la production de Seth très majoritaires. Les œuvres ayant un autre sujet apparaissent comme des exceptions. Le quasi systématisme du choix du thème du passage signe l’identité plastique de l’artiste.

SI le thème du passage, est récurrent dans la production de l’artiste, l’absence de représentation des visages des enfants est tout aussi récurrent. Les visages des enfants ne sont jamais, dans les toiles de l’exposition, représentés de face ou de trois-quarts. C’est un choix de l’artiste qui, à plusieurs reprises, dans d’autres situations, a peint des visages d’enfants de face. L’absence des traits est une anonymisation des personnages. Ce qui conforte le fait que les œuvres ne sont pas des portraits. Cette impasse interroge le regardeur de la même manière que la situation de passage. Là aussi, faute de pouvoir trancher, toutes les interprétations sont vraies. L’absence d’individualisation peut signifier que les personnages sont davantage des figures symboliques de l’enfance que de véritables personnages. Je militerais pour une autre explication. L’absence des traits distinctifs est une mise en scène du mystère qui entoure les toiles.

Seth est un peintre du merveilleux de l’enfance. Le merveilleux est créé par des « effets », l’absence des traits du visage et le thème du passage. L’utilisation constante d’« effets » n’est en rien détestable. Tous les peintres en utilisent et en ont toujours utilisés. Le monde de Seth est un monde fictionnel qui emprunte à la littérature de jeunesse. Comme Alice, les enfants de Seth veulent passer de l’autre côté du miroir. Un monde hors de l’espace et du temps. Un monde de rêve. Comme dans « Alice au pays des merveilles », il est vain d’essayer de tout comprendre et a fortiori d’expliquer. L’émotion suffit : elle est une fin en soi.

Le monde des enfants de Seth a deux niveaux de lecture. C’est le très étrange monde du jeu enfantin. Les enfants, tous les enfants de tous les pays, jouent. Et somme toute de la même manière. Les objets sont des supports et des propositions à leur imaginaire. Un imaginaire qui ne connait guère les limites de la logique et de la raison raisonnante. Dans ce théâtre tout est possible : les enfants volent comme Peter Pan, les éléphants comme Dumbo, les animaux parlent, les brindilles trouvées sur le sol deviennent des pistolets ou des sabres-lasers. Bref, les enfants improvisent des saynètes, mettent en récit à partir de ce qu’ils connaissent des histoires qui n’obéissent qu’à leurs désirs. Dans ce sens, le titre de l’exposition, Playtime, fait sens.

Le deuxième degré de lecture intègre le jeu enfantin comme une manifestation spontanée de l’imagination mais interroge la fonction de ce jeu. Que se joue-t-il dans le jeu des enfants ? Une nécessaire échappée belle du monde des Grands ? Une mise en ordre du réel par l’expérimentation des limites des possibles ? Une parenthèse psychologiquement nécessaire pour affronter les réalités du réel ? Une libre manifestation d’une des dimensions fondamentales de l’esprit, l’imaginaire ?

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Seth est bien davantage le peintre de l’imaginaire du jeu enfantin que le peintre de l’enfance. Ses œuvres illustrent le temps du jeu (temps du Je ?), le paradis perdu des Grands. Un jeu qui n’a qu’un temps. Le moment où l’enfant invente le monde et le soumet à son désir.

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