Sifat, la quête de la pureté des origines.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Au premier regard l’œuvre naissante de la jeune artiste Sifat semble plurielle. Pourtant, toutes ses œuvres sont traversées par une même tension, une même énergie : chercher au-delà des différences les formes essentielles, voire primitives,  s’affranchir de la « raison raisonnante » chère à Descartes pour trouver la grâce de la création.

En effet, un regard rapide sur ses travaux, de « Fountain of youth », de sa participation à « Play me I’m yours », à la caravane de Rozi, à la récente « Ceci n’est pas une poule », d’aucuns noteraient les profondes différences dans le rapport qu’entretient l’artiste à la création plastique. Ils auraient tort. Son œuvre est cohérente et profonde.

Le spectateur est saisi, en regardant les premières œuvres, du foisonnement des signes. Les signes, réduits au trait, sans volume, s’interpénètrent, se mêlent, se combinent formant une savante et élégante combinaison. L’usage de la couleur reste mesuré, comme restreint. La composition échappe. A y regarder de plus près, les signes sont des lettres. Des lettres empruntées à différents alphabets. Elles ne forment pas des mots. Leurs sons nous sont inconnus. Leur sens en a été ôté pour ne garder que l’essence de leur forme. L’intention de Sifat n’est pas d’écrire pour dire. Elle garde les plus belles formes des plus belles lettres pour créer son alphabet. Sifat, chose rare dans le monde de l’Art, parle bien de son travail. Elle écrit : « Je suis à la quête de mon langage graphique ». C’est en traçant les formes rêvées des lettres qu’elle construit, non un langage vernaculaire, un langage commun à un groupe humain pour conserver la mémoire des événements et transmettre des idées et des émotions, mais un langage idéal où seule la forme est le vecteur entre l’artiste et celui qui contemple l’œuvre. Comme le langage universel que parlaient les Hommes dans la tour de Babel, ce langage compris par tous parce qu’il est simple beauté.

La double culture de Sifat explique, du moins en partie, cette recherche. Du Bangladesh, elle garde la langue : la langue « maternelle » dit-on, et l’écriture. Elle se souvient de la fonction de l’écriture tracée sur le sol des maisons pour protéger les familles. Elle écrit d’ailleurs que « l’écriture bengali est pour moi une source d’inspiration. Une façon de me rapprocher de mes racines ». Racines familiales, bien sûr, mais plus profondément, racines du début de l’écriture, racines du temps où des signes élémentaires et déjà parfaits faisaient sens.

Cette quête de la forme pure traverse son œuvre, lui donnant toute sa signification. Des alphabets peints à sa toile intitulée pour faire un clin d’œil à Magritte, « Ceci n’est pas une poule », l’objectif est le même, extraire des formes complexes la beauté formelle qui est, elle, simple et obéit aux règles éternelles de l’harmonie.

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Comprendre, c’est « prendre avec ». A cette première réflexion, il convient d’aller plus avant dans le moment de la création. Sifat écrit dans ses « Pensées naïves », qui n’ont de naïves que l’épithète qu’elle leur donne : « J’aime créer des motifs. C’est un peu comme composer de la musique ». Elle dit aimer la musique, des musiques au demeurant fort diverses : la musique électronique, le hip-hop, le funk, la musique touareg. Elle note également : « La spontanéité, l’improvisation, la « perdition » font partie de mon travail ». Nous voilà au cœur de sa création : elle est dans l’instant. Elle a une fringale de savoirs, elle apprend voracement et au moment de peindre, elle oublie tout, obéissant aux règles non écrites de l’inspiration et de l’invention, réinvestissant ses connaissances, ses expériences, ses désirs et ses douleurs dans une « transe » cathartique.

Sifat est en chemin. Elle sait que la route est longue et semée d’embûches. Comme le Petit Poucet du conte, elle sème, au passage, des œuvres, témoignages émouvants de sa recherche d’absolu.

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