Snik, le pochoir revisité.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Le mur Oberkampf (photo Richard Tassart)

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Lecture 6 min.

Décembre 2018, mur de la rue Oberkampf. 15 heures et il fait déjà presque nuit. Le Café Charbon est fermé : c’est lundi. Sur le mur géré par l’association bien nommée « Le Mur », une très jolie femme me regarde. Elle est de profil mais retourne vers moi son visage. Elle ne sourit pas. Elle me regarde fixement sûre de sa rayonnante beauté. Elle est coiffée de fleurs. Cela m’évoque les jeunes filles en fleurs de Russie ou d’Ukraine qui lors des fêtes portent des couronnes de fleurs champêtres entrelacées dans leurs cheveux. Un violet pâle et un jaune décoloré soulignent l’éclat des pétales, en demi teintes. Le portrait est noir et blanc, à peine ponctué par un brouillard subtil de couleurs surannées. Il se détache du mur noir. Noir et blanc sur le fond noir « de mes nuits blanches ». Une femme nue certainement, je le devine, belle et froide comme son Albion natale. Sur sa joue droite, se dessine comme une ombre. Je ne parviens à comprendre sa signification. La beauté épurée de ses artifices se conjugue au mystère.

Sous « le ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle », cette femme qui assume sa féminité, regarde dans les yeux ceux qui la regardent, fascinés par son regard et la stroboscopie des bandes noires et blanches qui forment le portrait.

Il faut se rapprocher de l’œuvre pour comprendre que nous avons affaire à un pochoir. Un pochoir de grandes dimensions, d’environ 4 mètres de hauteur sur 5 de largeur. Un pochoir fait d’une seule couche permettant ainsi d’obtenir deux couleurs : le noir du fond et le blanc projeté par la bombe aérosol. Un pochoir parfait. Il est impossible de déceler la rigidité du trait si caractéristique d’un pochoir ordinaire. Parce qu’imparfait, le trait atteste de son humanité. Les courbes gardent leur dynamisme, les hésitations de la main. L’œuvre, comprise comme un pochoir dans un deuxième temps, étonne par la complexité des découpes.

Les artistes (Snik est le nom d’un couple d’Anglais de Bristol) ont réussi à rendre son « humanité » au pochoir. Dans un entretien donné à un magazine britannique, ils donnent de précieuses informations sur la technique qu’ils ont créée.

Leurs pochoirs sont le plus souvent composés de plusieurs couches (les « layers »). Jusqu’à 7 couches superposées. Ils découpent à la main les lacunes des « layers », renonçant volontairement aux techniques modernes comme le découpage au laser. Les « layers » sont scotchés successivement sur le mur (les œuvres de grande dimension nécessitent plusieurs feuilles de papier à dessin épais posées les unes à côté des autres). Ils peignent avec des bombes les lacunes des différentes couches et « reprennent » à la main l’ensemble. En fonction des difficultés rencontrées, ils utilisent soit la bombe aérosol, soit la brosse pour la reprise, mais également le complément, voire la spontanéité de l’ajout.

Alors que pour nombre de pochoiristes le travail est terminé après avoir vaporisé de la peinture sur le pochoir, pour Snik, ce n’est que la première étape. La projection de la peinture est comme le brouillon de l’œuvre définitive. Couvrant de grandes surfaces, les œuvres demandent pour être exécutées de longues heures de travail. Cette contrainte exclut les pochoirs faits en vandale, vite faits, un œil sur le mur, l’autre guettant l’arrivée de la maréchaussée. Poser les layers, peindre les lacunes, couvrir des dizaines de mètres carrés, reprendre chaque détail au pinceau est une technique qui nécessite du temps certes mais aussi plus que les deux petites mains d’un seul artiste. Elle a été rendue possible par la réunion de deux artistes qui travaillent de concert et sont associés à toutes les étapes du processus de création : de la conception des dessins, à la découpe manuelle, à la mise en peinture. Une technique exigeante qui oblige de « donner du temps au temps » et une somme impressionnante d’heures de travail.

Les pochoirs de Snik sont des ébauches d’œuvres uniques qui conservent précieusement la trace de la main humaine. Aussi Snik revendique-t-il l’imperfection de ses œuvres. Les coulures, les repentis, les défauts, font partie de l’œuvre, comme autant de traces laissées par l’artiste.

Les sujets abordés par le groupe sont relativement peu nombreux. Nous trouvons essentiellement des portraits et des « moments arrêtés ».

Des personnages en mouvement semblent figés dans une posture. Des gestes de la vie ordinaire, détachés de leur contexte, pour magnifier la posture. Cet « arrêt sur image » propose aux pochoiristes d’authentiques défis techniques : rendre compte par des séries de lignes parallèles d’une chevelure, des ombres sur un corps, des géométries complexes d’un vêtement sont des gageures que Snik se donne à lui-même. La virtuosité de l’élaboration des « layers », leur découpe, la pose des « layers » sur des supports difficiles, la reprise à la brosse, sont au service de la création. Snik s’impose des contraintes car c’est dans leur dépassement que s’élabore l’œuvre d’art.

Snik en réintroduisant dans le pochoir la main de l’artiste réussit à dépasser les limites inhérentes à la technique. Leurs pochoirs sublimés par leurs reprises créent une émotion qui est le fruit d’une technique maîtrisée, qui, comme chez tous les grands artistes, sait se faire oublier.

Détail du portrait de femme (photo Richard Tassart)

Gros plan sur le bouche (photo Richard Tassart)

Gros plan sur un œil (photo Richard Tassart)

Reprise du pochoir par les artistes (photo Mylène Mycoton)

Reprise au pinceau des lacunes (photo Mylène Mycoton)

Chaque "bande" blanche est l'objet d'une reprise à l'acrylique (photo Mylène Mycoton)

Le déroulement du layer (photo Mylène Mycoton)

Pose du layer sur le mur (photo Mylène Mycoton)

Détail de la découpe du layer (photo Mylène Mycoton)

Un portrait double, comparable au portrait du mur Oberkampf.

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Pose du layer.

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