Stéphane Carricondo : peinture sacrée.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Octobre à Paris, avant le deuxième confinement, mur du Carré de Baudouin dans le 20ème arrondissement, un après-midi baigné d’un tendre soleil d’automne.

Le mur du Carré de Baudouin est la clôture du Pavillon de Baudouin, lieu géré par la mairie du XXe arrondissement de Paris. Le mur est long (une soixantaine de mètres) et haut (plus haut dans la partie basse de la rue de Ménilmontant, il dépasse les 2 mètres dans sa partie haute). Les street artistes se l’étaient approprié et le mur était devenu un spot de ce quartier de Ménilmontant. C’était, il y a longtemps. Le temps passant, la mairie a confié son animation artistique à une association, Art Azoï.

Cet automne Art Azoï a invité Stéphane Carricondo à peindre le mur. L’artiste sur un fond ocre rouge a peint une immense fresque. Alternent des figures humanoïdes, des dessins de sagaies et de boucliers, des figures animales stylisées, des « soleils ». Il est difficile de donner des noms à ce qu’on voit. Nommer les représentations, c’est déjà orienter l’interprétation. Les hommes renvoient aux images de notre imaginaire de guerriers. On croit voir des guerriers armés de lances et de javelots, debout, garder un lieu. Les figures animales évoquent par leur graphisme épuré les antilopes africaines ou les gnous ou d’autres animaux de la savane. La plus grande des difficultés est de décrire et donc de nommer les « soleils ». Ce sont des formes rondes ou ovoïdes constituées d’une myriade de signes. A y regarder de plus près, la fresque est une frise. Les extrémités sont bornées par des représentations animales et les « soleils » sont reliés aux « guerriers » par des motifs, des boucliers, des armes de jet etc.

L’ensemble, très organisé, est d’une grande cohérence. Cohérence conceptuelle, cohérence formelle. La peinture est marquée par la surabondance du trait. Il est droit, à peine rompu par quelques formes courbes. L’artiste n’a guère recherché par des artifices à rendre compte du volume des sujets. La frise est un immense dessin caractérisé par de courts traits dynamiques. La palette est restreinte. Sur le fond ocre, se détachent des traits et de rares aplats rouges, bleus, orange, blancs, jaunes, noirs. Le noir cerne les contours des formes et les couleurs vives rehaussent et illuminent les dessins.

 

Lors de ma visite d’octobre, j’ai eu la chance de rencontrer Stéphane Carricondo en train de peindre sa fresque. Nos échanges ont porté sur le sens de la frise. L’ocre rouge du fond a été pensé comme la couleur générique des territoires des peuples premiers. Le regardeur y voit la latérite des sols d’Afrique ou du bush australien. Les figures humaines et animales, les armes, évoquent sans représenter précisément l’imaginaire occidental de l’Afrique. Pour l’artiste, ses dessins illustrent ce qu’il nomme « les peuples premiers ».

L’imaginaire du street artiste emprunte les codes de l’Afrique pour représenter les « peuples premiers » qui vivent aujourd’hui dans notre vaste monde. Survivent serait plus approprié tellement ces populations se réduisent comme peau de chagrin sous les violents coups de boutoir de l’intégration et du vol de leurs terres. Stéphane Carricondo voit dans ces peuples une survie du chamanisme. Les « soleils » qui ressemblent fort aux attrape-rêves que j’ai découverts voilà plusieurs décennies au Québec sont des protections pour ceux qui les regardent.

Il faut entendre par protection, la puissance magique qui émane d’un objet pour protéger des mauvais esprits, des djinns, du mauvais œil, du maraboutage etc. Somme toute, toutes ces forces du mal qui nous cernent et nous menacent et contre lesquelles il convient de se protéger. Se protéger par des objets consacrés ayant le pouvoir de chasser le Mal qui rôde : des amulettes, des croix, des pattes de lapin etc. Se protéger par des actes de foi, des prières, des dévotions, des offrandes aux divinités protectrices etc.

Je me souviens de mon enfance passée dans un modeste pavillon de la banlieue parisienne, de la chambre que je partageais avec mon arrière-grand-mère qui, catholique pratiquante, avait placé au-dessus de mon lit un crucifix. Le christ sur la croix avait pour mon aïeule, je crois, la même fonction : une fonction de protection. Elle complétait ma protection avec une médaille de la Vierge rapportée de Lourdes par mon grand père et de l’eau bénite.

Les protections sont des manifestations de ce que Claude Lévi-Strauss appelait la pensée magique. Une pensée qui cohabite avec une pensée rationnelle, ratiocinante. Une pensée qui n’est pas le stade primitif de notre pensée mais une dimension consubstantielle de notre condition.

Les protections qui sont universelles et monnaie courante sont vues en général comme des barrières contre les attaques de l’extérieur. Pour Stéphane Carricondo, c’est le phénomène inverse. Les passants, les badauds qui voient sa fresque héritent de sa protection. C’est assurément un rôle bien particulier que Carricondo donne à sa peinture : elle protège tout un chacun et, ainsi, apporte le bonheur. Sa peinture n’est pas le véhicule d’un quelconque message. Dans sa matérialité, elle protège les Hommes du malheur.

Si assurément la peinture de Carricondo est particulière sur la scène street art, je pense que si on élargit la focale à la peinture, il en est tout autrement. De nombreuses peintures tiennent en effet dans notre culture le rôle du crucifix. J’en veux pour exemple les portraits des saints dans la religion catholique. Les croyants se plaçaient sous la protection d’un saint. Les saints étaient l’objet d’une dévotion et les prières et offrandes qui leur étaient adressées étaient pour implorer leur protection. Pour faire bon poids, nous pourrions ajouter les innombrables Vierge à l’enfant. Le culte marial se fonde sur l’intercession de la Mère de Dieu avec son fils. Elle est adorée et priée pour obtenir sa protection et des faveurs particulières.

Bref, entre la frise de Carricondo et les protections diverses et variées le facteur commun est l’image sacrée. Est-il bien nécessaire de rappeler que l’icône dans la pensée orthodoxe est sacrée. L’icône dans son caractère matériel hérite de la fonction sacrée de ce qu’elle représente.

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La fresque de Carricondo est belle et magique. Magique si on y croit et il n’est pas nécessaire de croire pour la trouver belle. Je possède de beaux masques africains sans en connaitre la fonction cérémonielle. Ajoutons à mon cabinet de curiosités quelques bouddhas et quelques statues de déesses hindoues dont je ne connais même pas le nom. Ce sont pour moi des œuvres d’art qui ont perdu leur pouvoir magique. A moins que…

Les photographies sont de l'auteur.

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